Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 6 July 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:549
Date06 July 2023
Celex Number62022CC0147
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 6 juillet 2023 (1)

Affaire C147/22

Központi Nyomozó Főügyészség

Autre partie à la procédure :

Terhelt5

[demande de décision préjudicielle formée par le Fővárosi Törvényszék (Cour de Budapest-Capitale, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Convention d’application de l’Accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Classement sans suite de la procédure – Décision d’un procureur – Appréciation au fond – Instruction approfondie – Examen des éléments de preuve »






I. Introduction

1. Le principe ne bis in idem – qui, en résumé, interdit un cumul tant de poursuites que de sanctions présentant une nature pénale pour les mêmes faits et contre une même personne – est consacré, entre autres, à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et à l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (ci-après la « CAAS ») (2).

2. Dans sa jurisprudence, la Cour a précisé que des décisions de classer sans suite la procédure adoptées par des procureurs au cours de la phase d’instruction peuvent également déclencher l’application du principe ne bis in idem, mais uniquement si ces décisions ont été rendues à la suite d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire, après une instruction approfondie (3). En l’espèce, la juridiction de renvoi demande à la Cour de justice, notamment, de préciser les critères en vertu desquels une instruction devrait être considérée comme « approfondie » aux fins du principe ne bis in idem.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. L’article 54 de la CAAS, qui figure au chapitre 3 de celle-ci, est intitulé « Application du principe ne bis in idem » et dispose :

« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation ».

B. Le droit hongrois

4. Le paragraphe 6 de l’article XXVIII de la Magyarország Alaptörvénye (Loi fondamentale hongroise) dispose que, sous réserve des cas exceptionnels de recours prévus par la loi, nul ne peut être poursuivi ou condamné en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement pénal définitif en Hongrie ou – dans la mesure déterminée par un traité international ou par un instrument juridique de l’Union européenne – dans un autre État.

5. Conformément à l’article 4, paragraphe 3, de l’a büntetőeljárásról szóló 2017. évi XC. törvény (loi n° XC de 2017 sur la procédure pénale ; ci-après le « code de procédure pénale »), l’action publique ne peut pas être exercée ou, si elle a été engagée, doit être close si l’auteur de l’infraction a déjà fait l’objet d’un jugement définitif, sous réserve des voies de recours extraordinaires et de certaines procédures spéciales. Le paragraphe 7 du même article prévoit, quant à lui, que l’action publique ne peut pas être exercée ou, si elle a été engagée, doit être close si l’auteur de l’infraction a déjà fait l’objet d’un jugement définitif dans un État membre de l’Union, ou qu’une décision sur le fond des faits a été prise dans un État membre, qui, en vertu du droit de l’État membre où la décision a été prise, fait obstacle à ce que de nouvelles poursuites pénales soient engagées pour les mêmes faits, ou à ce que la procédure soit poursuivie d’office ou sur la base des voies de recours ordinaires.

C. Le droit autrichien

6. L’article 190 de la Strafprozessordnung (code de procédure pénale ; ci-après la « StPO »), intitulé « Clôture de la procédure d’instruction », dispose :

« Le parquet doit mettre fin aux poursuites pénales et clôturer la procédure d’instruction lorsque :

1. l’infraction à la base de la procédure d’instruction n’est pas passible d’une sanction judiciaire ou il serait illégal, pour des motifs juridiques, de continuer les poursuites à l’encontre du prévenu, ou

2. il n’existe aucun motif réel de continuer les poursuites à l’encontre du prévenu ».

7. L’article 193 de la StPO, intitulé « Poursuite de la procédure », dispose :

« (1) Une fois la procédure clôturée, aucune autre instruction ne peut être menée à l’encontre du prévenu ; le cas échéant, le parquet ordonne sa libération. Toutefois, si la décision relative à la poursuite de la procédure requiert certains actes d’instruction ou d’administration des preuves, le parquet peut, ponctuellement, en ordonner la réalisation ou les mener à bien.

(2) Le parquet peut ordonner la poursuite d’une instruction clôturée en vertu de l’article 190 ou 191 aussi longtemps que les poursuites pénales relatives à l’infraction ne sont pas prescrites et si :

1. le prévenu n’a pas été interrogé en ce qui concerne cette infraction [...] et aucune contrainte ne lui a été imposée à cet égard, ou

2. de nouveaux faits ou éléments de preuve surviennent ou apparaissent qui, seuls ou en combinaison avec d’autres résultats de la procédure, semblent propres à justifier la condamnation de l’inculpé [...].

[...] »

III. Les faits, la procédure nationale et les questions préjudicielles

8. Le 22 août 2012, le Zentrale Staatsanwaltschaft zur Verfolgung von Wirtschaftsstrafsachen und Korruption (parquet central autrichien chargé des poursuites contre la délinquance financière et la corruption ; ci-après le « WKStA ») a ouvert des instructions pénales à l’encontre d’un ressortissant hongrois (ci-après le « prévenu 5 ») pour des faits de corruption ainsi qu’à l’encontre de deux coprévenus pour des faits de blanchiment de capitaux, de détournement de fonds et de corruption.

9. Les instructions portaient sur des faits qui ont eu lieu entre 2005 et 2010 et qui impliquaient des pots-de-vin dont on soupçonnait le versement à des responsables publics par l’intermédiaire de plusieurs sociétés établies dans différents États membres dans le but d’influencer la décision à prendre dans le cadre d’une procédure de passation de marchés publics pour la livraison de nouvelles rames pour deux lignes de métro à Budapest, en Hongrie. Cela incluait des transferts de, globalement, plusieurs millions d’euros à titre de paiement pour des services de consultance pour lesquels il était soupçonné qu’ils n’avaient jamais été fournis.

10. Aux fins de remporter ce marché public, le prévenu 5 – qui aurait eu connaissance des objectifs réels et du caractère fictif des contrats de consultance – est soupçonné de s’être engagé à procurer un avantage illicite en vue de corrompre la ou les personnes en mesure d’influencer les responsables de la prise de décisions pour ce marché. Plus précisément, entre le 5 avril 2007 et le 8 février 2010, le prévenu 5 aurait effectué, à partir d’une société, plusieurs versements pour un montant total de plus de 7 000 000 euros à des responsables publics qui étaient auteurs de l’infraction de corruption passive et qui sont restés inconnus.

11. Les soupçons concernant le prévenu 5 se fondaient sur les informations d’instruction fournies à la suite d’une demande d’entraide judiciaire introduite par le Serious Fraud Office (Service des fraudes graves, Royaume-Uni) ainsi que sur des données fournies en relation avec des comptes bancaires et sur les auditions des deux ressortissants autrichiens poursuivis.

12. Le prévenu 5 n’a pas été entendu en tant que suspect durant l’instruction du WKStA étant donné que la mesure d’instruction prise par le WKStA le 26 mai 2014 pour le localiser – une mesure pouvant être qualifiée de mesure de contrainte aux fins de l’article 193, paragraphe 2, de la StPO – s’est avérée infructueuse.

13. Par ordonnance du 3 novembre 2014, le WKStA a mis fin à l’instruction pour absence de preuves. Le WKStA a, par la suite, réexaminé la situation à plusieurs reprises, mais a conclu à chaque fois que les conditions permettant de poursuivre l’instruction et d’engager des poursuites en vertu du droit national n’étaient pas réunies. En particulier, il a considéré que les faits de corruption reprochés au prévenu 5 étaient prescrits en Autriche au moins depuis 2015.

14. Les 10 avril et 29 août 2019, le Központi Nyomozó Főügyészség (Parquet national, Hongrie ; ci-après le « KNF ») a déposé devant le Fővárosi Törvényszék (Cour de Budapest-Capitale, Hongrie) un réquisitoire contre le prévenu 5 pour corruption au sens de l’article 254, paragraphes 1 et 2, du code pénal hongrois.

15. Par ordonnance du 8 décembre 2020, le Fővárosi Törvényszék (Cour de Budapest-Capitale) a clôturé la procédure pénale engagée contre le prévenu 5 par application du principe ne bis in idem au motif que les faits qui lui étaient reprochés correspondaient à ceux qui avaient fait l’objet de l’instruction devant le WKStA.

16. L’ordonnance du Fővárosi Törvényszék (Cour de Budapest‑Capitale) a, par la suite, été annulée en appel par une ordonnance du Fővárosi Ítélőtábla (Cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) du 15 juin 2021. Cette juridiction a jugé que la décision du WKStA du 3 novembre 2014 clôturant l’instruction ne pouvait être considérée comme un jugement définitif au sens de l’article 50 de la Charte et de l’article 54 de la CAAS. À cet égard, la juridiction a considéré que les documents disponibles ne permettaient pas de déterminer clairement si la décision du WKStA de clôturer l’instruction reposait sur une appréciation suffisamment détaillée et approfondie des éléments de preuve. Selon elle, il n’était pas établi que le WKStA avait recueilli des éléments de preuve en dehors de l’audition...

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