Conclusiones del Abogado General Sr. M. Campos Sánchez-Bordona, presentadas el 18 de junio de 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:484
Celex Number62019CC0540
Date18 June 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 18 juin 2020 (1)

Affaire C540/19

WV

contre

Landkreis Harburg

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Compétence en matière d’obligations alimentaires – Lieu de résidence habituelle du créancier d’aliments – Subrogation légale d’une entité publique dans la créance du créancier d’aliments »






1. Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) demande à la Cour si, en vertu du règlement (CE) nº 4/2009 (2), les juridictions allemandes sont compétentes pour statuer sur le recours formé par une entité publique allemande, légalement subrogée dans les droits d’un créancier d’aliments, à l’encontre du débiteur d’aliments résidant en Autriche.

2. À première vue, il semblerait que ce doute ait déjà été dissipé par la Cour, lorsqu’elle a répondu, en 2014, à une autre demande de décision préjudicielle similaire. Dans l’arrêt Blijdenstein (3), la Cour a jugé que l’entité publique subrogée ne pouvait pas exercer d’action en recouvrement de la créance alimentaire devant les juridictions du lieu de résidence habituelle du créancier d’aliments. La règle applicable à l’époque était l’article 5, paragraphe 2, de la convention de Bruxelles de 1968 (4).

3. Malgré l’identité formelle du critère de compétence analysé dans l’arrêt Blijdenstein et de celui visé à l’article 3, sous b), du règlement nº 4/2009, des raisons plaident actuellement en faveur d’une interprétation différente.

4. En effet, la convention de Bruxelles de 1968 [et son successeur, le règlement (CE) nº 44/2001 (5)] a fait place au règlement nº 4/2009, qui n’est pas une simple reproduction des textes précédents. Afin de garantir dans une plus large mesure les mêmes objectifs, le nouveau règlement adapte les règles de compétence judiciaire internationale entre États membres ; l’interprétation de ces règles devra donc être faite en tenant compte de ce nouveau cadre.

5. La Cour a par conséquent l’occasion de revoir sa jurisprudence antérieure, dans la mesure où elle ne serait pas conforme au cadre réglementaire en vigueur.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union : le règlement no 4/2009

6. Aux termes du considérant 15 du règlement nº 4/2009 :

« Afin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement (CE) nº 44/2001 devraient être adaptées. La circonstance qu’un défendeur a sa résidence habituelle dans un État tiers ne devrait plus être de nature à exclure l’application des règles communautaires de compétence, et plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé. Il y a donc lieu de déterminer dans le présent règlement les cas dans lesquels une juridiction d’un État membre peut exercer une compétence subsidiaire. »

7. Conformément au considérant 44 du règlement nº 4/2009 :

« Le présent règlement devrait modifier le règlement (CE) nº 44/2001 en remplaçant les dispositions de celui‑ci applicables en matière d’obligations alimentaires. [...] »

8. L’article 2, paragraphe 1, du règlement nº 4/2009 dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

10) “créancier” : toute personne physique à qui des aliments sont dus ou sont allégués être dus ;

[...] ».

9. L’article 3 du règlement nº 4/2009 énonce :

« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :

a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou

c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, ou

d) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties ».

10. L’article 64 du règlement nº 4/2009 prévoit :

« 1. Aux fins d’une demande de reconnaissance et de déclaration constatant la force exécutoire de décisions ou aux fins de l’exécution de décisions, le terme “créancier” inclut un organisme public agissant à la place d’une personne à laquelle des aliments sont dus ou un organisme auquel est dû le remboursement de prestations fournies à titre d’aliments.

[...]

3. Un organisme public peut demander la reconnaissance et la déclaration constatant la force exécutoire ou demander l’exécution :

a) d’une décision rendue contre un débiteur à la demande d’un organisme public qui poursuit le paiement de prestations fournies à titre d’aliments ;

[...] ».

B. Le droit allemand

11. Conformément à l’article 1601 du Bürgerliches Gesetzbuch (6) :

« Les parents en ligne directe se doivent mutuellement aliments ».

12. Aux termes de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du livre XII du Sozialgesetzbuch (7) :

« Si, en vertu du droit civil, la personne bénéficiant des prestations a, pour la période durant laquelle des prestations ont été servies, droit à des aliments, ce droit est transmis, ensemble avec le droit à information en matière d’obligations alimentaires, à l’institution d’aide sociale à concurrence des sommes versées ».

13. L’article 94, paragraphe 5, troisième phrase, du SGB XII dispose :

« Il est statué par la voie civile sur les droits visés aux paragraphes 1 à 4 ».

II. Les faits et la question préjudicielle

14. La mère de WV, née en 1948, vit depuis 2009 dans une maison de retraite à Cologne (Allemagne). Comme ses revenus et son patrimoine ne suffisent pas à couvrir entièrement ses frais d’hébergement, elle perçoit régulièrement une aide sociale du Landkreis Harburg (district de Harburg, Allemagne), en application du SGB XII.

15. WV, le fils tenu de verser la pension alimentaire, vit à Vienne (Autriche).

16. Le Landkreis Harburg exerce contre WV une action en paiement d’arriérés d’aliments pour la période d’avril 2017 à avril 2018 ainsi qu’en paiement régulier de pension alimentaire depuis mai 2018.

17. Le recours a été introduit devant l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne) ; dans le cadre de cette procédure, l’entité publique a affirmé que, conformément à l’article 94, paragraphe 1, du SGB XII, elle s’était subrogée dans la créance alimentaire que la mère de WV détient à l’égard de WV. Elle a indiqué avoir versé à la mère, pendant la période précitée, des prestations d’aide sociale dont le montant excède sensiblement celui des aliments réclamés.

18. WV a invoqué l’absence de compétence internationale des juridictions allemandes.

19. La juridiction de première instance de Cologne a considéré qu’elle n’avait pas compétence internationale et a déclaré le recours irrecevable. Selon elle, conformément à l’article 3, sous b), du règlement nº 4/2009, seule la personne à laquelle des aliments sont dus peut être « créancier », et non une entité publique subrogée dans cette créance.

20. L’entité publique requérante a interjeté appel devant l’Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur), qui a annulé la décision contestée et renvoyé l’affaire à la juridiction de première instance afin qu’elle statue à nouveau.

21. Selon la juridiction d’appel, les tribunaux allemands ont compétence internationale, car le créancier d’aliments peut choisir, conformément à l’article 3, sous a) et b), du règlement nº 4/2009, de réclamer les aliments soit devant la juridiction compétente de son lieu de résidence (l’Allemagne), soit devant la juridiction compétente du lieu de résidence du défendeur (dans ce cas, l’Autriche). L’entité publique subrogée dans la créance alimentaire dispose également d’un tel choix.

22. WV a introduit un pourvoi devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), qui a posé à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Un organisme public, qui a servi à un créancier d’aliments des prestations d’aide sociale en vertu de dispositions du droit public, peut-il se prévaloir du for de la résidence habituelle du créancier d’aliments en vertu de l’article 3, sous b), du règlement nº 4/2009, lorsqu’il fait valoir, à titre subrogatoire, à l’encontre du débiteur d’aliments, la créance alimentaire de nature civile du créancier d’aliments qui, du fait de l’octroi de l’aide sociale, lui a été transmise par cession légale ? »

III. La procédure devant la Cour

23. La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 16 juillet 2019.

24. Des observations écrites ont été déposées par les gouvernements de la République fédérale d’Allemagne et du Royaume d’Espagne ainsi que par la Commission européenne.

25. Il n’a pas été jugé nécessaire de tenir une audience.

IV. Analyse

A. Remarque préliminaire

26. La garantie d’un recouvrement effectif et rapide des obligations alimentaires est essentielle au bien-être de très nombreuses personnes en Europe (8). Afin de la renforcer dans les situations transfrontalières, la convention de Bruxelles de 1968 contenait déjà une disposition spéciale en matière de compétence judiciaire internationale (9). En vertu de celle‑ci (article 5, paragraphe 2, de la convention), le créancier d’aliments pouvait saisir de sa demande la juridiction compétente de l’État membre du domicile du débiteur ou de l’État membre où il avait lui‑même son domicile ou sa résidence habituelle. Cette règle a été intégrée dans le règlement nº 44/2001.

27. Le Conseil européen, réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999, a invité le Conseil à établir, sur la base de...

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