Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 4 May 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:388
Date04 May 2023
Celex Number62022CC0294
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 4 mai 2023(1)

Affaire C294/22

Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)

contre

SW

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

[Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95/UE – Conditions à remplir par les ressortissants de pays tiers ou les apatrides sollicitant l’octroi du statut de réfugié – Apatrides d’origine palestinienne ayant eu recours à l’assistance de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) – Article 12, paragraphe 1, sous a) – Exclusion du statut de réfugié – Cessation de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA – Conditions pour se prévaloir ipso facto de la directive 2011/95 – Sens de « si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit »]






I. Introduction

1. SW, le requérant au principal, est un apatride d’origine palestinienne, né au Liban, sous la protection de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Il a quitté le Liban en raison de son état de santé critique et demande l’asile en France, au motif que la protection ou l’assistance de l’UNRWA à son égard a « cessé », étant donné qu’il lui est impossible d’obtenir au Liban les soins et traitements médicaux dont sa survie dépend (2).

2. C’est dans ce contexte que la Cour est appelée à interpréter une nouvelle fois (3) l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE (4). Elle se voit ainsi offrir l’occasion de déterminer si et, dans l’affirmative, dans quelles conditions il est possible de considérer que la protection ou l’assistance de l’UNRWA à l’égard d’un apatride d’origine palestinienne a « cessé » au sens de cette disposition et que l’intéressé peut ipso facto se prévaloir en tant que réfugié de ladite directive dans une situation où il ne peut obtenir dans la zone d’opération de l’UNRWA les soins médicaux dont il a besoin.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

1. La convention de Genève

3. L’article 1er, section D, de la convention de Genève (5) énonce :

« Cette convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés.

Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention. »

2. Les résolutions de lAssemblée générale des Nations unies relatives à l’UNRWA

4. L’UNRWA a été institué par la résolution nº 302 (IV) de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 décembre 1949. Son mandat a été régulièrement renouvelé et son mandat actuel expire le 30 juin 2023. La zone d’opération de l’UNRWA comprend le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza.

5. Compte tenu de la nature de ses opérations, l’UNRWA est « un organisme ou [...] une institution des Nations unies autre que le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés » au sens de l’article 1er, section D, de la convention de Genève.

6. Aux termes de la résolution nº 74/83 de l’Assemblée générale des Nations unies du 13 décembre 2019, les opérations de l’UNRWA doivent être menées au regard « du bien-être, de la protection et du développement humain des réfugiés de Palestine ». Il fournit par ailleurs une « aide pour subvenir à leurs besoins essentiels en matière de santé, d’éducation et de subsistance ».

B. Le droit de l’Union

7. Le considérant 15 de la directive 2011/95 déclare :

« Les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui sont autorisés à séjourner sur le territoire des États membres pour des raisons autres que le besoin de protection internationale, mais à titre discrétionnaire par bienveillance ou pour des raisons humanitaires, n’entrent pas dans le champ d’application de la présente directive. »

8. L’article 12 de cette directive, intitulé « Exclusion », dispose :

« 1. Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié :

a) lorsqu’il relève du champ d’application de l’article 1er, section D, de la convention de Genève, concernant la protection ou l’assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé conformément aux résolutions pertinentes de l’assemblée générale des Nations unies, ces personnes pourront ipso facto se prévaloir de la présente directive ;

[...] »

C. Le droit national

9. La directive 2011/95 a été transposée en droit français par la loi nº 2015‑925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile (JORF nº 0174 du 30 juillet 2015) et le décret no 20151166 du 21 septembre 2015 pris pour l’application de la loi no 2015925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile (JORF nº 0219 du 22 septembre 2015).

10. La loi nº 2015‑925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile a ajouté au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile un article L711‑3, dont le paragraphe 1, dans sa version applicable au litige, dispose :

« Le statut de réfugié n’est pas accordé à une personne qui relève de l’une des clauses d’exclusion prévues aux sections D, E ou F de l’article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951 [...] ».

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

11. SW est un apatride d’origine palestinienne. Né au Liban en 1976, il a vécu dans ce pays, qui appartient à la zone d’opération de l’UNRWA, jusqu’au mois de février 2019. Il est enregistré auprès de l’UNRWA et a dès lors vocation à bénéficier de la protection et de l’assistance de cet organisme. Il a quitté le Liban au cours du mois de février 2019 et est arrivé au cours du mois d’août 2019 en France, où il a demandé l’asile.

12. La demande d’asile de SW a été rejetée par une décision de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du 11 octobre 2019, qui lui a refusé tant le statut de réfugié que le bénéfice de la protection subsidiaire.

13. SW a introduit un recours contre cette décision devant la Cour nationale du droit d’asile (France). Les faits considérés par la Cour nationale du droit d’asile comme étant pertinents sont les suivants.

– SW souffre de naissance d’une forme grave de thalassémie, une maladie génétique affectant la production d’hémoglobine et qui nécessite, entre autres, des transfusions sanguines régulières.

– En grandissant, SW a dû recourir de plus en plus fréquemment à des transfusions sanguines. L’UNRWA l’a orienté vers un hôpital du Croissant Rouge palestinien, où il n’a cependant pas, selon SW, pu recevoir de soins appropriés. SW a dès lors décidé de recourir à des transfusions de sang donné par son père.

– Au cours de l’année 2014, le père de SW, qui avait jusque-là fourni le sang utilisé pour les transfusions nécessaires à la survie de SW, est décédé. SW a alors eu recours, pour ses transfusions, à du sang provenant de donneurs compatibles qu’il sollicitait lui-même.

– Il a également été informé par un médecin qu’il devait prendre un médicament spécifique pour éviter que sa maladie n’entraîne des complications pour son foie et son cœur, médicament que toutefois ni l’UNRWA (faute de moyens financiers) ni aucune organisation d’aide palestinienne (SW n’étant affilié à aucun parti politique palestinien) n’ont accepté de lui fournir.

– SW ne disposait pas de moyens financiers suffisants pour recevoir une assistance médicale d’une quelconque autre source et n’a pas pu obtenir ce médicament.

14. Par une décision du 9 décembre 2020, la Cour nationale du droit d’asile a reconnu à SW le statut de réfugié au motif que l’UNRWA n’était pas en mesure de lui offrir un accès suffisant aux soins médicaux spécialisés que son état de santé nécessitait. L’UNRWA avait en outre échoué à assurer à SW des conditions de vie conformes à sa mission d’assistance et l’avait placé dans un état personnel d’insécurité grave. Il fallait dès lors considérer que SW avait été contraint de quitter le Liban.

15. L’OFPRA a saisi le Conseil d’État (France) d’un pourvoi contre cette décision, à l’appui duquel il a fait valoir, premièrement, que la Cour nationale du droit d’asile n’avait pas recherché si SW avait quitté le Liban parce qu’il avait été contraint de quitter la zone d’opération de l’UNRWA en raison de menaces pesant sur sa sécurité, deuxièmement, que la Cour nationale du droit d’asile avait commis une erreur de droit en jugeant que l’impossibilité pour l’UNRWA de financer ou assurer d’une autre manière les soins de santé adaptés à l’état de santé de SW constituait un motif de fin de protection ou d’assistance effective de cet organisme et, troisièmement, qu’elle avait également commis une erreur de droit en jugeant qu’il entrait dans la mission de l’UNRWA de prendre en charge des soins médicaux spécialisés (6). L’OFRPA a par ailleurs invoqué qu’il n’était pas établi qu’il était impossible à SW de recevoir des soins médicaux appropriés au Liban.

16. Le Conseil d’État a rappelé que, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, une personne est exclue du statut de réfugié lorsqu’elle relève du champ d’application de l’article 1er, section D, de la convention de Genève, ce qui est le cas lorsque l’intéressé a eu recours à la...

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  • Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 11 January 2024.
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    • 11 January 2024
    ...für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 20 et jurisprudence citée). 17 C‑294/22, EU:C:2023:388, points 19 à 21. Voir, également, arrêt du 5 octobre 2023, OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑294/22, EU:C:2023:7......
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