Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 21 March 2024.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62023CC0224 |
ECLI | ECLI:EU:C:2024:267 |
Date | 21 March 2024 |
Court | Court of Justice (European Union) |
CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME TAMARA ĆAPETA
présentées le 21 mars 2024 (1)
Affaire C‑224/23 P
Penya Barça Lyon : Plus que des supporters (PBL),
Issam Abdelmouine
contre
Commission européenne
« Pourvoi – Aide d’État – Aide alléguée en faveur du Paris Saint-Germain FC – Règlement (UE) 2015/1589 – Article 1er, sous h) – Article 24, paragraphe 2 – Notion de “partie intéressée” – Portée de la notion d’“intérêt” d’une personne, d’une entreprise ou d’une association d’entreprises – Nécessité d’un lien de causalité entre les intérêts de ces parties et l’octroi de l’aide »
I. Introduction
1. M. Issam Abdelmouine est un supporter déclaré du FC Barcelona et un « socio » (membre) de ce club de football. Avec Penya Barça Lyon : Plus que des supporters (ci-après « PBL »), une association française de supporters de football soutenant le FC Barcelona, il a déposé une plainte auprès de la Commission européenne en soutenant que la France avait octroyé une aide d’État illégale, prenant la forme de la non‑application de certaines règles relatives au fair-play financier instituées par l’Union des associations européennes de football (UEFA). Selon lui, cette non‑application a permis au Paris Saint-Germain FC de recruter le joueur de football M. Lionel Messi, du FC Barcelona.
2. La Commission a répondu à cette plainte par une lettre dans laquelle elle a expliqué que cette correspondance ne pouvait être traitée comme une « plainte formelle » (2), M. Abdelmouine n’ayant pas la qualité de « partie intéressée » au sens du règlement (UE) 2015/1589 (3).
3. Dans l’arrêt du 8 février 2023, PBL et WA/Commission (T‑538/21, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:53), ayant fait suite au recours en annulation introduit contre cette lettre, le Tribunal a confirmé la position de la Commission, selon laquelle M. Abdelmouine ne pouvait pas être reconnu comme étant une « partie intéressée » au sens du règlement 2015/1589.
4. Dans le cadre du présent pourvoi, la Cour est chargée de clarifier les exigences qui sous-tendent la notion de « partie intéressée » aux fins de la procédure de plainte en matière d’aides d’État.
II. Les antécédents de la procédure
A. La plainte adressée à la Commission et la lettre litigieuse
5. Les faits et le cadre juridique pertinents pour le présent pourvoi peuvent être résumés de la manière suivante.
6. Le 8 août 2021, le FC Barcelona a annoncé le transfert de M. Lionel Messi vers le Paris Saint-Germain FC.
7. Le même jour, M. Abdelmouine a déposé une plainte auprès de la Commission en faisant valoir que la Ligue de Football Professionnel (France) et son autorité administrative de surveillance avaient octroyé au Paris Saint-Germain FC une aide d’État prétendument illégale, prenant la forme d’une suspension temporaire de l’application, par la Fédération française de football (FFF), du règlement de l’UEFA sur l’octroi de licence aux clubs et le fair-play financier (4).
8. Selon M. Abdelmouine, cette décision de non‑application a entraîné une distorsion des règles appliquées par les instances de football professionnel en Espagne et en France, ce qui a affecté la concurrence et a permis au Paris Saint-Germain FC de recruter M. Lionel Messi.
9. Par lettre du 1er septembre 2021 (ci-après la « décision attaquée ») (5), la Commission a répondu à la plainte de M. Abdelmouine.
10. Dans la partie pertinente, la décision attaquée est libellée comme suit :
« Conformément à l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, seule une partie intéressée peut déposer une plainte formelle. On entend par “partie intéressée” tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles […].
Vous avez déposé la plainte au nom d’un membre (socio) du [FC Barcelona]. Un membre n’est ni un concurrent du [Paris Saint-Germain FC] ni une association professionnelle. Bien que la définition de ‟partie intéressée” ne se limite pas aux seuls concurrents du bénéficiaire de l’aide, les intérêts purement généraux ou indirects d’une personne à l’égard d’une mesure ne permettent pas de qualifier cette personne de partie intéressée, car de tels éléments ne révèlent aucune affectation concrète de sa situation. Par exemple, la qualité d’actionnaire de la société concurrente d’un bénéficiaire d’une aide ne confère pas à cette personne un intérêt propre et distinct de celui de la société concernée. L’actionnaire ne peut défendre ses intérêts par rapport à cette mesure qu’en exerçant ses droits d’associé de cette entreprise, qui peut elle‑même avoir le droit de porter plainte. La qualité de partie intéressée n’est pas étendue à toutes les personnes susceptibles d’être affectées par une diminution du résultat net annuel d’une entreprise. La situation des membres (‟socios”) du [FC Barcelona], qui est organisée comme une association sans but lucratif, est à cet égard similaire à celle des actionnaires d’une société, car ils ne pourraient faire valoir qu’un intérêt indirect à l’égard de la mesure en cause, par l’intermédiaire du [FC Barcelona].
Étant donné que, par conséquent, vous ne pouvez pas être qualifié de partie intéressée, votre demande ne peut pas être traitée comme une plainte formelle au sens de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 ».
B. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11. Par requête du 2 septembre 2021, PBL et M. Abdelmouine (ci‑après, ensemble, les « requérants ») ont introduit un recours au titre de l’article 263 TFUE devant le Tribunal.
12. Par ce recours, les requérants demandaient que la décision attaquée soit annulée et qu’il soit notamment enjoint à la Commission d’ouvrir une enquête à l’encontre de la France pour aide d’État illégale à l’égard du Paris Saint-Germain FC dans le cadre des compétitions nationales et européennes (6).
13. L’unique moyen invoqué en première instance était tiré de la violation de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589. Dans le cadre de ce moyen, les requérants faisaient également valoir que la Commission avait à tort assimilé la qualité d’actionnaire à celle de « socio » et avait ainsi abouti à une interprétation erronée de la notion de « partie intéressée » (7).
14. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a, premièrement, jugé que le recours en annulation était irrecevable en ce qu’il avait été introduit par PBL, étant donné qu’il n’existait aucune preuve que la plainte avait été déposée également au nom de cette partie (8).
15. Deuxièmement, le Tribunal a examiné les quatre types d’intérêt que faisait valoir M. Abdelmouine, à savoir : (i) l’intérêt patrimonial direct en lien avec la situation financière du FC Barcelona ; (ii) l’intérêt fondé sur les valeurs du football et la défense du sport ; (iii) la conséquence de la distorsion de concurrence sur la forme d’organisation du FC Barcelona, et, (iv) l’intérêt de préserver les droits dont jouissent les « socios » dans l’hypothèse d’une transformation du statut ou de la structure du FC Barcelona.
16. Le Tribunal a conclu qu’aucun des intérêts invoqués par M. Abdelmouine à l’appui de sa qualité de « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 n’était susceptible d’aboutir à l’annulation de la décision attaquée (9).
17. Troisièmement, le Tribunal a jugé inopérant l’argument de M. Abdelmouine, selon lequel sa qualité de « socio » ne pouvait pas être assimilée à celle d’actionnaire d’une société. Il a expliqué que l’analogie établie par la Commission dans la décision attaquée présentait un caractère accessoire à la déclaration de celle-ci, selon laquelle M. Abdelmouine n’était pas une « partie intéressée » (10).
18. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal a rejeté le recours en annulation et condamné les requérants aux dépens.
III. La procédure devant la Cour
19. Par un pourvoi introduit le 11 avril 2023, les requérants demandent à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité et de faire droit aux conclusions telles qu’elles ont été présentées dans leur dernier état en première instance.
20. Dans son mémoire en réponse, déposé le 14 juillet 2023, la Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérants aux dépens.
IV. Analyse
21. Par la décision attaquée, la Commission a informé M. Abdelmouine que sa plainte ne pouvait pas être traitée comme une plainte « formelle » au sens de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. Selon la Commission, tel est le cas parce que M. Abdelmouine n’avait pas la qualité de « partie intéressée » telle qu’elle est définie à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589. Cependant, dans la décision attaquée, la Commission explique également que les informations communiquées par M. Abdelmouine seront enregistrées en tant que « renseignements d’ordre général concernant le marché » (11).
22. La Commission n’a pas expliqué quelles seraient les conséquences du refus de traiter la lettre adressée par M. Abdelmouine comme une plainte « formelle » et du fait de la traiter plutôt comme des « renseignements d’ordre général concernant le marché ». La décision attaquée ne contient pas non plus de constatations concernant le point de savoir si la Commission considère qu’il y a une aide d’État (illégale) ou si elle a l’intention d’ouvrir la procédure formelle d’examen.
23. Par leur recours en annulation, les requérants contestent ainsi, en substance, le refus de la Commission de qualifier M. Abdelmouine de « partie intéressée ».
24. Cette contestation pose, à mon sens, deux questions. Premièrement, quelles sont les conséquences de ce refus pour M. Abdelmouine ? Deuxièmement, est-ce à tort que M. Abdelmouine s’est vu refuser la qualité de « partie intéressée » ?
25. J’aborderai ces points l’un après l’autre. À cette fin, j’exposerai tout d’abord brièvement les droits...
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