Opinion of Advocate General Bobek delivered on 6 February 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:80
Date06 February 2020
Celex Number62019CC0002
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 6 février 2020 (1)

Affaire C2/19

A.P.

contre

Riigiprokuratuur

[demande de décision préjudicielle formée par la Riigikohus (Cour suprême, Estonie)]

« Renvoi préjudiciel – Décision‑cadre 2008/947/JAI – Surveillance des mesures de probation et des peines de substitution – Reconnaissance et surveillance d’un jugement infligeant une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve mais n’imposant pas de mesure de probation »






I. Introduction

1. La décision-cadre 2008/947/JAI (2) introduit un mécanisme de reconnaissance mutuelle spécifique des jugements ou des décisions de probation infligeant des mesures de probation ou des peines de substitution. Elle permet de transférer la surveillance des mesures de probation ou des peines de substitution de l’État membre qui a prononcé la peine et imposé ces mesures vers l’État membre dans lequel la personne condamnée réside. L’article 1er de la décision-cadre 2008/947 décrit l’objectif de ce mécanisme, qui vise à « faciliter la réhabilitation sociale des personnes condamnées, à améliorer la protection des victimes et de la société en général, et à faciliter l’application de mesures de probation et de peines de substitution appropriées lorsque l’auteur de l’infraction ne vit pas dans l’État de condamnation ».

2. En l’espèce, les autorités lettones ont demandé aux autorités estoniennes d’appliquer ce mécanisme à un jugement infligeant une peine d’emprisonnement de trois ans, dont l’exécution était suspendue sous condition pendant la même période, si la personne condamnée ne commettait pas de nouvelle infraction pénale intentionnelle. Toutefois, ce jugement n’était assorti d’aucune mesure de probation particulière.

3. C’est dans ce contexte que la Cour est appelée à statuer sur le champ d’application (matériel) du mécanisme de reconnaissance mutuelle prévu par la décision-cadre 2008/947 : ce mécanisme doit‑il s’appliquer également à un jugement qui prononce uniquement une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve et qui n’inflige pas de mesure de probation ?

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. Le considérant 8 de la décision-cadre 2008/947 énonce que « [l]a reconnaissance mutuelle et la surveillance des peines assorties du sursis avec mise à l’épreuve, des condamnations sous condition, des peines de substitution et des décisions de libération conditionnelle visent à accroître les chances de réinsertion sociale de la personne condamnée en lui donnant la possibilité de conserver ses liens familiaux, linguistiques, culturels et autres ; l’objectif consiste toutefois également à améliorer le contrôle du respect des mesures de probation et des peines de substitution dans le but de prévenir la récidive et de tenir ainsi compte du souci de protection des victimes et de la société en général ».

5. Le considérant 9 déclare qu’« [i]l existe plusieurs types de mesures de probation et de peines de substitution qui sont communément appliquées dans les États membres et que tous les États membres sont en principe disposés à surveiller. La surveillance de ces types de mesures et de peines devrait être obligatoire, sous réserve de certaines exceptions prévues par la présente décision-cadre. En outre, les États membres peuvent déclarer qu’ils sont disposés à surveiller d’autres types de mesures de probation ou de peines de substitution ».

6. L’article 1er de la décision-cadre 2008/947 définit les objectifs et le champ d’application de cet instrument :

« 1. La présente décision-cadre vise à faciliter la réhabilitation sociale des personnes condamnées, à améliorer la protection des victimes et de la société en général, et à faciliter l’application de mesures de probation et de peines de substitution appropriées lorsque l’auteur de l’infraction ne vit pas dans l’État de condamnation. En vue d’atteindre ces objectifs, la présente décision-cadre définit les règles selon lesquelles un État membre autre que celui où la personne a été condamnée reconnaît les jugements et, le cas échéant, les décisions de probation et surveille les mesures de probation prononcées sur la base d’un jugement ou les peines de substitution qu’il comporte et prend toute autre décision en rapport avec ledit jugement, sauf si la présente décision-cadre en dispose autrement.

2. La présente décision-cadre s’applique uniquement :

a) à la reconnaissance de jugements et, le cas échéant, de décisions de probation ;

b) au transfert de la surveillance de mesures de probation et de peines de substitution ;

c) à toute autre décision liée à celles qui sont visées aux points a) et b),

conformément à ce que décrit et prévoit la présente décision-cadre.

[…] »

7. L’article 2 définit les termes suivants :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

1. “jugement”, la décision définitive rendue par une juridiction de l’État d’émission établissant qu’une personne physique a commis une infraction pénale et prononçant :

a) une peine ou mesure privative de liberté si une libération conditionnelle a été accordée sur la base de ce jugement ou par une décision de probation ultérieure ;

b) une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve ;

c) une condamnation sous condition ;

d) une peine de substitution ;

2. “peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve”, une peine ou mesure privative de liberté dont l’exécution est suspendue sous condition, en totalité ou en partie, au moment de la condamnation, du fait de l’adoption d’une ou de plusieurs mesures de probation. Ces mesures de probation peuvent être inscrites dans le jugement lui‑même ou arrêtées dans une décision de probation distincte rendue par une autorité compétente ;

3. “condamnation sous condition”, un jugement décidant l’ajournement du prononcé d’une peine du fait de l’adoption d’une ou de plusieurs mesures de probation, ou imposant une ou plusieurs mesures de probation au lieu d’une peine ou mesure privative de liberté. Ces mesures de probation peuvent être inscrites dans le jugement lui‑même ou arrêtées dans une décision de probation distincte, prise par une autorité compétente ;

[…]

5. “décision de probation”, un jugement ou une décision définitive rendue par une autorité compétente de l’État d’émission sur la base d’un tel jugement :

a) accordant la libération conditionnelle ; ou

b) prononçant des mesures de probation ;

[…]

7. “mesures de probation”, des obligations et injonctions imposées par une autorité compétente à une personne physique conformément aux dispositions du droit interne de l’État d’émission en liaison avec une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve, une condamnation sous condition ou une libération conditionnelle ;

[…] »

8. L’article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre 2008/947 énumère, sous a) à k), différents types de mesures de probation et de peines de substitution auxquelles la décision-cadre s’applique. Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, chaque État membre notifie au secrétariat général du Conseil les mesures de probation et les peines de substitution, autres que celles mentionnées à l’article 4, paragraphe 1, qu’il est disposé à surveiller.

9. L’article 14 concerne la « [c]ompétence pour toute décision ultérieure et [la] loi applicable » :

« 1. L’autorité compétente de l’État d’exécution est compétente pour prendre toute décision ultérieure ayant trait à une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve, une libération conditionnelle, une condamnation sous condition ou une peine de substitution, en particulier lorsqu’une mesure de probation ou une peine de substitution n’a pas été respectée ou lorsque la personne condamnée commet une nouvelle infraction pénale.

Ces décisions ultérieures sont notamment :

a) la modification des obligations ou des injonctions que comporte la mesure de probation ou la peine de substitution, ou la modification de la durée de la période de probation ;

b) la révocation du sursis à l’exécution du jugement ou la révocation de la décision de libération conditionnelle ; ainsi que

c) le prononcé d’une peine ou d’une mesure privative de liberté en cas de peine de substitution ou de condamnation sous condition.

2. La loi applicable aux décisions rendues conformément au paragraphe 1, ainsi qu’à toutes les conséquences découlant du jugement, y compris, le cas échéant, à l’exécution de la peine et, au besoin, à l’adaptation de la peine ou mesure privative de liberté, est celle de l’État d’exécution.

[…] »

B. Le droit estonien

10. Conformément à l’article 50857 du kriminaalmenetluse seadustik (code de procédure pénale, Estonie), la reconnaissance des jugements et l’exercice de la surveillance ordonnée en vertu de cet article ne sont autorisés que pour une liste de mesures de probation ou de peines de substitution correspondant à la liste figurant à l’article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre 2008/947.

III. Les faits, le déroulement de la procédure et la question préjudicielle

11. Par jugement du 24 janvier 2017, la Rīgas pilsētas Latgales priekšpilsētas tiesa (tribunal de la ville de Riga, arrondissement suburbain de Latgale, Lettonie) a, conformément à l’article 20, paragraphe 4, et à l’article 195, paragraphe 3, du Krimināllikums (code pénal, Lettonie), reconnu le requérant coupable d’avoir, à grande échelle, soutenu le blanchiment de moyens financiers issus du crime (ci‑après le « jugement en cause »). Le requérant a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, dont l’exécution a été suspendue sous condition pendant un délai d’épreuve de trois ans, s’il ne commettait pas de nouvelle infraction pénale intentionnelle.

12. Les autorités lettones ont demandé aux autorités estoniennes de reconnaître et d’exécuter le jugement en cause en Estonie.

13. Par ordonnance du 16 février 2018, le Harju Maakohus (tribunal de première instance de Harju, Estonie) a déclaré le jugement en cause exécutoire en Estonie. Le Riigiprokurör (Procureur général, Estonie) a estimé que le...

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