Opinion of Advocate General Campos Sánchez-Bordona delivered on 2 April 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:253
Date02 April 2020
Celex Number62019CC0343
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 2 avril 2020 (1)

Affaire C343/19

Verein für Konsumenteninformation

contre

Volkswagen AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche)]

« Procédure préjudicielle — Règlement (UE) no 1215/2012 — Compétence judiciaire en matière de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle — Lieu du fait dommageable — Manipulation des valeurs d’émission de gaz dans les moteurs de véhicules automobiles »






1. En 1976, la Cour a été confrontée pour la première fois à une question que le législateur avait laissée ouverte à l’article 5, point 3), de la Convention de Bruxelles (2). Elle a dû décider si, aux fins de la détermination de la compétence judiciaire, le « lieu où le fait dommageable s’est produit » est le lieu où le dommage est survenu ou bien celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage (3).

2. Afin de fournir une interprétation utile du système de répartition des compétences internationales entre les États membres, la Cour a retenu la possibilité de recourir aux deux points de rattachement. La solution (qui était la plus raisonnable pour l’affaire en cause) est devenue le paradigme. Sur un plan purement théorique, elle n’est pas dénuée de sens, étant donné que toute responsabilité extra contractuelle requiert un fait, un dommage et un lien de causalité entre ceux‑ci.

3. En pratique, la solution n’est pas aussi évidente, sauf dans des affaires simples comme celle tranchée par l’arrêt Bier. Elle n’est en particulier pas évidente lorsque le dommage, par sa nature même, n’a pas d’aspect matériel. Tel est le cas des atteintes qui n’affectent pas l’intégrité physique d’une personne ou d’une chose données, mais, de manière générale, le patrimoine.

4. La Cour, qui a abordé ces problèmes à diverses reprises et sous différents angles (4), a désormais l’occasion d’affiner sa jurisprudence relative à l’article 7, point 2), du règlement (UE) nº 1215/2012 (5).

I. Le cadre juridique. Le règlement no 1215/2012

5. Le considérant 16 du règlement est ainsi libellé :

« Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation ».

6. Le chapitre II (« Compétence ») du règlement contient une section intitulée « Dispositions générales » (articles 4, 5 et 6) et une section intitulée « Compétences spéciales » (articles 7, 8 et 9).

7. Aux termes de l’article 4 du règlement :

« 1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

[…] ».

8. En vertu de l’article 7 du règlement :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

[...]

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

[...] ».

II. Le litige au principal et la question préjudicielle

9. Le Verein für Konsumenteninformation (ci‑après « VKI ») est une organisation de consommateurs ayant son siège en Autriche. Son objet statutaire inclut, entre autres, l’exercice d’actions en justice pour la défense des droits des consommateurs, que ceux‑ci lui cèdent à cette fin.

10. Le 6 septembre 2018, VKI a intenté devant la juridiction de renvoi une action contre Volkswagen AG, une société de droit allemand ayant son siège en Allemagne, pays dans lequel celle‑ci fabrique des véhicules automobiles.

11. Dans son action, VKI exerce les droits à indemnisation qui lui ont été cédés par 574 acheteurs de véhicules. Elle demande également que la responsabilité de Volkswagen soit constatée pour des dommages futurs qui n’ont pas encore été quantifiés. Les deux demandes sont liées à l’installation, dans les véhicules achetés, d’un dispositif de désactivation (un logiciel manipulant les données) qui a masqué, lors de la réalisation de tests, les valeurs réelles des émissions de gaz d’échappement, en violation des règles du droit de l’Union (6).

12. VKI affirme que tous les consommateurs lui ayant cédé leurs droits ont acquis en Autriche, soit auprès d’un concessionnaire professionnel, soit auprès d’un particulier, des véhicules équipés d’un moteur mis au point par Volkswagen. Les acquisitions en cause ont été faites avant la révélation au public, le 18 septembre 2015, de la manipulation sur les gaz d’échappement opérée par le fabricant.

13. Selon VKI, le préjudice causé aux propriétaires des véhicules réside dans le fait que, s’ils avaient eu connaissance de la manipulation invoquée, ils n’auraient probablement pas acheté les véhicules, ou l’auraient fait à un prix inférieur. La différence entre le prix d’un véhicule ayant fait l’objet d’une manipulation et celui effectivement payé constitue un préjudice découlant d’une atteinte à la confiance et ouvrant droit à réparation. À titre subsidiaire, VKI fonde sa demande sur le fait que, tant sur le marché des voitures neuves que sur celui des voitures d’occasion, la valeur d’un véhicule ayant fait l’objet d’une manipulation est bien inférieure à celle d’un véhicule ne l’ayant pas été.

14. VKI affirme également que le préjudice subi par les acheteurs a été accru par une augmentation de la consommation de carburant, par une diminution de la performance de ces véhicules ou de leur moteur ou encore par une usure plus importante. En outre, selon VKI, il y a lieu de s’attendre à une perte supplémentaire de la valeur de marché des véhicules concernés, qui risquent de subir d’autres inconvénients, tels qu’une interdiction de circulation ou un retrait d’agrément. Au moment de l’introduction de la demande, certains de ces préjudices n’étaient pas encore quantifiables ou ne s’étaient pas encore matérialisés, de sorte que la demande de VKI à cet égard est simplement déclaratoire.

15. S’agissant de la compétence judiciaire internationale de la juridiction devant laquelle il a introduit la demande, VKI invoque l’article 7, point 2), du règlement.

16. Volkswagen conclut au rejet des demandes de VKI et conteste la compétence judiciaire internationale de la juridiction de renvoi.

17. Dans ce contexte, le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche) pose la question préjudicielle suivante :

« L’article 7, point 2), du règlement (UE) nº 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit-il être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, on peut considérer comme “lieu où le fait dommageable s’est produit” le lieu, situé à l’intérieur d’un État membre, où s’est produit le préjudice si ce préjudice consiste exclusivement en une perte financière qui est la conséquence directe d’agissements susceptibles d’engager la responsabilité délictuelle survenus dans un autre État membre ? ».

III. Analyse

A. Introduction

18. L’article 7, point 2), du règlement, qui établit en faveur du demandeur un critère de compétence alternatif au for général (c’est‑à‑dire celui correspondant au domicile du défendeur dans un État membre, prévu à l’article 4, paragraphe 1, du règlement), a toujours constitué un défi pour l’interprète (7).

19. En raison de la pluralité et de l’hétérogénéité des situations propres à donner lieu à une action « en matière délictuelle ou quasi délictuelle », la Cour a été confrontée à l’exégèse de la disposition en cause dans des contextes très différents et qui, au fil du temps, sont apparus différents également de ceux imaginés lorsque cette disposition a été adoptée (8). Il lui a appartenu de l’adapter et de l’enrichir, à l’occasion des questions préjudicielles provenant des États membres (9).

20. Plusieurs critères invariables existent cependant pour interpréter la disposition en cause : la fonction centrale des principes qui la régissent, à savoir du principe de la prévisibilité des règles (pour les parties) et de celui de la proximité entre la juridiction compétente et le litige ; la préoccupation de maintenir l’utilité de la règle spéciale, dans le cadre du système de répartition des compétences, sans toutefois que cela autorise une interprétation extensive (10) ; et la neutralité de cette règle par rapport aux parties. L’interprétation est, en tout état de cause, autonome, c’est à dire indépendante tant de la définition du « fait » et du « dommage » dans les systèmes nationaux que du régime de fond applicable à la responsabilité civile (11).

21. L’article 7, point 2), du règlement présuppose un lien particulièrement étroit entre la juridiction compétente et le litige. Ce lien sert à assurer la sécurité juridique et à empêcher qu’une personne soit attraite devant une juridiction d’un État membre qu’elle n’aurait pas pu raisonnablement prévoir. Il facilite également la bonne administration de la justice et le bon déroulement du procès (12).

22. Lorsque le comportement illicite et ses conséquences sont situés dans différents États membres, le critère de la compétence judiciaire se dédouble, car on présume que, en matière de responsabilité délictuelle, les deux lieux présentent un lien significatif avec le litige. Dans ces circonstances, le demandeur peut choisir entre les deux juridictions lorsqu’il introduit...

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