Des régimes nationaux de concurrence inégalement dérogatoires

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De l'analyse comparée des grands régimes nationaux de la concurrence au sein de l'Union européenne, semble se dégager, au-delà des modalités précises qui peu- vent différer, une convergence pour reconnaître à certaines activités de service public un statut pour le moins spécifique ; convergence qui peut d'autant mieux se comprendre qu'elle naît d'une convergence dans les structures mêmes des régimes nationaux sous l'influence unificatrice du droit communautaire 475.Page 429

Sur la base d'un cadre général pour l'essentiel commun, les droits positifs allemand 476, britannique 477, espagnol 478) et français 479 de la concurrence appréhendent de manière nuancée les activités de service public, en excluant certaines d'entre elles totalement ou partiellement de leur champ d'application (Section I), tout en devant s'articuler avec des règles sectorielles de plus en plus spécifiques à ces activités (Section II).

Section I L'application nuancée des règles nationales de la concurrence

Si la question de l'application des règles de la concurrence aux activités de service public est posée dans des termes proches, les États se distinguent néanmoins selon qu'une approche plutôt globalisante (I) ou plutôt sectorielle (II) est privilégiée.

§ I - L'approche globalisante des droits français et espagnol

Les droits français et espagnol de la concurrence adoptent une approche que l'on proposera de qualifier de globalisante en ce sens qu'ils sont censés s'appliquer à l'ensemble des activités présentant un caractère économique (A). Mais compte tenu de l'amalgame fait avec la question du juge compétent, le statut des activités de service public au regard du droit de la concurrence se cherche encore sur le plan jurisprudentiel (B).

A - Un large champ d'application fondé sur le caractère économique de l'activité

À la différence fondamentale du droit communautaire (article 86 § 2 du traité CE), les droits espagnol et français de la concurrence ne contiennent aucune disposition spécifique ou dérogatoire au bénéfice des activités de service public.

Il doit d'abord être observé que « les nécessités du service public sont ignorées par la lettre de l'ordonnance de 1986 qui n'admet aucune exception à ce titre » 480. Au contraire, la rédaction de l'article 53 de l'ordonnance se veut même plus explicite que le droit antérieur 481 : « Les règles définies à la présente ordon- Page 430 nance s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre des conventions de délégation de service public » 482. Le Conseil de la concurrence peut ainsi parler de « quasi-universalité de la législation sur la concurrence » 483.

Dans des termes proches, le Tribunal de défense de la concurrence en Espagne rappelle que la loi de 1989 « est, à la différence de celle antérieurement en vigueur [NDLR : la loi de 1963], d'application généralisée et ne prévoit pas de secteurs exemptés » 484. Deux de ses dispositions se veulent d'ailleurs très claires sur ce point. D'une part l'article 2.1º, paragraphe 2, de la LDC précise que l'interdiction des ententes s'applique « aux cas de restriction de la concurrence découlant de l'activité d'autres pouvoirs administratifs ou qui seraient dus à l'activité d'administrations publiques, d'établissements publics ou d'entreprises publiques » lorsque la protection légale de l'article 2.1º, premier paragraphe , ne joue pas 485. D'autre part, l'article 6.3º LDC énonce que l'interdiction des abus de position dominante « s'appliquera également aux cas où la position dominante sur le marché d'une ou plusieurs entreprises a été établie par la loi », ce qui vise directement les monopoles légaux.

Ce n'est donc qu'uniquement par la question du champ d'application des règles de concurrence, que des activités qualifiées de service public peuvent éventuellement y échapper, à savoir lorsqu'elles ne présentent pas un caractère purement économique (1º) ou lorsqu'elles sont soustraites aux règles concurrentielles du fait du législateur, dans le respect du droit communautaire (2º). Mais dans les deux cas, l'interprétation jurisprudentielle est en faveur d'une application la plus large possible du droit de la concurrence. Page 431

1. - Le critère de l'activité économique : une interprétation extensive

La qualification d'activité économique emporte application des règles de concurrence, tant en droit français qu'en droit espagnol 486, le premier axant la qualification essentiellement sur la notion d'« activité de production, de distribution et de services » (a), le second sur celle d'« opérateur économique du marché » (b).

a - L'application de l'ordonnance française de 1986 aux activités de production, de distribution et de services

L'interprétation de l'article 53 de l'ordonnance de 1986 soulève une question préalable : cet article limite-t-il le champ d'application aux seules activités de production, de distribution ou de services ? La majorité de la doctrine ne se pose pas la question. Pourtant, on peut estimer qu'une telle interprétation est difficile à soutenir, car, pris à la lettre, l'article 53 « paraît plutôt étendre l'applicabilité de l'ordonnance à toutes ces activités, c'est-à-dire quel que soit le secteur en cause - sous réserve des limitations expresses posées par l'ordonnance elle-même » 487. C'est ainsi que ne pourraient être exclus de l'article 53 les comportements d'achats 488.

En revanche, il semble établi que le texte de l'article 53 de l'ordonnance fran- çaise de 1986 vise uniquement la nature de l'activité : il suffit qu'il s'agisse d'une activité de production, de distribution ou de services pour qu'elle soit soumise aux règles édictées. Toute autre considération est indifférente, à savoir :

- la qualité publique ou privée de la personne exerçant l'activité : dans son rapport d'activités de 1988, le Conseil de la concurrence souligne que les dispositions de l'article 53 sont applicables aux personnes publiques en tant qu'elles ont choisi d'exercer une fonction économique de même nature que celle qui peut être assurée par les entreprises privées, elles-mêmes soumises aux dispositions de l'ordonnance 489 ; Page 432

- la gestion d'un service public notamment industriel ou commercial, du moment que l'opérateur exerce une activité économique 490 ;

- le caractère onéreux ou non de l'activité exercée : une mutuelle syndicale qui ne poursuivait pas de but lucratif a été ainsi assujettie en tant qu'entreprise à l'ordonnance de 1986 491.

L'activité économique au sens du marché est donc l'unique critère d'application de l'ordonnance, ce qui fait dire à certains auteurs qu'il s'agit là d'un critère ni juridique ni économique dans la mesure où « il relève d'un choix : l'activité doit-elle être soumise aux lois du marché ? Le choix est politique » 492.

Il reste que la portée du droit de la concurrence n'est que « quasi-universelle ». Se rapprochant de la situation du droit communautaire, trois cas de figure doivent être considérés 493, qui peuvent échapper à l'ordonnance de 1986 et peuvent, mais pas nécessairement, avoir un lien avec la gestion d'une activité de service public :

I - Le Conseil de la concurrence semble d'abord vouloir interpréter la notion d'activité économique dans le sens uniquement où elle est offerte et non sollicitée. Se qualifiant d'« organisme exclusivement chargé de veiller à ce que la demande puisse s'exprimer aussi librement que possible » 494, le Conseil a estimé que « le fait pour une entreprise de choisir un prestataire de services [-26;] ne constitue pas, pour l'entreprise en cause, une activité de production ou de distribution du service considéré » et que « l'article 53 limite l'application de l'ordonnance aux seules activités des personnes publiques pour lesquelles celles-ci interviennent sur un marché comme offreurs ou distributeurs d'un bien ou d'un service » 495. Toutefois, faute d'un critère de distinction très précis, l'inapplicabilité ne va pas de Page 433 soi et est critiquée par une partie de la...

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