Conclusiones del Abogado General Sr. M. Szpunar, presentadas el 26 de septiembre de 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:790
Date26 September 2019
CourtCourt of Justice (European Union)
Celex Number62018CC0394

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 26 septembre 2019 (1)

Affaire C394/18

I.G.I. Srl

contre

Maria Grazia Cicenia,

Mario Di Pierro,

Salvatore de Vito,

Antonio Raffaele

en présence de

Costruzioni Ing. Iandolo Srl

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Sociétés – Scissions – Action paulienne – Protection des intérêts des créanciers des sociétés participant à une scission – Sécurité juridique de l’opération de scission – Sixième directive 82/891/CEE »






I. Introduction

1. En droit romain, la protection des créanciers contre les manœuvres frauduleuses de leurs débiteurs a d’abord été assurée, ainsi que l’a exposé l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, à travers un outil primitif donnant au créancier le droit de vendre comme esclave le débiteur qui ne s’était pas acquitté de sa dette, puis en instaurant une action permettant au créancier d’annuler les actes réalisés frauduleusement et à son désavantage par le débiteur (2). Une telle action était alors fondée sur trois éléments essentiels (3) : tout d’abord, un préjudice effectif existant au moment où l’action est intentée (eventus damni) ; ensuite, l’intention frauduleuse du débiteur de porter atteinte aux droits des créanciers (consilium fraudis) ; et enfin, la connaissance de la fraude par le tiers (scientia fraudis).

2. De nos jours, les conditions de mise en œuvre de l’action paulienne, telle qu’elle existe dans différents États membres, empruntent toujours au droit romain. De façon générale, une action paulienne peut être introduite lorsqu’un acte de disposition du patrimoine réalisé par le débiteur a causé un préjudice au créancier. Il est en outre nécessaire de démontrer l’existence d’une fraude de la part du débiteur, ainsi que la connaissance de cette fraude par le tiers, voire sa complicité.

3. L’action paulienne permet ainsi de protéger les créanciers lorsque le débiteur diminue ses biens saisissables pour éviter de payer ses dettes (4). Elle est exercée par le créancier contre le tiers acquéreur du bien litigieux, son objectif étant, dans les ordres juridiques nationaux, de réintégrer dans le patrimoine du débiteur un bien frauduleusement aliéné (5). Dans cette optique, l’action paulienne est une action permettant à un créancier de faire déclarer inopposable, à son égard, un acte de disposition du patrimoine réalisé par un débiteur dans le but de réduire frauduleusement ce patrimoine.

4. L’action paulienne peut, à cet égard, jouer un rôle en droit des sociétés, afin d’assurer la protection des créanciers d’une société, notamment en présence de restructurations sociétaires. Néanmoins, son utilisation dans cette hypothèse particulière ne semble pas s’imposer, dès lors que sa mise en œuvre concurrence les instruments dédiés de protection des créanciers prévus par le droit de l’Union, et semble pouvoir, dans une certaine mesure, remettre en cause la pérennité d’une opération de restructuration déjà effective. En témoignent les deux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi dans la présente affaire, dans le contexte d’une opération de scission, et qui donnent à la Cour l’occasion de se prononcer de manière inédite sur les articles 12 et 19 de la sixième directive 82/891/CEE (6).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La troisième directive 78/855/CEE

5. L’article 1er de la troisième directive 78/855/CEE (7), intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« 1. Les mesures de coordination prescrites par la présente directive s’appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux formes de sociétés suivantes :

[...]

– pour l’Italie : la società per azioni,

[...] »

6. L’article 13, paragraphe 3, de cette directive dispose :

« La protection peut être différente pour les créanciers de la société absorbante et ceux de la société absorbée. »

2. La sixième directive

7. L’article 1er de la sixième directive dispose :

« 1. Lorsque les États membres permettent, pour les sociétés relevant de leur législation et visées à l’article 1er, paragraphe 1, de la [troisième directive], l’opération de scission par absorption définie à l’article 2 de la présente directive, ils soumettent cette opération aux dispositions du chapitre Ier de cette dernière directive.

2. Lorsque les États membres permettent, pour les sociétés indiquées au paragraphe 1, l’opération de scission par constitution des nouvelles sociétés, définie à l’article 21, ils soumettent cette opération aux dispositions du chapitre II.

[...] »

8. L’article 2, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Au sens de la présente directive, est considérée comme scission par absorption l’opération par laquelle, par suite de sa dissolution sans liquidation, une société transfère à plusieurs sociétés l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, moyennant l’attribution aux actionnaires de la société scindée d’actions des sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission, ci-après dénommées “sociétés bénéficiaires”, et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale des actions attribuées ou, à défaut de valeur nominale, de leur pair comptable. »

9. L’article 12 de ladite directive dispose :

« 1. Les législations des États membres doivent prévoir un système de protection adéquat des intérêts des créanciers des sociétés participant à la scission pour les créances nées antérieurement à la publication du projet de scission et non encore échues au moment de cette publication.

2. À cet effet, les législations des États membres prévoient au moins que ces créanciers ont le droit d’obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière de la société scindée ainsi que celle de la société à laquelle l’obligation sera transférée conformément au projet de scission rend cette protection nécessaire et que ces créanciers ne disposent pas déjà de telles garanties.

3. Dans la mesure où un créancier de la société à laquelle l’obligation a été transférée conformément au projet de scission n’a pas eu satisfaction, les sociétés bénéficiaires sont tenues solidairement pour cette obligation. Les États membres peuvent limiter cette responsabilité à l’actif net attribué à chacune de ces sociétés autres que celle à laquelle l’obligation a été transférée. Ils peuvent ne pas appliquer le présent paragraphe lorsque l’opération de scission est soumise au contrôle d’une autorité judiciaire conformément à l’article 23 et qu’une majorité des créanciers, représentant les trois quarts du montant des créances, ou une majorité d’une catégorie de créanciers de la société scindée, représentant les trois quarts du montant des créances de cette catégorie, a renoncé à faire valoir cette responsabilité solidaire lors d’une assemblée tenue conformément à l’article 23, paragraphe 1, point c).

4. L’article 13, paragraphe 3, de la [troisième directive] s’applique.

5. Sans préjudice des règles relatives à l’exercice collectif de leurs droits, il est fait application des paragraphes 1 à 4 aux obligataires des sociétés participant à la scission, sauf si la scission a été approuvée par une assemblée des obligataires, lorsque la loi nationale prévoit une telle assemblée, ou par les obligataires individuellement.

6. Les États membres peuvent prévoir que les sociétés bénéficiaires sont tenues solidairement pour les obligations de la société scindée. Dans ce cas, ils peuvent ne pas appliquer les paragraphes précédents.

7. Lorsqu’un État membre combine le système de protection des créanciers visé aux paragraphes 1 à 5 avec la responsabilité solidaire des sociétés bénéficiaires visée au paragraphe 6, il peut limiter cette responsabilité à l’actif net attribué à chacune de ces sociétés. »

10. Aux termes de l’article 15 de la sixième directive :

« Les législations des États membres déterminent la date à laquelle la scission prend effet. »

11. L’article 17, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« La scission entraîne ipso jure et simultanément les effets suivants :

a) la transmission, tant entre la société scindée et les sociétés bénéficiaires qu’à l’égard des tiers, de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société scindée aux sociétés bénéficiaires ; cette transmission s’effectue par parties conformément à la répartition prévue au projet de scission ou à l’article 3, paragraphe 3 ;

b) les actionnaires de la société scindée deviennent actionnaires d’une ou des sociétés bénéficiaires, conformément à la répartition prévue au projet de scission ;

c) la société scindée cesse d’exister. »

12. L’article 19 de ladite directive dispose :

« 1. Les législations des États membres ne peuvent organiser le régime des nullités de la scission que dans les conditions suivantes :

a) la nullité doit être prononcée par décision judiciaire ;

b) la nullité d’une scission qui a pris effet au sens de l’article 15 ne peut être prononcée si ce n’est pour défaut soit de contrôle préventif judiciaire ou administratif de légalité, soit d’acte authentique, ou bien s’il est établi que la décision de l’assemblée générale est nulle ou annulable en vertu du droit national ;

c) l’action en nullité ne peut plus être intentée après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date à laquelle la scission est opposable à celui qui invoque la nullité, ou bien si la situation a été régularisée ;

d) lorsqu’il est possible de porter remède à l’irrégularité susceptible d’entraîner la nullité de la scission, le tribunal compétent accorde aux sociétés intéressées un délai pour régulariser la situation ;

e) la décision prononçant la nullité de la scission fait l’objet d’une publicité effectuée selon les modes prévus par la législation de chaque État membre conformément à l’article 3 de la directive 68/151/CEE [(8)] ;

f) la tierce opposition, lorsque la...

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