Arrêts nº T-470/13 of Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, September 08, 2016

Resolution DateSeptember 08, 2016
Issuing OrganizationTribunal de Première Instance des Communautés Européennes
Decision NumberT-470/13

Concurrence - Ententes - Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram - Notion de restriction de la concurrence par objet - Concurrence potentielle - Médicaments génériques - Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets - Accords conclus entre le titulaire de brevets et une entreprise de médicaments génériques - Erreur de droit - Erreur d’appréciation - Imputabilité des infractions - Responsabilité de la société mère pour les infractions aux règles de la concurrence commises par une de ses filiales - Sécurité juridique - Délai raisonnable - Amendes

Dans l’affaire T-470/13,

Merck KGaA, établie à Darmstadt (Allemagne), représentée initialement par Mes B. Bär-Bouyssière, K. Lillerud, L. Voldstad, B. Marschall, P. Sabbadini, R. De Travieso, M. Holzhäuser et S. O, avocats, M. M. Marelus, solicitor, et Mmes R. Kreisberger et L. Osepciu, barristers, puis par Mes Bär-Bouyssière, Voldstad, Holzhäuser, A. Cooke, M. Gampp, avocats, M. Marelus, Mmes Kreisberger et Osepciu,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par M. J. Bourke, Mmes F. Castilla Contreras et T. Vecchi, puis par Mmes Castilla Contreras, Vecchi, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de Mme S. Kingston, barrister,

partie défenderesse,

soutenue par

Generics (UK) Ltd, établie à Potters Bar (Royaume-Uni), représentée initialement par Mes G. Drauz, M. Rosenthal et B. Record, avocats, puis par Mes Drauz et Rosenthal,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission C (2013) 3803 final, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226-Lundbeck), et une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par cette décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

Résumé des faits et antécédents du litige

I - Sociétés en cause dans la présente affaire

1 H. Lundbeck A/S (ci-après « Lundbeck ») est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2 Lundbeck est un laboratoire de princeps, c’est-à-dire une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3 Merck KGaA (ci-après « Merck » ou la « requérante ») est une société de droit allemand spécialisée dans le domaine pharmaceutique qui, au moment de la conclusion des accords concernés, détenait indirectement à 100 %, à travers le groupe Merck Generics Holding GmbH (ci-après « Merck Generics »), sa filiale Generics UK Limited (ci-après « GUK » ou l’« intervenante »), une société responsable du développement et de la commercialisation de produits pharmaceutiques génériques au Royaume-Uni. Merck et GUK ont été considérées par la Commission européenne comme constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence au moment des faits [ci-après « Merck (GUK) »].

II - Produit concerné et brevets concernant celui-ci

4 Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’« IPA ») citalopram.

5 En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces deux procédés (ci-après les « brevets originaires ») ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre 1977 et 1985.

6 En ce qui concerne l’Espace économique européen (EEE), la protection découlant des brevets originaires ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), a expiré entre 1994 (pour l’Allemagne) et 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, les brevets originaires ont expiré en janvier 2002.

7 Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).

8 Ainsi, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites auprès d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni (ci-après le « brevet sur la cristallisation »). L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002.

9 Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur l’IPA escitalopram (ou S-citalopram), pour la fin de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

III - Accords litigieux

10 Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords en cause ») avec quatre entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les « entreprises de génériques »), dont Merck (GUK).

11 Le premier accord conclu entre Lundbeck et Merck (GUK) a pris effet le 24 janvier 2002, pour une durée d’un an, et couvrait uniquement le territoire du Royaume-Uni (ci-après l’« accord UK »). Cet accord a ensuite été prorogé pour une période de six mois se terminant le 31 juillet 2003. Puis, après une brève entrée de Merck (GUK) sur le marché du Royaume-Uni entre le 1er et le 4 août 2003, une seconde prorogation de l’accord a été signée par les parties le 6 août 2003, pour une durée maximale de six mois pouvant être écourtée en cas d’absence d’action en justice de Lundbeck contre d’autres entreprises de génériques qui tenteraient d’entrer sur le marché ou à l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, une des autres entreprises de génériques (ci-après « Lagap » et le « litige Lagap »).

12 Il ressort des termes de l’accord UK ce qui suit :

- il existe un risque que certaines actions envisagées par GUK concernant la commercialisation, la distribution et la vente du « Produit » puissent constituer une infraction aux droits de propriété intellectuelle de Lundbeck et qu’elles puissent donner lieu à des revendications de la part de celle-ci (point 2.1 de l’accord UK), ces « Produits » étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits de citalopram développés par GUK sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en Annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature, jointe en Annexe 2 » ;

- Lundbeck paiera à GUK un montant de 2 millions de livres sterling (GBP), en échange de la livraison des « Produits », dans les quantités prévues par l’accord, à la date du 31 janvier 2002 (point 2.2 de l’accord UK) ;

- GUK s’engage en outre, en échange d’un paiement supplémentaire de 1 million de GBP, à livrer les « Produits » tels que spécifiés dans l’annexe à la date du 2 avril 2002 (point 2.3 de l’accord UK) ;

- les paiements effectués et la livraison des « Produits » par GUK en application des points 2.2 et 2.3 de l’accord constitueront une résolution complète et finale de toute revendication que Lundbeck pourrait avoir contre GUK pour avoir enfreint ses droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne les « Produits » livrés par GUK jusqu’à cette date (point 2.4 de l’accord UK) ;

- Lundbeck s’engage à vendre ses « Produits Finis » à GUK et GUK s’engage à acheter exclusivement ces « Produits Finis » auprès de Lundbeck pour revente par GUK et ses affiliés au Royaume-Uni pendant la durée et selon les termes de l’accord (point 3.2 de l’accord UK), ces « Produits Finis » étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par [Lundbeck] à GUK conformément au présent accord » ;

- Lundbeck s’engage à payer un montant de 5 millions de GBP de profits nets garantis à GUK, à condition que GUK lui commande le volume de « Produits Finis » convenu pendant la durée de l’accord (ou un montant moindre à calculer au prorata des commandes effectuées) (point 6.2 de l’accord UK).

13 La première prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 400 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK et modifiait la définition des « profits nets ».

14 La seconde prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 750 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK.

15 L’accord UK a expiré le 1er novembre 2003, à la suite du règlement à l’amiable du litige Lagap. Au total, pendant toute la durée de l’accord, Lundbeck a transféré l’équivalent de 19,4 millions...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT