Opinion of Advocate General Bobek delivered on 2 April 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:251
Date02 April 2020
Celex Number62018CC0724
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 2 avril 2020 (1)

Affaires jointes C724/18 et C727/18

Cali Apartments SCI (C724/18)

HX (C727/18)

contre

Procureur général près la cour d’appel de Paris,

Ville de Paris

[Demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Directive 2006/123/CE – Champ d’application – Location de biens meublés de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile – Réglementation nationale et réglementation municipale soumettant une telle location à une autorisation préalable et à compensation – Justification – Objectif visant à garantir une offre suffisante de logements à des prix abordables et destinés à la location de longue durée— Proportionnalité »






I. Introduction

1. Cali Apartments et HX (ci‑après les « requérants ») ont été condamnés au paiement d’une amende pour avoir loué sans autorisation leurs studios respectifs à Paris, en France. En droit français, la location de biens meublés de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile est soumise à autorisation. Les requérants ont contesté cette obligation d’autorisation devant les juridictions nationales comme étant incompatible avec la libre prestation de services qu’ils tirent du droit de l’Union.

2. Dans la présente affaire, la Cour est de nouveau invitée à examiner dans quelle mesure la réglementation de l’Union relative aux services doit être appliquée à différentes activités de l’économie collaborative (peer-to-peer) réalisées par l’intermédiaire de plateformes numériques. Toutefois, contrairement aux affaires précédentes, centrées principalement sur la nature des activités offertes en amont par les plates-formes elles‑mêmes (2), la présente affaire porte sur les effets sociaux et sociétaux de tels services en aval sur leurs « marchés » respectifs, tels que le marché du logement à Paris.

3. Les présentes affaires soulèvent trois grandes questions de principe. La réponse aux deux premières questions n’est, selon moi, pas particulièrement difficile : une réglementation nationale qui soumet la location de biens meublés pour de courtes durées à une autorisation délivrée par le maire concerné relève-t-elle du champ d’application de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (3) ? Dans l’affirmative, la mise en place d’un régime d’autorisation pour ce type de services peut-elle être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, notamment celles d’assurer une offre de logements à des prix abordables et destinés à la location de longue durée et de protéger l’environnement urbain ?

4. La réponse affirmative que je propose à la Cour de donner à ces deux questions soulève néanmoins la troisième et véritable question épineuse posée par la juridiction de renvoi : quels critères ou mesures seraient proportionnels aux objectifs d’intérêt général poursuivis ? En ce qui concerne la réglementation municipale de la ville de Paris, dans quelle mesure l’octroi d’une telle autorisation peut-il être subordonné à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage ?

II. Le cadre légal

A. Droit de l’Union

5. Le considérant 9 de la directive 2006/123 énonce :

« La présente directive s’applique exclusivement aux exigences qui affectent l’accès à une activité de service ou l’exercice d’une telle activité. Il s’ensuit qu’elle ne s’applique pas aux exigences telles que les règles de la circulation routière, la réglementation en matière d’aménagement ou de développement du territoire, la réglementation relative à l’aménagement des zones urbaines et rurales, les normes en matière de construction, ainsi que les sanctions administratives infligées en cas de non‑respect de ces règles qui ne réglementent pas ou n’affectent pas spécifiquement l’activité de service, mais doivent être respectées par les prestataires dans l’exercice de leur activité économique, de la même façon que par des personnes agissant à titre privé. »

6. Le considérant 27 se lit comme suit :

« La présente directive ne devrait pas couvrir les services sociaux dans les domaines du logement […] Ces services sont essentiels pour garantir le droit fondamental à la dignité et à l’intégrité humaines et sont une manifestation des principes de cohésion sociale et de solidarité et ne devraient pas être affectés par la présente directive. »

7. L’article 2 définit le champ d’application de la directive 2006/123. Il dispose :

« 1. La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre.

2. La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes :

a) les services d’intérêt général non économiques ;

[…]

j) les services sociaux relatifs au logement social, à l’aide à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin qui sont assurés par l’État, par des prestataires mandatés par l’État ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l’État ;

[…] »

8. L’article 4 définit plusieurs termes employés dans la directive 2006/123 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “service”, toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 du traité ;

2) “prestataire”, toute personne physique ressortissante d’un État membre, ou toute personne morale visée à l’article 48 du traité et établie dans un État membre, qui offre ou fournit un service ;

[…]

6) “régime d’autorisation”, toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ;

7) “exigence”, toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres ou découlant de la jurisprudence, des pratiques administratives, des règles des ordres professionnels ou des règles collectives d’associations professionnelles ou autres organisations professionnelles adoptées dans l’exercice de leur autonomie juridique ; les normes issues de conventions collectives négociées par les partenaires sociaux ne sont pas en tant que telles, considérées comme des exigences au sens de la présente directive ;

8) “raisons impérieuses d’intérêt général”, des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice, qui incluent les justifications suivantes : l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la préservation de l’équilibre financier du système de sécurité sociale, la protection des consommateurs, des destinataires de services et des travailleurs, la loyauté des transactions commerciales, la lutte contre la fraude, la protection de l’environnement et de l’environnement urbain, la santé des animaux, la propriété intellectuelle, la conservation du patrimoine national historique et artistique, des objectifs de politique sociale et des objectifs de politique culturelle ;

[…] »

9. L’article 9, qui ouvre le chapitre III de la directive 2006/123, consacré à la liberté d’établissement des prestataires, énonce des règles relatives aux régimes d’autorisation :

« 1. Les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies :

a) le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;

b) la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

[…] »

10. L’article 10 de la directive 2006/123 prévoit les conditions d’octroi d’une autorisation :

« 1. Les régimes d’autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui‑ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire.

2. Les critères visés au paragraphe 1 sont :

a) non discriminatoires ;

b) justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) proportionnels à cet objectif d’intérêt général ;

d) clairs et non ambigus ;

e) objectifs ;

f) rendus publics à l’avance ;

g) transparents et accessibles.

[…]

7. Le présent article ne remet pas en cause la répartition des compétences locales ou régionales des autorités de l’État membre compétentes pour délivrer les autorisations. »

11. L’article 11 de la directive 2006/123 concerne la durée d’une autorisation.

« 1. L’autorisation octroyée au prestataire ne doit pas avoir une durée limitée, à l’exception des cas suivants :

a) l’autorisation fait l’objet d’un renouvellement automatique ou est subordonnée seulement à l’accomplissement continu d’exigences ;

b) le nombre d’autorisations disponibles est limité par une raison impérieuse d’intérêt général ;

ou

c) une durée limitée d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

[…] »

12. L’article 12 de la directive 2006/123, intitulé « Sélection entre plusieurs candidats », est relatif à des situations où le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité. L’article 13 prévoit des règles relatives aux procédures d’autorisation. Les articles 14 et 15 de la directive 2006/123, quant à eux, énoncent respectivement les exigences interdites et celles à évaluer.

B. Le droit français

1. Le code du tourisme

13. L’article L. 324‑1-1 du code du tourisme dispose :

« Toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme, que celui‑ci soit classé ou non au sens du présent code, doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès...

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