Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 22 septembre 2022.

JurisdictionEuropean Union
Date22 September 2022
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 22 septembre 2022 (1)

Affaire C395/21

D.V.

contre

M.A.

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie)]

« Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clause contractuelle fixant le montant de la rémunération due au titre de prestations de services juridiques selon le principe du tarif horaire »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle est formulée dans le cadre d’une action en paiement de la rémunération que réclame une personne exerçant la profession d’avocate au titre de prestations de services juridiques fournies à un consommateur.

2. Nourrissant des doutes quant à la possibilité de considérer les clauses des contrats litigieux relatives à la rémunération de services juridiques comme des clauses abusives au sens de la directive 93/13/CEE (2) , la juridiction de renvoi a posé six questions préjudicielles à la Cour sur l’interprétation des dispositions de cette directive. À la demande de la Cour, les présentes conclusions se bornent à l’analyse des cinquième et sixième questions préjudicielles.

3. Les cinquième et sixième questions préjudicielles sont formulées dans l’hypothèse où la Cour répondrait aux quatre premières questions en ce sens que les clauses des contrats litigieux concernant la rémunération des services juridiques doivent être considérées comme abusives. La juridiction de renvoi estime que les contrats litigieux ne peuvent subsister une fois ces clauses supprimées. Les cinquième et sixième questions concernent les conséquences qui, sans préjudice de la directive 93/13, peuvent être tirées de la constatation du caractère abusif de ces clauses lorsque les services juridiques ont déjà été fournis.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

5. L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

B. Le droit lituanien

6. Les dispositions de la directive 93/13 ont été transposées dans le Lietuvos Respublikos Civilinis kodeksas (code civil de la République de Lituanie). Il ressort de ce code que si une clause contractuelle est déclarée abusive par un tribunal, cette clause est nulle dès la conclusion du contrat, les autres clauses restant cependant contraignantes pour les parties dès lors que le contrat peut subsister.

7. L’article 50, paragraphe 3, de l’Advokatūros įstatymas (loi relative à la profession d’avocat) du 18 mars 2004 (Žin. 2004, n° 50‑1632) prévoit :

« Pour établir le montant de la rémunération de l’avocat au titre des services juridiques, il convient de prendre en compte la complexité de l’affaire, les qualifications et l’expérience de l’avocat, la situation financière du client et les autres circonstances importantes. »

8. Des recommandations relatives au montant maximal des honoraires pour les prestations de services juridiques assurées par un avocat ou un avocat stagiaire dans les affaires civiles ont été approuvées par le décret nº 1R-85 du ministre de la Justice de la République de Lituanie du 2 avril 2004, ainsi que par la résolution de l’Ordre des barreaux lituaniens du 26 mars 2004 (dans sa version en vigueur à compter du 20 mars 2015). Ces recommandations sont applicables lors de l’allocation des dépens conformément aux dispositions du code de procédure civile.

III. Les faits au principal

9. Le défendeur au principal a conclu cinq contrats de prestations de services juridiques avec la requérante au principal. Il s’agissait de représenter le défendeur au principal (i) dans une affaire civile visant à établir que certains biens relèvent du régime de la copropriété, (ii) dans une affaire civile en matière de résidence d’enfants mineurs, de modalités de communication avec ceux-ci et de fixation de la pension alimentaire, (iii) devant le commissariat de police et le parquet à propos de l’ouverture d’une instruction et (iv) au cours de cette instruction devant ces autorités, ainsi que (v) dans une affaire de divorce.

10. Ces contrats prévoient que l’avocat s’engage à fournir des consultations orales ou écrites, à préparer et à signer des projets de documents juridiques, à réaliser des expertises juridiques des documents et à représenter le client devant divers organismes, en réalisant les actes s’y rapportant.

11. Ils prévoient également que le montant des honoraires de l’avocate est de 100 euros pour chaque heure de consultation donnée au client ou de prestation de services juridiques. Une partie de ces honoraires était payable dès présentation d’une facture de services juridiques, compte tenu des heures effectuées en consultations ou en prestations de services juridiques.

12. En outre, conformément aux différents contrats, le défendeur au principal était tenu de verser certaines avances sur honoraires. C’est à ce titre qu’il a payé la somme de 5 600 euros.

13. La requérante au principal a fourni des services d’avril à décembre 2018 et de janvier à mars 2019.

14. Les 21 et 26 mars 2019, elle a présenté des factures pour les services juridiques qu’elle avait fournis au défendeur au principal.

15. Le 10 avril 2019, la requérante au principal a demandé au tribunal de première instance de condamner le défendeur au principal à lui verser la somme de 9 900 euros au titre des services juridiques fournis et la somme de 194,30 euros au titre des frais qu’elle avait encourus, majorées des intérêts et des dépens.

16. Le tribunal de première instance a estimé que la requérante au principal avait fourni des services correspondant à un montant d’honoraires de 12 900 euros. Il a concomitamment jugé que les clauses contractuelles relatives à la rémunération des prestations de services juridiques étaient abusives et a réduit le montant de la rémunération de moitié, à 6 450 euros.

17. Étant entendu que le défendeur au principal avait déjà versé 5 600 euros à la requérante au principal, le tribunal de première instance a accordé à celle-ci la somme de 850 euros, ainsi que 194,30 euros pour les frais encourus. Il a également statué sur les intérêts et les dépens.

18. La requérante au principal a contesté le jugement de première instance. Celui-ci a été confirmé par une décision de la juridiction saisie en appel, contre laquelle la requérante au principal s’est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi.

19. Selon la juridiction de renvoi, deux clauses des contrats litigieux sont fondamentales pour la résolution du litige entre les parties : (i) celle concernant la détermination du coût des services effectivement fournis sur la base d’un taux horaire et (ii) celle relative aux modalités de paiement des services juridiques. Dès lors que le contrat mentionne un taux horaire mais ne précise pas plus en détail l’étendue et la durée des services juridiques concrets et les honoraires finaux attendus, le consommateur n’a peut-être pas, selon elle, été en mesure d’apprécier l’ampleur des services qui lui étaient nécessaires et leur coût final.

20. Bien que, dans certains passages de sa demande préjudicielle, la juridiction de renvoi semble, en se référant à ces clauses, opérer une distinction entre celle relative au taux horaire et celle concernant les modalités de paiement des services juridiques, je ne les traiterai pas séparément dans les présentes conclusions, mais les désignerai comme la clause relative à la rémunération.

21. Les cinquième et sixième questions préjudicielles concernent les conséquences qui, sans enfreindre la directive 93/13, peuvent être tirées de la constatation du caractère abusif de cette clause. À cet égard, la juridiction de renvoi estime que, en l’absence de celle-ci, les contrats litigieux ne peuvent subsister et doivent donc être déclarés nuls.

22. Selon la juridiction de renvoi, la conséquence qui s’impose à la lumière de la jurisprudence relative à la directive 93/13 est celle aboutissant à une situation dans laquelle la clause relative à la rémunération serait considérée comme n’ayant jamais lié le consommateur. Il en résulterait que le juge national pourrait refuser d’allouer à l’avocat une rétribution au titre de la fourniture de services juridiques.

23. La juridiction de renvoi se demande toutefois, en premier lieu, si le fait de tirer une telle conséquence de la constatation du caractère abusif des clauses des contrats litigieux n’est pas contraire au principe selon lequel les contrats de services sont conclus à titre onéreux. En second lieu, et tout en admettant qu’une pareille conséquence constitue une sanction appropriée pour un professionnel ayant fait usage de clauses abusives, elle nourrit des doutes quant au point de savoir si une telle sanction, lorsque l’avocat ne perçoit aucune rémunération en contrepartie des services fournis, ne conduirait pas à un enrichissement sans cause du consommateur et à un résultat manifestement inéquitable.

24. Quant à la possibilité d’allouer des honoraires d’un certain montant à l’avocat, la juridiction de renvoi se demande si, en considérant que le fait de déclarer abusive une clause relative au prix du contrat permet au juge de réduire le prix des services fournis ou de rémunérer ces services à leur coût unitaire ou au prix le plus bas possible du...

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