Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 27 février 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:120
Celex Number62018CC0778
Date27 February 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 27 février 2020 (1)

Affaire C778/18

Association française des usagers de banques

contre

Ministre de l’Économie et des Finances

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel – Compte de paiement ou d’épargne – Obligation pour l’emprunteur de domicilier ses revenus sur un compte de paiement pendant une durée fixée par le contrat de prêt – Avantage individualisé – Directive 2007/64/CEArticle 45, paragraphe 2 – Directive (UE) 2015/2366 – Article 55, paragraphe 2 – Directive 2014/17/UE – Article 4, points 26 et 27 – Vente liée – Vente groupée – Article 12, paragraphe 1 – Article 12, paragraphe 2, sous a) – Article 12, paragraphe 3 – Directive 2014/92/UE »






I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France) porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de la directive 2014/17/UE (2), de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2007/64/CE (3), de l’article 55, paragraphe 2, de la directive (UE) 2015/2366 (4), ainsi que de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/92/UE (5). Ces dispositions visent, en substance, à faciliter la mobilité bancaire.

2. Cette demande a été présentée à l’occasion d’un litige opposant l’Association française des usagers de banques (ci‑après l’« AFUB ») au ministre de l’Économie et des Finances, dans le cadre duquel l’AFUB conteste une réglementation nationale qui autorise le prêteur à conditionner une offre de prêt immobilier à la domiciliation par l’emprunteur, pendant dix ans ou, si la durée du contrat de prêt est inférieure, pendant cette durée, de l’ensemble de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement auprès du prêteur, sous réserve pour ce prêteur de faire bénéficier l’emprunteur d’un avantage individualisé en contrepartie de cette domiciliation.

3. L’AFUB estime que cette réglementation méconnaît l’objectif de facilitation de la mobilité bancaire poursuivi par les directives susmentionnées. Dans ce contexte, le Conseil d’État interroge la Cour sur la compatibilité d’une telle réglementation avec les dispositions du droit de l’Union exposées ci‑dessous.

4. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai pourquoi j’estime que, à supposer qu’une réglementation telle que celle en cause au principal permette une vente liée au sens de la directive 2014/17, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans le litige au principal, cette directive n’autorise pas une telle vente liée, ni en vertu de son article 12, paragraphe 2, sous a), ni en vertu de son article 12, paragraphe 3. En revanche, dans la mesure où la juridiction de renvoi estime que la réglementation en cause au principal porte sur une vente groupée au sens de la directive 2014/17, l’article 45, paragraphe 2 de la directive 2007/64, l’article 55, paragraphe 2 de la directive 2015/2366, ainsi que l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/92, ne s’opposent pas à une telle réglementation.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 2007/64

5. L’article 45 de la directive 2007/64, intitulé « Résiliation », prévoit à son paragraphe 2 :

« Pour l’utilisateur de services de paiement, la résiliation d’un contrat‑cadre conclu pour une durée déterminée supérieure à douze mois ou pour une durée indéterminée n’entraîne aucun frais après l’expiration d’une période de douze mois. Dans tous les autres cas, les frais de résiliation doivent être adaptés et en rapport avec les coûts. »

2. La directive 2015/2366

6. La directive 2007/64 a été abrogée avec effet à compter du 13 janvier 2018 par la directive 2015/2366 dont l’article 55 contient, à son paragraphe 2, une disposition en substance identique à celle de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2007/64, si ce n’est que la période visée a été réduite de douze à six mois.

3. La directive 2014/17

7. Les considérants 24 et 25 de la directive 2014/17 sont libellés comme suit :

« (24) Compte tenu des caractéristiques particulières des contrats de crédit relatifs à des biens immobiliers à usage résidentiel, il est courant que les prêteurs proposent au consommateur un ensemble de produits ou de services pouvant être achetés lors de la conclusion du contrat de crédit. Dès lors, étant donné l’importance de ces contrats pour le consommateur, il y a lieu d’établir des règles spécifiques concernant les ventes liées. Associer un contrat de crédit à un ou plusieurs autres services ou produits financiers dans le cadre d’une offre groupée constitue pour les prêteurs un moyen de diversifier leur offre et de concurrencer leurs homologues, pour autant que les composantes de l’offre groupée puissent également être achetées séparément. Si le fait de combiner dans une offre groupée des contrats de crédit et un ou plusieurs autres services ou produits financiers peut présenter des avantages pour les consommateurs, il peut porter atteinte à leur mobilité et à leur capacité à faire des choix en connaissance de cause, à moins que les composantes de l’offre groupée ne puissent être achetées séparément. Il importe de prévenir des pratiques telles que la vente liée de certains produits, susceptibles d’inciter les consommateurs à conclure des contrats de crédit qui ne serviraient pas au mieux leurs intérêts, sans toutefois apporter de restrictions à la vente groupée de produits qui peut être bénéfique pour les consommateurs. Les États membres devraient néanmoins continuer de suivre attentivement les marchés des services financiers de détail afin de veiller à ce que la vente groupée n’entrave pas le choix des consommateurs ni la concurrence sur le marché.

(25) De manière générale, la vente liée ne devrait pas être autorisée, à moins que le service ou le produit financier proposé avec le contrat de crédit ne puisse être offert séparément dans la mesure où il fait partie intégrante du crédit, comme c’est le cas par exemple des découverts garantis. Dans les autres cas, l’offre ou la vente d’un contrat de crédit dans le cadre d’une offre groupée comportant un compte de paiement, un compte d’épargne, un produit d’investissement ou un produit de retraite peut se justifier pour les prêteurs, notamment lorsque le capital disponible sur le compte est utilisé pour rembourser le crédit ou est une condition préalable à la mise en commun de ressources en vue de l’obtention du crédit ou encore lorsque, par exemple, un produit d’investissement ou un produit de retraite privé constitue une garantie supplémentaire pour le crédit. [...] »

8. L’article 4 de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

26. “vente liée” : le fait de proposer ou de vendre, sous forme de lot, un contrat de crédit en même temps que d’autres produits ou services financiers distincts, lorsque le contrat de crédit n’est pas proposé au consommateur séparément ;

27. “vente groupée” : le fait de proposer ou de vendre, sous forme de lot, un contrat de crédit en même temps que d’autres produits ou services financiers distincts, ce contrat de crédit étant aussi proposé au consommateur séparément, mais pas nécessairement aux mêmes conditions que lorsqu’il est proposé de manière groupée avec les services auxiliaires ;

[...] »

9. L’article 12 de ladite directive prévoit :

« 1. Les États membres autorisent la vente groupée mais interdisent la vente liée.

2. Nonobstant le paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir que les prêteurs puissent demander au consommateur, à un membre de sa famille ou à un de ses proches :

a) d’ouvrir ou de tenir un compte de paiement ou d’épargne dont la seule finalité est d’accumuler un capital pour assurer le remboursement du principal et des intérêts du prêt, de mettre en commun des ressources aux fins de l’obtention du crédit ou de fournir au prêteur des garanties supplémentaires en cas de défaut de paiement ;

[...]

3. Nonobstant le paragraphe 1, les États membres peuvent également autoriser les ventes liées lorsque le prêteur peut prouver à son autorité compétente que, en prenant dûment en compte la disponibilité et le prix des produits en question proposés sur le marché, les produits ou catégories de produits liés offerts dans des conditions similaires qui ne sont pas proposés séparément présentent des avantages évidents pour le consommateur. Le présent paragraphe s’applique uniquement aux produits qui sont commercialisés après le 20 mars 2014.

[...] »

4. La directive 2014/92

10. Le considérant 12 de la directive 2014/92 est libellé comme suit :

« [...] L’ensemble des dispositions de la présente directive devraient s’appliquer aux comptes de paiement permettant aux consommateurs d’effectuer les opérations suivantes : verser des fonds, retirer des espèces et exécuter des opérations de paiement, y compris l’exécution de virements, en faveur de tiers, ou être les bénéficiaires de telles opérations de la part de tiers. En conséquence, les comptes assortis de fonctions plus limitées devraient être exclus. Par exemple, devraient en principe être exclus du champ d’application de la présente directive des comptes tels que les comptes d’épargne, les comptes liés à une carte de crédit dans le cadre desquels des fonds sont généralement versés dans le seul but de rembourser une dette de carte de crédit, les comptes courants destinés exclusivement au remboursement d’un crédit hypothécaire (current account mortgages) ou les comptes de monnaie électronique. Toutefois, si ces comptes devaient être utilisés pour exécuter des opérations de paiement quotidiennes et s’ils devaient comporter toutes les fonctions énumérées ci‑dessus, ils relèveraient de la présente directive. [...] »

11. L’article 1 de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit à son paragraphe 6 :

...

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