Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 28 avril 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:331
Date28 April 2022
Celex Number62020CC0604
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 28 avril 2022 (1)

Affaire C604/20

ROI Land Investments Ltd.

contre

FD

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (UE) no 1215/2012Articles 17 et 21 – Règlement (CE) no 593/2008 – Loi applicable – Article 6 – Contrat individuel de travail conclu entre un employeur et un salarié – Accord de garantie conclu entre ce salarié et une société tierce assurant l’exécution des obligations incombant à cet employeur envers ledit salarié – Action fondée sur cet accord de garantie – Action en matière de contrat de travail – Notion d’“employeur” – Notion d’“activité professionnelle” – Notion de “consommateur” – Conditions d’application des règles de compétence nationales »






I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle du Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 17, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), ainsi que de l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) nº 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2) ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (3).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FD, domicilié et travaillant en Allemagne, à la société ROI Land Investments Ltd, établie au Canada, au sujet du refus de cette dernière de payer, au titre d’un accord de garantie conclu entre ces deux parties lors du transfert du contrat de travail de FD à une filiale, la société R Swiss AG, les créances salariales de celui-ci à l’égard de cette société en faillite.

3. Le caractère inédit de ces circonstances, par comparaison avec celles qui ont servi de base à la jurisprudence de la Cour relative à la compétence des juridictions dans des litiges transfrontaliers en matière de contrats de travail, a conduit la juridiction de renvoi à s’interroger, en substance, au regard des règles de compétence protectrices des travailleurs et des consommateurs, sur l’interprétation de la notion d’« employeur » en matière de contrat individuel de travail et de la notion d’« activité professionnelle » en matière de contrat conclu par un consommateur, dont l’une de ces notions pourrait fonder la compétence d’une juridiction allemande.

4. Dans ce qui suit, j’exposerai donc les raisons qui me conduisent à considérer, pour l’essentiel :

– qu’une société qui a conclu avec un travailleur, en raison d’un intérêt direct à la bonne exécution du contrat de travail de celui-ci avec une autre société du même groupe, un accord qui fait partie intégrante de ce contrat, en vertu duquel elle garantit notamment la rémunération de ce travailleur, est également un « employeur » au sens de la section 5 du chapitre II du règlement nº 1215/2012 ;

– que les règles de compétence du droit national ne sont pas applicables lorsque les conditions d’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement sont réunies, et

– que, dans l’hypothèse où le litige ne relèverait pas du champ d’application de cette section, un travailleur, dans la situation de celle du salarié en l’espèce, n’est pas un consommateur au sens du règlement Rome I et du règlement nº 1215/2012.

II. Le cadre juridique

A. Le règlement no 1215/2012

5. Dans le cadre des présentes conclusions, je ferai référence aux considérants 14, 15 et 18 du règlement nº 1215/2012.

6. L’article 6, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25. »

7. L’article 17, paragraphe 1, dudit règlement, qui se trouve dans la section 4 du chapitre II de celui-ci, relative à la « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », dispose :

« En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 [...] :

[...]

c) lorsque [...] le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. »

8. L’article 18 du même règlement, qui se trouve également dans cette section, énonce, à son paragraphe 1 :

« L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l’autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié. »

9. La section 5 du chapitre II du règlement nº 1215/2012, relative à la « Compétence en matière de contrats individuels de travail », comprend, notamment, les articles 20 et 21. L’article 20, paragraphe 1, dispose :

« En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 [...] »

10. L’article 21 de ce règlement énonce :

« 1. Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

[...]

b) dans un autre État membre :

i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou

[...]

2. Un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions d’un État membre conformément au paragraphe 1, point b). »

B. Le règlement Rome I

11. Dans le cadre des présentes conclusions, je ferai référence au considérant 7 du règlement Rome I.

12. Le règlement Rome I contient un article 6, relatif aux « Contrats de consommation », qui dispose à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après le “consommateur”), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après le “professionnel”), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :

a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou

b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,

et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité. »

III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

13. ROI Land Investments est une société immobilière domiciliée au Canada. FD, résidant en Allemagne, a travaillé à partir du mois de septembre 2015 pour ROI Land Investments en tant que « deputy vice president investors relations » (vice-président délégué des relations avec les investisseurs) sur la base d’un « service agreement » (contrat de louage de services).

14. En raison d’une incertitude existant quant à la nature de leurs relations contractuelles, ces deux parties ont décidé de « transférer » leur relation contractuelle à une nouvelle société suisse qui devait être créée pour la distribution en Europe (4). Elles sont convenues, au cours du mois de novembre 2015, de résilier ce contrat de louage de services avec effet rétroactif. Dans une lettre accompagnant cet accord, il est indiqué que FD l’a signé à la condition qu’un accord équivalent soit conclu au sujet d’un contrat portant sur la direction de la société suisse à créer.

15. Le 15 janvier 2016, les actions de R Swiss créée la veille, conformément au droit suisse, ont été cédées au président de ROI Land Investments et futur président du conseil d’administration de R Swiss. En avril 2016, celui-ci les a transférées à R D Canada Inc., une filiale à 100 % de ROI Land Investments.

16. Le 12 février 2016, FD a conclu un contrat de travail écrit avec R Swiss concernant son activité de directeur et fixant le montant de sa prime d’entrée ainsi que de sa rémunération. Le même jour, FD et ROI Land Investments ont signé un document intitulé « patron agreement », qui est, selon la dénomination retenue par les parties, une expression équivalente à celle d’« accord de garantie » (ci-après l’« accord de garantie »), dont le contenu est le suivant :

« Article 1er

La société R (5) a créé pour la distribution en Europe une filiale, la société R Swiss AG. Le directeur est le cadre dirigeant de cette entreprise. Conformément à cette prémisse, la société R déclare ce qui suit :

Article 2

La société R a la responsabilité pleine et entière de l’exécution des obligations en ce qui concerne les contrats de la société R Swiss AG sur la base de la collaboration de son directeur avec la société R Swiss AG. »

17. Cet accord de garantie ne contient pas de clause d’élection de for ni de clause de choix de la loi applicable. Le lieu habituel du travail de FD pour R Swiss était à Stuttgart (Allemagne).

18. Le 11 juillet 2016, R Swiss a licencié FD. Par jugement du 2 novembre 2016, l’Arbeitsgericht Stuttgart (tribunal du travail de Stuttgart, Allemagne), saisi par FD, a constaté de manière définitive la nullité de ce licenciement. Il a, en outre, condamné R Swiss...

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