La science au coeur du droit

AuthorMagdalena Lewandowski-Arbitre
ProfessionDocteur en droit communautaire et international (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
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Cet aperçu historique du droit de la sécurité alimentaire est terminé. Il s'agit d'une approche "réaliste" du droit qui inclut les composantes scientifiques, économiques et culturelles de cette discipline ou de la "photographie" d'une société. En voici une synthèse.

I - Évolutions de la gouvernance

Du Moyen Âge au XXIe siècle en Europe, deux nombreux courants de pensée économiques, juridiques et sociologiques se sont succédés, et aujourd'hui en étudiant le mouvement de l'histoire passée, et des enjeux présents, il est possible de se projeter dans le futur.

A - Historique des gouvernances organiques traditionnelles

Si quelques lignes devaient décrire l'histoire les 1 000 dernières années en Europe, serait-il possible de la résumer ainsi ?

Trois éléments caractériseraient chaque époque : le premier maillon de la "photographie" de chacun de ces moments de l'histoire serait l'état des connaissances scientifiques et technologiques, toujours précurseur de leur mise en application pratique, reflété par le système économique en vigueur, et traduit en dernier lieu par l'adaptation du droit aux réalités de l'économie, à travers notamment la création de nouveaux droits de propriété (valeur, modalités et prix des échanges)714.

Moyen Âge

Ainsi, le Moyen Âge pourrait être caractérisé comme une société de connaissance scientifique/technologique fondée principalement sur l'exploitation du bois et des animaux de trait. Son fondement économique est l'agriculture, et par voie de conséquence la terre est le bien immobilier par excellence. Son système politique se traduit par l'exercice vertical pyramidale "descendant" du pouvoir monarchique : Dieu offre au Roi le pouvoir régalien de régir ses sujets, qui lui obéissent.

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Figure 18 Évolution de la gouvernance.

[GRAFICO DISPONIBLE EN PDF ADJUNTO]

XIXe siècle - Seconde Guerre mondiale

Le XIXe siècle, avec la révolution industrielle, se caractérise notamment par l'apparition de nouvelles énergies et de nouveaux transports tels l'électricité, le charbon, les transports ferroviaires. Les biens industriels et leurs exploitants en développant ces nouvelles richesses se mettent en situation de concurrence avec les précédents détenteurs des biens : l'Église, et la noblesse. L'industrie, bien mobilier, obtient une place dans la hiérarchie des valeurs pécuniaires du droit. Simultanément, un nouveau système politique se met en place : la démocratie. Il s'agit toujours d'un système pyramidale vertical d'exercice du pouvoir, mais cette fois "ascendant". Les citoyens élisent leurs représentants qui les gouvernent.

Union européenne de l'après-guerre

La seconde guerre mondiale constitue un nouveau pas de cette évolution. En effet, le rétablissement de la paix en Europe correspond à un nouvel élan scientifique et technologique du développement des Européens. L'agriculture pour la première fois "productive" approvisionne le citoyen à sa faim, et le consommateur n'est plus dépendant de la "nature". "L'homme" maîtrise enfin son environnement, et le modèle à sa façon. Il exploite le pétrole, se déplace en voiture, par cargos, et surtout par avion. Ces nouvelles technologies se développent et donnent notamment naissance à une économie de services.

La démocratie se pratique encore mais différemment. L'exercice du pouvoir actuel européen pourrait être représenté aussi d'une façon pyramidale. Les citoyens se trouveraient toujours à la base du système et éliraient leurs représentants politiques. Ceux-ci, en revanche, ne se situeraient plus au sommet de la pyramide, mais au milieu. En effet, les scientifiques, les experts, les spécialistes Page 223occuperaient le sommet de la pyramide, et les gouvernants, au milieu de celle-ci auraient pour rôle de trouver des compromis entre les nécessités des citoyens et les connaissances scientifiques "actuelles". Le citoyen souhaite consommer des "produits sains", les experts déterminent par l'évaluation des risques les minima et maxima à respecter dans les denrées alimentaires, et les gouvernants, par la procédure de gestion du risque, décident de la législation effective à mettre en oeuvre.

Agenda XXI

Et comment sera le XXIe siècle ? Après 50 années de domination de l'environnement, "l'homme" s'est aperçu qu'il pouvait être à l'origine de nombreuses pollutions dangereuses pour la planète. Ainsi, depuis les conférences de Rio de Janeiro en 1992, et de Johannesburg en 2002, les notions de développement durable se sont développées.

Le modèle scientifique/technologique proposé est l'exploitation des énergies renouvelables, et des transports propres. Les nouveaux biens de valeur pécuniaire relèvent du domaine de la propriété intellectuelle, de la recherche, de l'innovation, des brevets d'inventions. La richesse n'est plus un bien immobilier ("l'Espace"), ni un bien mobilier, mais le savoir ("le Temps"). L'expertise, le "consulting" octroyés par une personne spécialisée et expérimentée, tel l'art d'un "chirurgien" est un atout majeur dans le développement économique des pays. Une nouvelle forme de démocratie fait partie intégrante de ce mouvement : la gouvernance moderne. Cette fois, l'exercice du pouvoir ne serait pas représenté par une pyramide mais par un cercle divisé en parts de "camembert".

Àchaque niveau de gouvernance, ONU, OMC, UE, État, région, localité, tous les "corps de métier" interviennent dans la création législative et la gestion du territoire. Ainsi, les scientifiques, les politiques, les économistes, les sociologues, les juristes, et la société civile interviennent. Chacun, à son niveau territorial, exerce son droit par essence de même "nature", mais à degré différent de spécialité. Par exemple, l'OIE émet un avis scientifique, l'EFSA ("éminents spécialistes") le reprend par rapport à ses exigences territoriales de bien-être animal, et au niveau local, en fonction de la géographie du territoire, les autorités publiques ("généralistes, connaisseurs de leur territoire") adoptent les dispositions les plus appropriées.

Ainsi, le droit n'est plus appréhendé d'une manière organique traditionnelle où les seuls acteurs du droit international public étaient les États souverains, et les organisations internationales, et ceux du droit national, seules les personnes publiques et non-privées. Avec l'introduction du protocole de l'analyse du risque, le droit devient "fonctionnel"/"protocolaire" : chacun, en fonction de son rôle dans la société, et de sa compétence, apporte une pièce à l'édifice à chaque niveau territorial de gestion de la chose publique.

Quelles perspectives...

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B - Vers une définition fonctionnelle révolutionnaire de la gouvernance
1. - Confusion actuelle des sources du droit de la sécurité alimentaire

Comme étudié dans ce manuel, il apparaît que de nouvelles dispositions régissent le droit de la sécurité alimentaire. La procédure d'analyse des risques est adoptée pour aboutir à cette même situation où chacun est co-auteur de l'innocuité et de la sécurité alimentaire. L'EFSA propose, le législateur communautaire et les États membres disposent, tandis que les opérateurs économiques appliquent la législation.

Les réformes découlant des règlements 178/2002 et le "paquet hygiène" déterminent des principes généraux de la sécurité alimentaire. En effet, des obligations "objectives" sont édictées, mais il existe aussi une grande place pour une réglementation "subjective". Une grande place est faite à la mise en place de systèmes HACCP uniques aux établissement agroalimentaires, ou encore de codes de bonne conduite par les professionnels d'un secteur spécifique de la chaîne alimentaire.

Àcet égard, il faut souligner la distinction de ces deux catégories de spécifications techniques en droit communautaire.

a - Spécifications techniques

En effet, la directive 83/139715 abrogée et remplacée par la directive 98/34/CE716donne les définitions suivantes :

* Le terme de spécification technique signifie "une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d'un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d'emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomi- nation de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d'essai, l'emballage, le marquage et l'étiquetage, ainsi que les procédures d'évaluation de la conformité... recouvrent également les méthodes et les procédés de production relatifs aux produits agricoles au titre de l'article 38 § 1, du traité, aux produits destinés à l'alimentation humaine et animale, ainsi qu'aux médicaments tels que définis à...

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