Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 2 avril 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:252
Celex Number62019CC0186
Date02 April 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 2 avril 2020 (1)

Affaire C186/19

Supreme Site Services GmbH,

Supreme Fuels GmbH & Co KG,

Supreme Fuels Trading Fze

contre

Supreme Headquarters Allied Powers Europe

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 1 – Notion de “matière civile et commerciale” – Mesures provisoires ou conservatoires – Procédure tendant à la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire – Action intentée par une organisation internationale – Actes ou omissions commis dans l’exercice de la puissance publique – Notion – Procédure au fond visant la reconnaissance de l’existence d’une créance contractuelle – Fourniture de carburants dans le cadre d’une mission de maintien de la paix – Immunité d’exécution de cette organisation internationale »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle, formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas), porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 24, point 5, du règlement (UE) nº 1215/2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure de référé engagée par Supreme Headquarters Allied Powers Europe (ci‑après « SHAPE), une organisation internationale, aux fins d’obtenir la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire pratiquée sur un compte séquestre par Supreme Site Services GmbH, Supreme Fuels GmbH & Co KG et Supreme Fuels Trading Fze, trois sociétés établies respectivement en Suisse, en Allemagne et aux Émirats arabes unis (ci‑après, ensemble, « Supreme »), ainsi que l’interdiction pour Supreme de procéder à de nouvelles saisies sur la base des mêmes faits. La saisie-arrêt conservatoire a été autorisée à la suite d’une demande, également devant le juge des référés, de Supreme, dans l’attente de la résolution d’un litige contractuel l’opposant à SHAPE, concernant le paiement de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix menée par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Afghanistan.

3. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi a posé plusieurs questions à la Cour. Plus particulièrement, par ses questions, cette juridiction cherche à savoir si, eu égard au fait que le compte séquestre sur lequel la saisie-arrêt conservatoire a été pratiquée a été ouvert auprès d’une banque en Belgique, les juridictions belges sont exclusivement compétentes, en vertu de l’article 24, point 5 (3), du règlement nº 1215/2012, pour décider de la mainlevée de cette saisie.

4. Cette question implique de trancher celle, préalable, de savoir si une action en référé, telle que celle en cause au principal, relève de la « matière civile ou commerciale » et appartient, à ce titre, au champ d’application matériel du règlement nº 1215/2012, tel que défini à son article 1er, paragraphe 1. Les doutes que nourrit la juridiction de renvoi à cet égard proviennent du fait que, au soutien de son action en référé, SHAPE a invoqué l’immunité d’exécution en vertu du droit international.

5. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur la question posée par la juridiction de renvoi portant sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement nº 1215/2012.

6. À l’issue de mon exposé, je proposerai à la Cour de juger que la question de savoir si une action en référé, telle que celle en cause au principal, qui tend à la levée d’une saisie-arrêt conservatoire, relève de la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, dépend de la nature du droit dont cette saisie-arrêt visait à assurer la sauvegarde, ainsi que du point de savoir si ce droit a sa source dans un comportement de puissance publique ou dans un rapport juridique marqué par une manifestation de puissance publique, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, au regard de l’exclusion relative aux « actes ou [...] omissions commis dans l’exercice de la puissance publique », prévue par cette disposition.

7. En particulier, j’exposerai pourquoi, à mes yeux, le fait qu’une organisation internationale invoque une immunité dont elle prétend disposer en vertu du droit international n’est pas déterminant aux fins de cette analyse et ne saurait faire obstacle à ce que le juge national se déclare internationalement compétent en vertu du règlement nº 1215/2012.

II. Le cadre juridique

A. Le règlement no 1215/2012

8. Le considérant 10 du règlement nº 1215/2012 énonce :

« Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies [...] »

9. L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii). »

B. Le droit néerlandais

10. L’article 700 du Nederlandse Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering (code de procédure civile néerlandais, ci‑après le « code de procédure civile ») dispose :

« 1) La pratique d’une saisie conservatoire nécessite l’autorisation du juge des référés du tribunal dans le ressort duquel se trouvent un ou plusieurs des biens concernés et, si la saisie ne porte pas sur des biens, du tribunal dans le ressort duquel est domicilié le débiteur ou la personne ou l’une des personnes au titre de laquelle est effectuée la saisie.

[...] »

11. Aux termes de l’article 705, paragraphe 1, du code de procédure civile :

« Le juge des référés ayant autorisé la saisie peut, par voie de référé, annuler la saisie à la demande de tout intéressé, sous réserve de la compétence du juge de droit commun. »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

12. SHAPE est une organisation internationale, établie par le protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux crées en vertu du Traité de l’Atlantique Nord, signé à Paris le 28 août 1952 (ci‑après le « protocole de Paris ») (4). Un quartier général régional, à savoir l’Allied Joint Force Command Brunssum (commandement des forces interarmées Brunssum, ci‑après « JFCB »), placé sous l’autorité de SHAPE, est établi à Brunssum (Pays‑Bas).

13. Sur le fondement de deux accords généraux de passation de commande (Basic Ordering Agreements, ci‑après les « BOA »), Supreme a fourni à SHAPE des carburants pour les besoins de la mission de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ci‑après la « FIAS ») de l’OTAN en Afghanistan.

14. En novembre 2013, JFCB et Supreme ont signé une convention de séquestre prévoyant l’ouverture d’un compte séquestre auprès d’une banque en Belgique pour couvrir les demandes d’indemnisation ou les autres réajustements qui pourraient être dus à Supreme par les clients OTAN agréés.

15. À la fin de l’année 2015, Supreme a assigné SHAPE et JFCB devant le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg, Pays‑Bas) en demandant que divers montants soient prélevés sur les fonds déposés sur le compte séquestre (ci‑après la « procédure au fond »). Supreme a étayé sa demande en affirmant qu’elle avait fourni des carburants à SHAPE sur le fondement des BOA pour les besoins de la mission de la FIAS en Afghanistan et que SHAPE et JFCB n’avaient pas respecté les obligations de paiement qui leur incombaient.

16. SHAPE et JFCB ont, à titre incident, soulevé une exception d’incompétence en invoquant l’immunité de juridiction dont elles bénéficieraient, en tant qu’organisations internationales, en vertu du droit international. Par décision du 8 février 2017, le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) s’est déclaré compétent pour connaître des demandes de Supreme. Le 4 mai 2017, SHAPE a interjeté appel de cette décision.

17. Deux procédures devant le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) ont été successivement entamées, en parallèle à la procédure au fond, par Supreme, puis par SHAPE.

18. En premier lieu, à la demande de Supreme, le juge des référés du rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) a, par décision du 14 avril 2016, autorisé Supreme, sur la base de l’article 700 du code de procédure civile, à pratiquer une saisie-arrêt conservatoire sur les fonds déposés sur le compte séquestre. La saisie-arrêt conservatoire a été effectuée le 18 avril 2016.

19. En second lieu, le 17 mars 2017, SHAPE a saisi la même juridiction d’une action en référé, afin d’obtenir la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire effectuée sur le compte séquestre et d’interdire à Supreme de procéder à nouveau à de telles saisies sur la base des mêmes faits. Au soutien de ses demandes, SHAPE a invoqué l’immunité d’exécution en vertu de l’article XI, paragraphe 2, du protocole de Paris, qui énonce, en substance, qu’aucune mesure d’exécution ne peut être prise contre un quartier général institué en vertu du Traité de l’Atlantique Nord.

20. Par décision du 12 juin 2017, le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) a fait droit aux demandes de SHAPE.

21. Cette décision a été confirmée le 27 juin 2017 par le Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch (cour d’appel de ‘s-Hertogenbosch, Pays‑Bas).

22. Le 21 août 2017, Supreme a interjeté appel de cet arrêt devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays‑Bas), qui a soulevé d’office la question de la compétence internationale des juridictions...

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