Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 11 de julio de 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:608
Celex Number62018CC0381
CourtCourt of Justice (European Union)
Date11 July 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 11 juillet 2019 (1)

Affaires jointes C381/18 et C382/18

G.S. (C381/18)

V.G. (C382/18)

contre

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Droit au regroupement familial – Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial – Retrait d’un titre de séjour d’un membre de la famille ou refus de le renouveler pour des raisons d’ordre public – Notion de “raisons d’ordre public” »






1. Si la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (2), peut imposer des obligations positives précises aux États membres auxquelles correspondent des droits subjectifs clairement définis (3), elle permet également à ces mêmes États de refuser, dans certains cas, le regroupement familial. Se pose alors la question de savoir dans quelles limites leur marge d’appréciation doit s’exercer. Dans les deux présentes affaires jointes, il est demandé à la Cour de déterminer si, lorsqu’elles adoptent une décision de rejet d’une demande d’entrée sur le territoire de l’Union, une décision de retrait ou une décision de non-renouvellement d’une autorisation de séjour pour des raisons liées à l’ordre public, les autorités nationales doivent se fonder sur le comportement personnel du ressortissant d’État tiers, membre de la famille d’un autre ressortissant d’État tiers déjà légalement présent sur le territoire de l’Union, et si ce comportement doit nécessairement être constitutif d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société.

I. Le cadre juridique

A. La directive 2003/86

2. L’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86 prévoit que « [l]a présente directive ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union ».

3. L’article 6, paragraphes 1 et 2, de cette directive est libellé comme suit :

« 1. Les États membres peuvent rejeter une demande d’entrée et de séjour d’un des membres de la famille pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

2. Les États membres peuvent retirer le titre de séjour d’un membre de la famille ou refuser de le renouveler pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

Lorsqu’ils prennent une telle décision, les États membres tiennent compte, outre de l’article 17, de la gravité ou de la nature de l’infraction à l’ordre public ou à la sécurité publique commise par le membre de la famille, ou des dangers que cette personne est susceptible de causer. »

4. L’article 17 de ladite directive énonce que « [l]es États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille ».

B. Le cadre d’évaluation du droit néerlandais

5. Le cadre d’évaluation du droit national utilisé par les autorités néerlandaises pour statuer sur une demande d’entrée et de séjour d’un ressortissant d’État tiers souhaitant rejoindre le membre de sa famille déjà présent sur le territoire de l’Union résulte de la lecture combinée de l’article 3.77 du Besluit van 23 november 2000 tot uitvoering van de Vreemdelingenwet 2000 (arrêté du 23 novembre 2000 pris en exécution de la loi sur les étrangers de 2000, ci-après le « Vb 2000 ») (4) et de l’article 16, paragraphe 1, sous d), de la Vreemdelingenwet 2000 (loi sur les étrangers de 2000, ci-après la « Vw 2000 ») du 23 novembre 2000 (5). Une telle demande peut être rejetée en raison d’un danger pour l’ordre public si ce ressortissant est condamné pour un crime ou un délit à une peine de travail ou une amende ferme. Il ressort de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C-382/18 que la règle selon laquelle la demande ne peut plus être rejetée lorsque cinq années se sont écoulées depuis la date du dernier crime ou délit ne s’applique pas au ressortissant d’État tiers condamné en état de récidive.

6. Le cadre d’évaluation du droit national utilisé par les autorités néerlandaises lorsqu’elles sont amenées à décider du retrait d’une autorisation de séjour d’un membre de la famille ou du non‑ renouvellement d’une telle autorisation à un membre de la famille au sens de la directive 2003/86 ressort de la lecture combinée de l’article 3.86 du Vb 2000 et de l’article 19 de la Vw 2000. En vertu de ce cadre d’évaluation, une autorisation de séjour aux fins du regroupement familial peut être retirée ou non renouvelée en cas de danger pour l’ordre public si la peine à laquelle le ressortissant d’État tiers souhaitant rejoindre le membre de sa famille présent sur le territoire de l’Union est suffisamment importante par rapport à la durée de son séjour régulier aux Pays-Bas. Ce rapport entre la durée de la peine et la durée du séjour est appelé « échelle mobile » (6).

II. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A. L’affaire C-381/18

7. G.S. est un ressortissant indien titulaire d’une autorisation de séjour ordinaire à durée limitée pour des motifs de regroupement familial aux Pays-Bas depuis 2009. Cette autorisation a été renouvelée le 9 mars 2010 jusqu’au 28 août 2014. En 2012, G.S. a été condamné en Suisse à une peine de quatre ans et trois mois de prison pour chef de participation à un trafic de stupéfiants pour des faits remontant au plus tard au mois de septembre 2010.

8. Par décision du 24 septembre 2015, le staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas, ci-après le « secrétaire d’État ») a retiré l’autorisation de séjour ordinaire à durée limitée, rejeté une demande de renouvellement de cette autorisation et prononcé à son égard une interdiction d’entrée. Le 21 octobre 2016, le secrétaire d’État a estimé non fondée la réclamation formée contre la décision de retrait de l’autorisation de séjour provisoire et contre le refus du renouvellement de cette autorisation. Il a, par ailleurs, estimé fondée la réclamation de G.S. formée contre l’interdiction d’entrée prononcée à son égard. Le secrétaire d’État a alors déclaré G.S. indésirable.

9. Le 3 février 2017, le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam, Pays-Bas) a jugé que le secrétaire d’État n’était pas tenu, contrairement à ce que soutenait G.S. en se fondant notamment sur les arrêts Zh. et O. (7) et T. (8), de motiver sa décision de retrait de l’autorisation de séjour et son refus de renouveler cette dernière pour des raisons d’ordre public par le fait que le comportement de G.S. constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. La juridiction de première instance a ainsi jugé que le secrétaire d’État avait satisfait à l’obligation de motivation prévue à l’article 6 de la directive 2003/86 en se référant à la condamnation de G.S. en Suisse et au fait que le délit commis était considéré comme particulièrement grave en raison de son effet sur la société néerlandaise. Elle a également jugé que les exigences de l’article 17 de cette directive avaient été satisfaites.

10. La controverse devant le juge de renvoi porte sur le point de savoir si le retrait ou le refus de renouvellement de l’autorisation de séjour d’un membre de la famille d’un ressortissant d’État tiers présent sur le territoire de l’Union, lorsqu’il est fondé sur l’invocation de raisons d’ordre public, doit être motivé, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2003/86, par le comportement personnel du membre de la famille concerné qui doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. À cet égard, la juridiction de renvoi déduit des arrêts Zh. et O. (9) et T. (10) que la Cour exige une évaluation au cas par cas et restreint la marge d’appréciation des États membres lorsque la décision à venir constitue une dérogation prévue par le droit de l’Union. Or, le cas d’un refus de renouvellement ou d’un retrait d’une autorisation de séjour obtenue à des fins de regroupement familial pourrait s’interpréter comme une décision dérogatoire à la règle de principe que serait la poursuite du regroupement familial. L’objectif de la directive 2003/86 étant de favoriser le regroupement familial, la seule invocation de l’ordre public ne saurait suffire pour motiver une décision de retrait ou de refus de renouvellement d’une autorisation de séjour délivrée au titre du regroupement familial. Il résulterait également de la jurisprudence de la Cour que cette dernière exigerait, en tout état de cause (11), que les autorités se fondent sur le comportement personnel de l’individu qui doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société.

11. Toutefois, la juridiction de renvoi note que l’échelle mobile qui guide les autorités néerlandaises dans leur prise de décision apparaît assurer une mise en balance suffisante des intérêts en présence au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») en particulier telle qu’elle résulte des arrêts Boultif c. Suisse et Üner c. Pays-Bas (12). Selon elle, il résulterait de l’arrêt Parlement/Conseil (13) que la Cour se satisferait d’une telle mise en balance puisqu’elle y aurait jugé que la marge d’appréciation des États membres, dans le cadre de la mise en œuvre des obligations dont sont débiteurs lesdits États aux termes de la directive 2003/86, ne serait pas...

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