Conclusiones del Abogado General Sr. J. Richard de la Tour, presentadas el 23 de marzo de 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:250
Date23 March 2023
Celex Number62021CC0832
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 23 mars 2023 (1)

Affaire C832/21

Beverage City & Lifestyle GmbH,

MJ,

Beverage City Polska sp. z o.o.,

FE

contre

Advance Magazine Publishers Inc.

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétences spéciales – Article 8, point 1 – Pluralité de défendeurs – Marque de l’Union européenne – Règlement (UE) 2017/1001 – Articles 122 et 125 – Compétence internationale en matière de contrefaçon et de validité – Action en contrefaçon d’une marque de l’Union européenne dirigée contre plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres – Compétence de la juridiction du domicile du dirigeant d’une société défenderesse – Compétence de la juridiction saisie à l’égard des codéfendeurs domiciliés en dehors de l’État membre du for – Demandes liées par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps – Notion de “rapport si étroit” – Relation entre le fournisseur et son client »






I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) porte sur l’interprétation de l’article 8, point 1, du règlement (UE) nº 1215/2012 (2), qui doit être lu en combinaison avec l’article 122 du règlement (UE) 2017/1001 (3).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le titulaire d’une marque de l’Union européenne, établi aux États-Unis, à un distributeur et à son fournisseur de produits, domiciliés, respectivement, en Allemagne et en Pologne, au sujet de la prétendue contrefaçon par ceux-ci de cette marque.

3. Dans le contexte particulier de cette action soumise à des critères de compétence judiciaire propres, la Cour est invitée à compléter sa jurisprudence relative aux conditions d’application de la règle spéciale prévue à l’article 8, point 1, du règlement nº 1215/2012, permettant d’attraire plusieurs défendeurs, domiciliés dans différents États membres, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux seulement, alors que les demandes formées devant la juridiction de renvoi sont dirigées contre différentes sociétés et leurs gérants, mis en cause non seulement en qualité de représentant légal de celles-ci, mais aussi à titre personnel.

4. Je vais exposer les raisons pour lesquelles je suis d’avis que le titulaire d’une marque de l’Union européenne, qui estime être victime d’actes de contrefaçon, peut saisir un seul juge qui sera compétent pour statuer sur l’ensemble des demandes relatives aux actes commis par différents contrefacteurs portant sur les mêmes produits, spécialement dans le cadre d’un contrat exclusif d’approvisionnement, sous réserve que, lors de l’introduction de la demande, soit justifié le rôle du défendeur d’ancrage dans la chaîne contrefactuelle.

II. Le droit de l’Union

A. Le règlement no 1215/2012

5. L’article 8, point 1, du règlement nº 1215/2012 prévoit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :

1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. »

B. Le RMUE

6. L’article 1er du RMUE, intitulé « Marque de l’Union européenne », dispose, à son paragraphe 2 :

« La marque de l’Union européenne a un caractère unitaire. Elle produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union : elle ne peut être enregistrée, transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité, et son usage ne peut être interdit, que pour l’ensemble de l’Union. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du présent règlement. »

7. L’article 17 du RMUE, intitulé « Application complémentaire du droit national en matière de contrefaçon », énonce :

« 1. Les effets de la marque de l’Union européenne sont exclusivement déterminés par les dispositions du présent règlement. Par ailleurs, les atteintes à une marque de l’Union européenne sont régies par le droit national concernant les atteintes à une marque nationale conformément aux dispositions du chapitre X [notamment aux articles 129 et 130].

2. Le présent règlement n’exclut pas que des actions portant sur une marque de l’Union européenne soient intentées sur la base du droit des États membres concernant notamment la responsabilité civile et la concurrence déloyale.

3. Les règles de procédure applicables sont déterminées conformément aux dispositions du chapitre X. »

8. Le chapitre X du RMUE, intitulé « Compétence et procédure concernant les actions en justice relatives aux marques de l’Union européenne », comprend les articles 122 à 135. Aux termes de l’article 125, intitulé « Compétence internationale » :

« 1. Sous réserve des dispositions du présent règlement ainsi que des dispositions du règlement [nº 1215/2012] applicables en vertu de l’article 122, les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124 [notamment les actions en contrefaçon] sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

[...]

5. Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124, à l’exception des actions en déclaration de non‑contrefaçon d’une marque de l’Union européenne, peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis ou sur le territoire duquel un fait visé à l’article 11, paragraphe 2, a été commis. »

III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

9. Advance Magazine Publishers Inc. est titulaire de plusieurs marques de l’Union européenne contenant l’élément verbal « Vogue », pour lesquelles elle fait valoir qu’il s’agit de marques renommées.

10. Beverage City Polska sp. z o.o. est une société de droit polonais, ayant son siège à Cracovie (Pologne), dont le gérant, FE, est domicilié dans la même ville. Elle produit une boisson énergisante sous la dénomination « Diamant Vogue » et en assure également la promotion ainsi que la distribution.

11. Beverage City & Lifestyle GmbH est une société de droit allemand dont le siège est situé à Schorfheide, dans le Land de Brandebourg (Allemagne). Son gérant, MJ, est domicilié dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Allemagne). Cette société était liée à Beverage City Polska par un contrat de distribution exclusive pour l’Allemagne et elle lui achetait la boisson énergisante ainsi étiquetée en Pologne. Les deux sociétés ne sont pas liées par une appartenance au même groupe malgré la similitude de leurs noms.

12. S’estimant victime de faits de contrefaçon de ses marques, la requérante a engagé (4) contre ces sociétés et leurs gérants devant le tribunal des marques de l’Union européenne compétent pour le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf), une action en cessation sur l’ensemble du territoire de l’Union ainsi qu’en fourniture d’informations, reddition de comptes et constatation de l’obligation d’indemnisation. Par la suite, ces demandes annexes ont été limitées aux agissements en Allemagne.

13. Beverage City Polska et son gérant, FE, contestent (5), en appel devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf), la décision du Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf), qui, avant de faire droit aux demandes de la requérante, a fondé sa compétence internationale à leur égard sur l’article 8, point 1, du règlement nº 1215/2012, en se référant aux principes établis dans l’arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo (6).

14. Ils soutiennent devant la juridiction de renvoi qu’ils ont agi et livré les marchandises à leurs clients exclusivement en Pologne. L’arrêt Nintendo ne serait pas transposable à leur situation au motif qu’il n’existerait pas de lien pertinent entre eux et Beverage City & Lifestyle ainsi que son gérant.

15. La juridiction de renvoi souligne, d’une part, que la compétence internationale du Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) est fondée, en vertu de l’article 125, paragraphe 1, du RMUE, sur le lieu du domicile du gérant de la société allemande, qu’elle qualifie de défendeur d’ancrage (7).

16. D’autre part, s’agissant des codéfendeurs domiciliés en Pologne, la solution de l’arrêt Nintendo reposerait sur le fait que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, les défendeurs étaient liés par une appartenance au même groupe de sociétés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, seule une relation de livraison existe entre Beverage City & Lifestyle et Beverage City Polska. Les gérants de ces sociétés étant mis en cause seulement en tant que représentants respectifs de ces personnes morales, il n’y a donc pas de relation entre le défendeur d’ancrage et les défendeurs domiciliés en Pologne. La question se pose donc de savoir si un lien matériel sous la forme d’une chaîne d’approvisionnement est suffisant.

17. La juridiction de renvoi estime, en outre, qu’il conviendrait de tenir compte du fait que le litige porte sur les mêmes marques et produits de contrefaçon, de sorte qu’il existe un risque de solutions inconciliables en cas de divergence d’appréciation de la distribution comme un acte de contrefaçon si différentes juridictions sont saisies. Elle est aussi d’avis qu’un tel risque pourrait être constaté si les mêmes produits, commercialisés au sein de...

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