Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 6 de octubre de 2020.

JurisdictionEuropean Union
Date06 October 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 6 octobre 2020 (1)

Affaire C580/19

RJ

contre

Stadt Offenbach am Main

[demande de décision préjudicielle présentée par la Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Notion de temps de travail et de période de repos – Pompiers professionnel – Service d’astreinte sans lieu arrêté par l’employeur »






1. À quelles conditions le temps pendant lequel un travailleur est d’astreinte peut-il être considéré comme du temps de travail ?

2. La notion de temps de travail contenue dans la directive 2003/88/CE (2) peut-elle aller jusqu’à englober des situations dans lesquelles un travailleur, bien que n’étant pas « au travail », se trouve dans une situation qui n’est pas de nature à lui offrir un repos effectif ? Et quelles sont les caractéristiques d’un « repos effectif » répondant à l’objectif de protection de la santé et de la sécurité du travailleur auquel tend ladite directive ?

3. Peut-on imaginer l’existence de « zones grises » au cours desquelles le travailleur n’est pas au travail mais n’est pas non plus au repos ?

4. Il s’agit là des questions que soulève la présente affaire qui, analysée en lien avec l’affaire C‑344/19, offre l’occasion à la Cour de se pencher sur le sujet de la qualification juridique des périodes de garde et d’astreinte à la lumière de la directive 2003/88.

5. La Cour s’est déjà prononcée sur le sujet à plusieurs reprises, mais la présente affaire, du fait de ses particularités concrètes (absence d’obligation pour le travailleur d’être physiquement présent en un lieu arrêté par l’employeur, bref délai de réaction à l’appel et certaines contraintes supplémentaires requises par les spécificités du travail), nécessite un réexamen des principes établis jusqu’à présent, afin d’en envisager d’éventuelles évolutions.

6. Plus spécifiquement, il s’agit de déterminer si les périodes de garde, au cours desquelles le travailleur est tenu d’être joignable à tout moment et éventuellement d’intervenir dans un délai de 20 minutes, doivent être considérées comme temps de travail ou comme périodes de repos au sens de l’article 2 de la directive 2003/88.

7. À cet égard, il y a lieu de tenir compte notamment du fait que le requérant, pompier, était soumis, en cas d’appel, à l’obligation d’atteindre, dans le court délai précité, les limites de sa ville d’affectation, en tenue de travail et dans son véhicule d’intervention d’urgence.

I. Cadre juridique

A. Le droit de l’Union

8. Le considérant 5 de la directive 2003/88 indique que :

« [t]ous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. La notion de repos doit être exprimée en unités de temps, c’est‑à‑dire en jours, heures et/ou fractions de jour ou d’heure. Les travailleurs de [l’Union européenne] doivent bénéficier de périodes minimales de repos – journalier, hebdomadaire et annuel – et de périodes de pause adéquates. Il convient, dans ce contexte, de prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail ».

9. L’article 2 de la directive 2003/88 dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1. “temps de travail” : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ;

2. “période de repos” : toute période qui n’est pas du temps de travail ;

(…)

9. “repos suffisant” : le fait que les travailleurs disposent de périodes de repos régulières dont la durée est exprimée en unités de temps et qui sont suffisamment longues et continues pour éviter qu’ils ne se blessent eux‑mêmes ou ne blessent leurs collègues ou d’autres personnes et qu’ils ne nuisent à leur santé, à court ou à plus long terme, par suite de la fatigue ou d’autres rythmes de travail irrégulier ».

B. Le droit allemand

10. L’annexe à la Verordnung über die Organisation, Mindeststärke und Ausrüstung der öffentlichen Feuerwehren (ordonnance relative à l’organisation, à l’effectif minimal et aux équipements du service public d’incendie et de secours) du 17 décembre 2013 dispose :

« [l]es équipements de niveau 2, en ce compris le personnel requis pour leur mise en œuvre, doivent, en règle générale, être déployés sur le lieu de l’intervention dans un délai de 20 minutes à compter du déclenchement de l’alerte [...] »

11. Conformément à l’Einsatzdienstverfügung der Feuerwehr Offenbach (règlement opérationnel du service d’incendie et de secours de la ville d’Offenbach-sur-le-Main) dans sa version du 18 juin 2018, le fonctionnaire qui effectue un service intitulé « Beamter vom Einsatzleitdienst » (ci‑après le « service “BvE” ») doit se rendre immédiatement sur le lieu d’intervention en faisant usage de ses droits dérogatoires au code de la route et de ses droits de priorité.

12. S’agissant des obligations incombant au fonctionnaire qui effectue un service « BvE », la circulaire précitée prévoit spécifiquement à la p. 6 :

« Pendant la durée du service “BvE”, le fonctionnaire se tient à disposition et doit choisir le lieu où il se trouve de manière à respecter le temps d’intervention de 20 minutes. Il est réputé respecter cette disposition si, en faisant usage de ses droits dérogatoires au code de la route et de ses droits de priorité, il effectue le trajet depuis le lieu où il se trouve jusqu’aux limites de la ville d’Offenbach‑sur‑le‑Main dans un délai de 20 minutes. Ce temps de trajet correspond à une circulation moyennement dense, un état des routes normal et des conditions météorologiques normales. »

II. Les faits de la procédure au principal et la question préjudicielle

13. RJ, requérant dans l’affaire au principal, est fonctionnaire et exerce ses fonctions de pompier au sein du service d’incendie et de secours de la ville d’Offenbach‑sur‑le‑Main.

14. Outre son temps de service réglementaire, le requérant doit, conformément à la réglementation applicable au sein du service d’incendie et de secours de la ville d’Offenbach-sur-le-Main, régulièrement effectuer, en tant que chef de groupe, un service intitulé « Beamter vom Einsatzleitdienst » (ci‑après le « service d’astreinte »).

15. Pendant ce service, le requérant doit pouvoir être joint à tout moment et avoir sa tenue avec lui, ainsi qu’un véhicule d’intervention mis à sa disposition par l’employeur. Le requérant doit prendre les appels qu’il reçoit et par lesquels il est tenu informé des événements qui se produisent et qui appellent des décisions de sa part. Dans certains cas, il doit se rendre sur le lieu de l’intervention ou à son lieu d’affectation. Quand il effectue un service d’astreinte, le requérant doit choisir le lieu où il se trouve de manière à ce qu’en cas de nécessaire intervention, il puisse atteindre les limites de la ville d’Offenbach‑sur‑le‑Main, en tenue et dans son véhicule d’intervention, dans un délai de 20 minutes.

16. Pendant la semaine, le service d’astreinte s’étend de 17 heures à 7 heures le jour suivant, tandis que le week-end, il s’étend du vendredi 17 h 00 au lundi 7 h 00 et peut parfois s’ajouter à une semaine de 42 heures.

17. En moyenne, le requérant effectue un service d’astreinte de 10 à 15 week-ends par an. Entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2015, il a effectué un total de 126 services d’astreinte, au cours desquels il a dû répondre à des alertes ou partir en intervention 20 fois.

18. RJ a demandé à ce que les périodes précitées passées en service d’astreinte soient reconnues comme temps de travail et rémunérées en conséquence. La défenderesse, qui estime que ce service ne relève en rien du temps de travail, l’a débouté de sa demande par décision du 6 août 2014.

19. Le 31 juillet 2015, RJ a introduit un recours devant la juridiction de renvoi, faisant valoir que les temps de garde pouvaient être considérés comme du temps de travail également lorsque, même si le travailleur n’est pas contraint d’être physiquement présent dans un lieu arrêté par l’employeur, ce dernier fixe un délai très bref dans lequel il doit reprendre le travail. RJ soutient qu’en l’espèce, en cas d’alerte, afin de respecter le délai de 20 minutes, il doit immédiatement quitter son domicile, de sorte qu’il ne lui est pas possible d’entreprendre des activités qui ne sont pas susceptibles d’être interrompues. En outre, en dehors de son domicile, il pourrait uniquement s’adonner à des activités qui se déroulent à proximité immédiate de son véhicule. Ainsi, durant le service d’astreinte, le choix des activités qu’il est susceptible d’entreprendre, en particulier avec ses enfants, serait significativement restreint.

20. D’après l’employeur, en revanche, le service « BvE » ne saurait être considéré comme du temps de travail, dès lors que RJ n’a pas l’obligation de se tenir à disposition dans un lieu qu’il a arrêté et qui serait situé hors de sa sphère privée. Le délai de 20 minutes dont le requérant dispose pour atteindre les limites de la ville permettrait à RJ de se déplacer librement dans un périmètre raisonnable, notamment du fait de la disponibilité d’un véhicule d’intervention bénéficiant de droits dérogatoires au code de la route lorsqu’il est fait usage de ses avertisseurs spéciaux.

21. À titre liminaire, la juridiction de renvoi considère que, d’après la jurisprudence de la Cour, d’une part, les activités exercées par les forces d’intervention d’un service national d’incendie et de secours relèvent du champ d’application de la directive 2003/88 (3) mais que, d’autre part, les questions relatives à la rémunération des services de garde ne relèvent pas du champ d’application de ladite directive (4).

22. Toutefois, la juridiction de renvoi estime que la question préjudicielle relative à la qualification du service d’astreinte en tant que temps de travail au sens...

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