Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 29 February 2024.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62022CC0623
ECLIECLI:EU:C:2024:189
Date29 February 2024
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 29 février 2024 (1)

Affaire C623/22

Belgian Association of Tax Lawyers,

SR,

FK,

Ordre des barreaux francophones et germanophone,

Orde van Vlaamse Balies,

CQ,

Instituut van de Accountants en de Belastingconsulenten,

Beroepsinstituut van Erkende Boekhouders en Fiscalisten,

VH,

ZS,

NI,

EX

contre

Premier ministre/Eerste Minister

en présence de :

Conseil des barreaux européens AISBL,

Conseil National des Barreaux de France

[demande de décision préjudicielle introduite par la Cour constitutionnelle (Belgique)]

(Renvoi préjudiciel – Directive du Conseil 2011/16/UE – Coopération administrative dans le domaine fiscal – Directive du Conseil (UE) 2018/822 – Dispositifs transfrontières potentiellement agressifs – Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices – Obligation de déclaration – Échange automatique d’informations – Article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de légalité des peines – Clarté et précision de l’obligation de déclaration – Article 7 de la Charte – Droit au respect de la vie privée – Existence et justification d’ingérences dans la vie privée – Intermédiaires – Secret professionnel – Portée de la dispense)






I. Introduction

1. Si l’évasion, la fraude et les abus en matière de fiscalité constituent depuis la nuit des temps l’une des préoccupations majeures de tout gouvernement, les stratégies d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices (ci-après les « stratégies BEPS ») sont un phénomène relativement nouveau. Il s’agit, en substance, de stratégies de planification fiscale internationale agressives qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales afin de transférer artificiellement des bénéfices vers des destinations où ils ne sont pas imposés ou sont soumis à une imposition réduite, avec pour conséquence le paiement d’impôts peu élevés, voire nuls, et d’importantes pertes de recettes pour les gouvernements (2).

2. Les répercussions croissantes de ces stratégies sur les finances publiques – qui sont dues à un ensemble de facteurs, notamment la mobilité accrue, les chaînes de valeur mondiales et la digitalisation de l’économie – ainsi que la sensibilisation accrue des citoyens, qui les perçoivent comme compromettant l’équité et l’intégrité des systèmes fiscaux, ont suscité, au niveau global comme au sein de l’Union européenne, des discussions sur la manière dont les gouvernements devraient répondre à ce phénomène.

3. La directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018, modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration est l’un des instruments clés adoptés par l’Union européenne dans ce contexte (3). En substance, la directive 2018/822 instaure un régime de déclaration obligatoire applicable aux intermédiaires et aux contribuables, associé à un échange automatique d’informations entre les autorités fiscales des États membres en ce qui concerne les dispositifs transfrontières potentiellement « agressifs » (4).

4. Dans la présente affaire, il est demandé à la Cour de contrôler la légalité de ce régime. Les cinq questions posées à titre préjudiciel par la Cour constitutionnelle (Belgique) soulèvent en effet diverses questions juridiques à cet égard. Certaines de ces questions préjudicielles concernent des éléments spécifiques de la directive 2018/822 tandis que d’autres portent sur des questions plus générales, notamment, singulièrement, celle de savoir si l’ingérence dans la vie privée des personnes tenues de communiquer les informations pertinentes aux autorités compétentes est contraire à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5. La directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (5) a instauré un système sécurisé de coopération administrative entre les autorités fiscales des États membres et a établi les règles et procédures de l’échange d’informations à des fins fiscales.

6. La directive 2011/16 a été modifiée à diverses reprises, notamment, comme indiqué ci-dessus, par la directive 2018/822 (6)

7. Les considérants 2, 4, 6, 8 et 9 de la directive 2018/822 indiquent ce qui suit (7) :

« 2) Les États membres éprouvent de plus en plus de difficultés à protéger leur base d’imposition nationale de l’érosion car les structures de planification fiscale sont devenues particulièrement sophistiquées et tirent souvent parti de la mobilité accrue tant des capitaux que des personnes au sein du marché intérieur. De telles structures sont généralement constituées de dispositifs qui sont mis en place dans différentes juridictions et permettent de transférer les bénéfices imposables vers des régimes fiscaux plus favorables ou qui ont pour effet de réduire l’ardoise fiscale totale du contribuable. En conséquence, les États membres voient souvent leurs recettes fiscales diminuer de façon considérable, ce qui les empêche d’appliquer des politiques fiscales propices à la croissance. Il est par conséquent essentiel que les autorités fiscales des États membres obtiennent des informations complètes et pertinentes sur les dispositifs fiscaux à caractère potentiellement agressif. De telles informations leur permettraient de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables et de remédier aux lacunes par voie législative ou par la réalisation d’analyses des risques appropriées et de contrôles fiscaux. [...]

4) [...] la Commission a été amenée à engager des initiatives relatives à la communication obligatoire d’informations sur les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif, qui s’inspirent de l’action 12 du projet [BEPS] de l’OCDE [...]. Dans ce contexte, le Parlement européen a plaidé en faveur de mesures plus strictes contre les intermédiaires qui participent à des dispositifs pouvant conduire à l’évasion et la fraude fiscales. [...]

[...]

6) La déclaration d’informations sur des dispositifs transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif peut contribuer efficacement aux efforts déployés pour créer un environnement fiscal équitable dans le marché intérieur. À cet égard, faire obligation aux intermédiaires d’informer les autorités fiscales de certains dispositifs transfrontières susceptibles d’être utilisés à des fins de planification fiscale agressive constituerait un pas dans la bonne direction. Afin de mettre en place une politique plus globale, il serait également nécessaire que, dans un deuxième temps, après la déclaration des informations, les autorités fiscales les partagent avec leurs homologues dans les autres États membres. [...]

[...]

8) Afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur et de prévenir les lacunes dans le cadre réglementaire proposé, l’obligation de déclaration devrait incomber à tous les acteurs qui participent généralement à la conception, la commercialisation, l’organisation ou la gestion de la mise en œuvre d’une opération transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ou d’une série de telles opérations, ainsi qu’à ceux qui apportent assistance ou conseil. Il convient de noter que, dans certains cas, l’obligation de déclaration ne serait pas applicable à un intermédiaire en raison du secret professionnel applicable en vertu du droit ou lorsqu’il n’existe pas d’intermédiaire, par exemple parce que le contribuable conçoit et met en œuvre un schéma en interne. [...] Il serait donc nécessaire que l’obligation de déclaration incombe alors au contribuable qui bénéficie du dispositif dans ces cas particuliers.

9) Les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif ont évolué au fil des ans pour devenir toujours plus complexes et font en permanence l’objet de modifications et d’ajustements pour répondre aux contre-mesures défensives prises par les autorités fiscales. Compte tenu de ce qui précède, il serait plus efficace de chercher à cerner les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif en constituant une liste des caractéristiques et éléments des opérations présentant des signes manifestes d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives plutôt que de définir la notion de planification fiscale agressive. Ces indications sont appelées des “marqueurs”.

[...] »

8. L’article 3 de la directive 2011/16 contient les « définitions », notamment celles de « dispositif transfrontière » (point 18), « marqueur » (point 20), « intermédiaire » (point 21), « entreprise associée » (point 23), « dispositif commercialisable » (point 24) et « dispositif sur mesure » (point 25).

9. L’article 8 bis ter de cette directive (« Champ d’application et conditions de l’échange automatique et obligatoire d’informations relatives aux dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration ») dispose :

« 1. Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les intermédiaires soient tenus de transmettre aux autorités compétentes les informations dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent concernant les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration dans un délai de trente jours, commençant :

a) le lendemain de la mise à disposition aux fins de mise en œuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ; ou

b) le lendemain du jour où le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est prêt à être mis en œuvre ; ou

c) lorsque la première étape de la mise en œuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration a été accomplie,

la date intervenant le plus tôt étant retenue.

Nonobstant le premier alinéa...

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