Tesco-Global Áruházak

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:567
Celex Number62018CC0323
CourtCourt of Justice (European Union)
Date04 July 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 4 juillet 2019 (1)

Affaire C323/18

Tesco-Global Áruházak Zrt.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága

[demande de décision préjudicielle formée par le Budapest Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie)]

« Demande de décision préjudicielle – Liberté d’établissement – Aides d’État – Système de taxe sur la valeur ajoutée – Impôt lié au chiffre d’affaires applicable aux entreprises de commerce de détail – Effet défavorable d’un barème fiscal progressif à l’égard des entreprises étrangères – Discrimination indirecte – Justification d’un impôt progressif fondé sur le chiffre d’affaires »






I. Introduction

1. Dans le cadre de la présente affaire, la Cour est une nouvelle fois (2) saisie de la question d’une restriction indirecte aux libertés fondamentales produite par une réglementation fiscale, dont l’effet discriminatoire ne peut être déduit que de son barème progressif, qui taxe plus lourdement les personnes économiquement plus fortes (3). Étant donné que ces dernières ont tendance à exercer leurs activités au-delà des frontières, l’on pourrait y voir une discrimination indirecte à leur encontre, surtout si la progressivité est utilisée de manière ciblée pour viser les entreprises multinationales économiquement plus fortes.

2. Outre une violation de la liberté d’établissement, une violation de l’interdiction des aides doit être envisagée. Une imposition progressive des entreprises économiquement plus fortes pourrait également constituer une aide contraire au marché intérieur en faveur des entreprises économiquement plus faibles, qui, en raison du barème progressif d’imposition, sont moins lourdement imposées.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. L’article 401 de la directive 2006/112 (4) (ci‑après la « directive TVA ») est libellé comme suit :

« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un État membre de taxes sur les contrats d’assurance et sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition que la perception de ces impôts, droits et taxes ne donne pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »

B. Le droit national

4. L’affaire au principal se situe dans le contexte de l’Az egyes ágazatokat terhelő különadóról szóló 2010. évi XCIV. törvény (loi XCIV de 2010 relative à l’impôt spécial grevant certains secteurs, ci‑après la « loi relative à l’impôt spécial »), qui, pour les années 2010 à 2012, prévoyait un impôt spécial fondé sur le chiffre d’affaires pour les entreprises opérant dans certains secteurs.

5. Le préambule de la loi relative à l’impôt spécial est rédigé comme suit :

« Dans le cadre du redressement de l’équilibre budgétaire, le Parlement institue la loi ci‑après, relative à l’instauration d’un impôt spécial à la charge des contribuables dont la capacité à contribuer aux charges publiques est supérieure à l’obligation fiscale générale. »

6. L’article 1er de la loi relative à l’impôt spécial contient les dispositions explicatives suivantes :

« Aux fins de la présente loi, on entend par :

1. Activité de commerce de détail en magasin : conformément au Gazdasági Tevénkenységek Egységes Osztályozási Rendszerre (système de classification uniforme des activités économiques), en vigueur le 1er janvier 2009, les activités classées dans le secteur nº 45.1, hors commerce de gros de véhicules et de remorques, dans les secteurs nº 45.32, 45.40, hors réparation et commerce de gros de motocyclettes, ainsi que dans les secteurs nº 47.1 à 47.9. […] »

7. Aux termes de l’article 2 de la loi relative à l’impôt spécial :

« Sont soumis à l’impôt :

a) le commerce de détail en magasin ;

b) l’activité de télécommunications ;

c) la fourniture d’énergie. »

8. L’article 3 de la loi relative à l’impôt spécial définit les contribuables assujettis de la manière suivante :

« (1) Les assujettis sont les personnes morales, les autres organisations au sens du code général des impôts et les travailleurs indépendants exerçant une activité soumise à l’impôt au sens de l’article 2.

(2) Sont également soumis à l’impôt les organisations et les particuliers non-résidents, pour les activités soumises à l’impôt visées à l’article 2, dès lors qu’ils les exercent sur le marché intérieur par l’intermédiaire de filiales. »

9. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt spécial, la base imposable est :

« le chiffre d’affaires net des assujettis résultant des activités visées à l’article 2, durant l’exercice fiscal ».

10. L’impôt spécial présente une structure de taux d’imposition progressive. Conformément à l’article 5, sous a), de la loi relative à l’impôt spécial,

« En cas d’exercice d’une activité visée à l’article 2, sous a), le taux est de 0 % pour la partie de l’assiette d’imposition qui ne dépasse pas 500 millions de forints, de 0,1 % pour la partie de l’assiette d’imposition comprise entre 500 millions et 30 milliards de forints, de 0,4 % pour la partie de l’assiette d’imposition comprise entre 30 milliards et 100 milliards de forints, et de 2,5 % pour la partie de l’assiette d’imposition qui dépasse 100 milliards de forints. »

11. L’article 7 de cette loi définit les conditions dans lesquelles l’impôt s’applique aux entreprises dites liées :

« L’impôt des assujettis qualifiés d’entreprise liée au sens de la loi [n° LXXXI de 1996] relative à l’impôt sur les sociétés et les dividendes doit être déterminé en totalisant les chiffres d’affaires nets provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), exercées par des assujettis entretenant des relations d’entreprise liée, et le montant obtenu en appliquant le taux défini à l’article 5 à ce total doit être divisé entre les assujettis proportionnellement à leurs chiffres d’affaires nets respectifs provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), par rapport au chiffre d’affaires net total provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), réalisé par tous les assujettis liés. »

12. En outre, l’Az adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi n° XCII de 2003, sur les règles d’imposition ; ci‑après « la loi relative aux règles d’imposition ») énonce, à l’article 124/B, les règles suivantes :

« L’autorité fiscale statue, sans avoir effectué de contrôle, sur l’autorectification réalisée par le contribuable dans un délai de quinze jours à compter de l’envoi de la déclaration de rectification lorsque le seul motif de l’autorectification est que la disposition prévoyant l’obligation fiscale est contraire à la loi fondamentale ou à un acte obligatoire de l’Union européenne ou, s’il s’agit d’un règlement communal, à toute autre règle de droit, sauf si la décision de la Cour constitutionnelle, de la Kúria (Cour suprême de Hongrie) ou de la Cour de justice de l’Union européenne se prononçant sur cette question n’est pas encore publiée au moment de soumettre la déclaration de rectification ou que l’autorectification n’est pas conforme au contenu de la décision publiée. La décision statuant sur l’autorectification est susceptible de recours administratif et de recours juridictionnel en conformité avec les dispositions générales de la présente loi. »

13. L’article 128, paragraphe 2, de la loi relative aux règles d’imposition dispose ce qui suit :

« Il ne peut y avoir de redressement fiscal s’il n’y a pas lieu de rectifier l’impôt ou la subvention budgétaire par autorectification. »

III. Le litige au principal

14. La partie requérante au principal, Tesco-Global Áruházak Zrt. (ci‑après « Tesco »), est une société anonyme de droit hongrois spécialisée dans le commerce de détail et le commerce de gros en magasin. La juridiction de renvoi n’a donné aucune information sur la composition de la structure sociale afférente aux années litigieuses. Il ressort uniquement du mémoire de la Commission que Tesco fait partie du groupe de Tesco Plc, dont le siège est situé au Royaume‑Uni. Toutefois, les rapports de participation exacts n’y figurent pas non plus. À l’heure actuelle, Tesco Plc est majoritairement détenu par des actionnaires dispersés et par quelques actionnaires principaux provenant de pays tiers.

15. Dans le cadre de son activité exercée au cours des exercices fiscaux qui faisaient l’objet du contrôle, Tesco a versé au Trésor public, au titre de l’impôt spécial sectoriel, quelque 35 500 millions de forints hongrois (HUF) et a respecté son obligation de déclaration dans les délais.

16. Le Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adózók Adóigazgatósága Ellenőrzési Főosztály II. Ellenőrzési Osztály 5. (la Direction des Impôts pour les Grands contribuables de l’Administration nationale des Impôts et des Douanes, IIème Bureau principal de contrôle, 5ème Unité de contrôle ; ci‑après « l’autorité fiscale ») a effectué un contrôle chez Tesco. À l’issue du contrôle, l’autorité fiscale a émis un avis d’imposition faisant état d’une différence fiscale à la charge de Tesco. Tesco a introduit une réclamation contre cet avis. Celui-ci a été confirmé en ce qui concerne l’impôt spécial sur le commerce de détail en magasin. Suite à cela, Tesco a été obligé d’effectuer un versement supplémentaire d’environ 1 397 millions HUF au titre de l’impôt spécial sur le commerce de détail en magasin (en plus d’une amende fiscale et des intérêts de retard).

17. À l’appui de son recours contre l’avis d’imposition, la requérante fait valoir que la dette fiscale mise à sa charge est dénuée de fondement. En particulier, l’impôt spécial sur le commerce de détail en magasin ne serait pas compatible avec le droit de l’Union.

18. Compte tenu des caractéristiques du...

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