Opinion of Advocate General Pitruzzella delivered on 8 September 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:652
Date08 September 2022
Celex Number62021CC0279
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 8 septembre 2022 (1)

Affaire C279/21

X

contre

Udlændingenævnet

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark)]

« Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE – Turquie – Regroupement familial entre époux – Article 13 de la décision nº 1/80 – Règle de “standstill” – Travailleur turc déjà titulaire d’un titre de séjour permanent dans l’État membre d’accueil – Condition de réussite à un examen de langue imposée au travailleur turc dans le cadre du traitement de la demande de regroupement familial introduite par son épouse – Nouvelle restriction – Justification – Raison impérieuse d’intérêt général tenant à la poursuite d’une intégration réussie – Contrôle du caractère nécessaire, approprié et proportionné »






Introduction

1. À de nombreuses reprises, la Cour a prêté son assistance aux juridictions nationales afin de les aider à apprécier la conformité avec le droit de l’Union de réglementations ou législations nationales qui détaillaient les conditions auxquelles les membres de la famille de travailleurs turcs déjà présents sur le territoire de l’Union et appartenant généralement déjà au marché régulier de l’emploi devaient se soumettre pour être autorisés à rejoindre ces travailleurs. Certains États membres ont fait le choix d’exiger que ces membres de la famille prouvent qu’ils disposent des conditions linguistiques minimales jugées nécessaires en vue de leur intégration future dans la société de l’État membre concerné (2). La situation en cause au principal présente ceci d’atypique que le Royaume de Danemark a fait le choix d’imposer une telle exigence linguistique, non pas aux membres de la famille souhaitant rejoindre le travailleur turc sur le territoire danois, mais au travailleur turc lui-même, déjà présent sur le territoire danois et régulièrement intégré au marché du travail, avant d’autoriser le regroupement familial.

2. Y est un ressortissant turc entré le 27 septembre 1979 sur le territoire danois, où il réside depuis lors. Il possède un titre de séjour permanent au Danemark depuis 1985. X est née en Turquie et a la nationalité turque. Elle a épousé Y en Turquie le 10 juillet 2015. Le 14 août 2015, elle est entrée sur le territoire danois puis elle a introduit, le 21 octobre 2015, une demande de permis de séjour au titre du regroupement familial au Danemark en vertu de son mariage avec Y.

3. Dans le cadre de l’examen par les autorités danoises de cette demande introduite par X, Y a dû fournir un certain nombre d’informations. Il a notamment indiqué qu’il n’avait pas réussi le test « Prøve i Dansk 1 » ou un examen équivalent. Il a, en revanche, indiqué avoir suivi une formation de base en matière de bâtiment et travaux publics sous la forme de 320 cours prodigués en langue danoise. Il a également indiqué que, eu égard à son activité professionnelle et en sa qualité de travailleur turc, il n’était pas tenu de remplir une condition linguistique. Il a précisé ne souffrir d’aucun handicap ni d’aucun autre trouble susceptible de justifier une difficulté l’empêchant de réussir ledit test. Il a rappelé qu’il travaille au Danemark depuis 1980, qu’il a quatre enfants adultes, que sa mère et ses huit frères et sœurs vivent au Danemark et qu’aucun membre de sa fratrie ne se trouve en Turquie.

4. Le 1er mars 2016, l’Udlændingestyrelsen (office des migrations, Danemark) a rejeté la demande de X de titre de séjour au titre du regroupement familial avec Y au motif que ce dernier n’avait pas démontré avoir réussi le test de langue « Prøve i Dansk 1 » ou un examen équivalent. Or, si l’article 9, paragraphe 1, point 1, sous d), de l’udlændingeloven lovbekendtgørelse nr. 1021 af 19. September 2014 (loi sur les étrangers telle que publiée par l’arrêté de codification n° 1021 du 19 septembre 2014, ci-après la « loi sur les étrangers ») prévoyait que, sur demande, un titre de séjour pouvait être délivré à tout étranger de plus de 24 ans vivant dans les liens du mariage avec une personne résidant au Danemark également âgée de plus de 24 ans et titulaire d’un titre de séjour permanent au Danemark depuis plus de trois ans, le paragraphe 12, point 5, de cette disposition précisait que, sauf motifs spéciaux tenant notamment à l’unité du foyer familial, un titre de séjour en application du paragraphe 1, point 1, lettera d), de ladite disposition ne pouvait être délivré que si la personne résidant sur le territoire danois avait réussi le test « Prøve i Dansk 1 », au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la lov om danskudddannelse til voksne udlændinge m.fl (loi relative aux cours de langue danoise dispensés aux étrangers majeurs), ou un examen de danois de niveau équivalent ou supérieur. Par ailleurs, l’office des migrations n’a pas estimé être en présence de motifs spéciaux qui lui auraient commandé de donner une suite favorable à la demande de X en dépit du fait qu’Y n’avait pas réussi le test, le rejet de ladite demande ne lui apparaissant notamment pas contraire aux engagements internationaux du Danemark. L’office des migrations a ajouté que cette conclusion n’était pas remise en cause par la clause de « standstill » telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt Dogan (3).

5. Le 25 avril 2016, les autorités danoises ont délivré à X un permis de séjour au Danemark au titre de l’exercice d’une activité salariée, permis qui a été renouvelé le 14 septembre 2017 jusqu’au 13 septembre 2021.

6. X a introduit un recours administratif devant l’Udlændinge-, Integrations- og Boligministerium (ministère des Étrangers, de l’Intégration et du Logement, Danemark) (4) contre la partie de la décision du 1er mars 2016 relative au droit de l’Union et a notamment demandé que la compatibilité de cette décision avec l’arrêt Dogan (5) soit réexaminée. Le ministère des Étrangers, de l’Intégration et du Logement a confirmé le 6 décembre 2017 la décision de l’office des migrations, estimant que ce dernier avait, à suffisance, procédé à une mise en balance et à une appréciation concrètes quant au fait de savoir s’il existait des motifs spéciaux qui auraient pu justifier la délivrance à X d’un titre de séjour au Danemark à des fins de regroupement familial alors qu’Y n’avait pas réussi l’examen de langue danoise. Par ordonnance du 22 novembre 2019, le recours en annulation introduit par X à l’encontre de la décision du 6 décembre 2017 a été transféré à la juridiction de renvoi qui statue en première instance. Devant elle, l’Udlændingenævnet (commission des recours en matière d’immigration, Danemark, ci‑après la « commission des recours ») s’est substituée au ministère en tant que partie défenderesse au principal.

7. Il ressort de la décision de renvoi que la formation en langue danoise qui est sanctionnée par le test « Prøve i Dansk 1 » comporte des cours de langue et culture danoises ainsi que d’instruction civique. Elle est organisée pour des participants n’étant jamais allés à l’école ou ayant un niveau peu élevé d’instruction, et n’ayant pas appris à lire et à écrire dans leur langue maternelle. La condition de réussite à ce test, imposée au travailleur turc pour l’examen de la demande de titre de séjour du conjoint qui souhaite le rejoindre sur le territoire danois, a été introduite par une modification de la loi sur les étrangers intervenue en 2012 (6). Elle reprend une condition qui doit être remplie par tout demandeur ressortissant d’État tiers (7) pour se voir délivrer un titre de séjour permanent au Danemark. C’est désormais une condition qui est exigée des ressortissants étrangers déjà bénéficiaires d’un titre de séjour permanent délivré sous l’empire d’une législation qui n’imposait aucune exigence linguistique pour bénéficier d’un tel titre de séjour, comme ce fut le cas pour Y, lorsque ces ressortissants demandent à être rejoints sur le territoire danois par leur conjoint. La juridiction de renvoi indique que, au moment de l’entrée en vigueur de la décision nº 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie (8), il n’existait pas de règle imposant au travailleur turc déjà présent au Danemark de réussir un examen de langue danoise afin que son conjoint soit autorisé à le rejoindre.

8. En premier lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si une mesure nationale telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’obtention d’un permis de séjour au titre du regroupement familial du conjoint d’un ressortissant turc résidant légalement et travaillant dans l’État membre d’accueil à une condition de réussite à un examen de langue constitue une « nouvelle restriction » au sens de la clause de « standstill » figurant l’article 13 de la décision nº 1/80 (9) et, dans l’affirmative, si une telle restriction peut être justifiée par l’objectif de garantir une intégration réussie du conjoint étranger.

9. La juridiction de renvoi relève, à cet égard, qu’il existe une jurisprudence abondante de la Cour relative à l’article 13 de la décision nº 1/80 (10), la Cour ayant notamment jugé que la clause de « standstill » énoncée par cette disposition fait obstacle à l’introduction par un État membre de nouvelles restrictions quant à la possibilité d’obtenir le regroupement familial sauf si une telle restriction est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (11). Si la Cour a déjà reconnu que l’objectif consistant à garantir une intégration réussie peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général (12), elle aurait toutefois également jugé qu’une condition imposant au conjoint demandeur d’un ressortissant turc résidant dans l’État membre concerné, qui souhaite entrer sur le territoire de cet État au titre...

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