Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 7 April 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:283
Date07 April 2022
Celex Number62020CC0331
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 7 avril 2022 (1)

Affaires jointes C331/20 P et C343/20 P

Volotea SA (C331/20 P)

easyJet Airline Company Ltd (C343/20 P)

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Recours en annulation – Aides d’État – Imputabilité – Bénéficiaires indirects – Applicabilité et application du critère de l’opérateur privé en économie de marché »






I. Introduction

1. « L’inverno aveva rinfrescato anche il colore delle rocce » (« L’hiver avait aussi rafraîchi la couleur des rochers ») (2).

2. Les présentes affaires ont pris naissance de nombreuses saisons après que Grazia Deledda a décrit de manière pittoresque l’arrivée du printemps dans l’île de Sardaigne en Italie (3). Toutefois, celles-ci concernent en substance également la beauté sous-estimée de la Sardaigne pendant les mois d’hiver.

3. C’était précisément pour encourager le tourisme durant cette saison que la Regione Autonoma della Sardegna (Région autonome de Sardaigne, Italie, ci-après la « Région ») a mis en place un régime visant à attirer des vols vers des aéroports situés en Sardaigne (ci-après le « régime d’aides »).

4. La Commission européenne a considéré que ce régime constituait une aide incompatible en faveur de plusieurs compagnies aériennes (ci‑après la « décision litigieuse ») (4). Parmi les compagnies aériennes auprès desquelles il y a lieu de récupérer les aides figuraient Volotea SA et easyJet Airline Company Ltd (ci-après dénommés conjointement les « requérantes »). Ces parties ont contesté sans succès la décision de la Commission devant le Tribunal (5). Les deux sociétés ont formé un pourvoi contre les arrêts du Tribunal.

5. Dans les présentes affaires, la Cour est invitée à apprécier plusieurs constatations du Tribunal relatives à la détermination du régime de la Région en tant qu’aide d’État. Toutefois, le « problème dont personne n’ose parler » est l’applicabilité du critère de l’opérateur privé en économie de marché.

II. Les faits du litige au principal et la procédure devant la Cour

A. Les antécédents du litige

6. Les faits et le cadre juridique de la présente affaire sont décrits de manière détaillée dans les arrêts attaqués (6). Pour les besoins des présentes conclusions, ils peuvent être résumés de la manière suivante.

7. Par la legge regionale n. 10 – Misure per lo sviluppo del trasporto aereo (loi régionale nº 10 – mesures en vue du développement du transport aérien) (7) (ci-après la « loi nº 10/2010 »), la Région a mis à disposition des compagnies aériennes des financements en vue de l’ouverture de nouvelles liaisons et du développement des liaisons existantes à destination et en provenance de la Sardaigne, y compris pendant les mois d’hiver.

8. Le financement a été transféré aux compagnies aériennes par l’intermédiaire de trois aéroports sardes. Seuls deux de ces aéroports sont concernés par les présentes affaires : les aéroports de Cagliari‑Elmas et d’Olbia. Ils sont exploités par des sociétés majoritairement détenues par la chambre de commerce de Cagliari‑Elmas ou par des actionnaires privés (ci-après dénommés conjointement les « exploitants aéroportuaires »).

9. Par des actes d’exécution de la loi nº 10/2010, la Région a défini des activités éligibles à un financement. Celles qui présentent un intérêt pour les présents pourvois sont l’augmentation du trafic aérien par les compagnies aériennes (activité 1) et la promotion de la Sardaigne en tant que destination touristique par les compagnies aériennes (activité 2).

10. Le financement par le budget de la Région a été fourni sous forme de subventions. Ces subventions ont été accordées aux exploitants aéroportuaires qui, à leur tour, redistribuaient les fonds à diverses compagnies aériennes. La Région ne débloquait les fonds qu’après évaluation et approbation de « plans d’activités » détaillés, que les opérateurs devaient lui présenter. La Région a également suivi leur mise en œuvre.

11. Les requérantes au pourvoi sont des compagnies aériennes qui ont conclu des accords avec les exploitants aéroportuaires pour la réalisation des activités 1 et 2. Leurs plans d’activités respectifs ont été approuvés par la Région, après quoi les requérantes au pourvoi ont reçu une indemnisation de la part des exploitants aéroportuaires, dans le cadre du régime décrit précédemment, afin d’augmenter le nombre de vols et de liaisons et provenance et à destination des deux aéroports et de promouvoir la Sardaigne en tant que destination touristique.

12. Le 30 novembre 2011, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la République italienne a notifié ce régime à la Commission. Après l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, la Commission a adopté la décision litigieuse le 29 juillet 2016.

13. Cette décision indique que le régime d’aides en cause n’implique pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en faveur des exploitants aéroportuaires (article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse) ; qu’il constitue une aide d’État en faveur des compagnies aériennes impliquées, dont les requérantes au pourvoi, dans la mesure où elles concernent les activités de ces compagnies aériennes dans les aéroports de Cagliari-Elmas et d’Olbia (article 1er, paragraphe 2, de ladite décision) ; que l’aide en cause a été mise en œuvre par l’Italie en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et qu’elle est incompatible avec le marché intérieur (article 1er, paragraphes 3 et 4, de la décision litigieuse). La décision exige, enfin, que ces aides soient récupérées auprès des compagnies aériennes (article 2, paragraphe 1, de la décision).

B. Sur les recours devant le Tribunal

14. Par requêtes déposées respectivement les 6 septembre 2017 et 11 janvier 2018, les requérantes au pourvoi ont introduit des recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

15. Le 13 mai 2020, le Tribunal a rendu les arrêts attaqués. Il a rejeté les recours des requérantes et les a condamnées aux dépens de l’instance.

C. La procédure devant la Cour

16. Dans le cadre de son pourvoi formé le 22 juillet 2020, Volotea demande à la Cour d’annuler les points 1 et 2 du dispositif de l’arrêt du 13 mai 2020, Volotea/Commission (T‑607/17, EU:T:2020:180) ; d’annuler l’article 1er de la décision litigieuse ainsi que l’ordre de récupération mis à la charge de l’Italie dans la mesure où il concerne Volotea ; à titre subsidiaire, d’annuler les points 1 et 2 du dispositif de l’arrêt du 13 mai 2020, easyJet Airline/Commission (T‑8/18, EU:T:2020:182) ; de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ; et de condamner la Commission aux dépens.

17. Dans son pourvoi devant la Cour, introduit le 23 juillet 2020, easyJet demande à la Cour d’annuler l’arrêt du 13 mai 2020, easyJet Airline/Commission (T‑8/18, EU:T:2020:182) et/ou d’annuler les articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision litigieuse en tant qu’ils concernent easyJet ; à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et de condamner la Commission aux dépens.

18. Pour sa part, la Commission demande à la Cour de rejeter les pourvois et de condamner les requérantes aux dépens.

19. Par décision du président de la troisième chambre de la Cour du 22 février 2021, les trois affaires ont été jointes aux fins des conclusions et de l’arrêt.

20. Les parties ont répondu aux questions écrites du Tribunal.

III. Appréciation

21. Si les traités ne contiennent pas de définition de la notion d’« aide d’État », la Cour a insisté sur le fait que cette notion nécessite une interprétation en fonction de ses caractéristiques objectives (8). Ainsi interprété, l’article 107, paragraphe 1, TFUE comporte quatre conditions cumulatives (principales) : que la mesure en cause soit imputable à l’État ou financée au moyen de ressources d’État ; qu’elle concerne une entreprise ; qu’il s’agisse d’une entreprise à laquelle elle accorde un avantage et que cette mesure soit sélective. Une mesure répondant à ces critères est généralement considérée comme étant susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges dans le marché intérieur (9).

22. En effet, en raison de l’évolution de la manière dont on comprend la finalité du contrôle des aides d’État (10), et en conséquence de l’imagination inépuisable des États membres lorsqu’il s’agit d’intervenir sur le marché, la Cour est confrontée à la nécessité constante de réexpliquer les critères sur lesquels repose l’article 107, paragraphe 1, TFUE et de les adapter afin de les appliquer à des situations nouvelles. Les présentes affaires ne font pas exception à cette règle.

23. En effet, le régime en cause dans les présentes affaires semble résulter d’un effort d’imagination visant à attirer davantage de touristes en Sardaigne, y compris durant les mois hiver, en vue de stimuler le développement économique de cette région.

24. La Sardaigne étant une île, les touristes peuvent évidemment arriver par voie aérienne. Les compagnies aériennes sont en relations d’affaire avec des aéroports. Le régime envisagé par la Région impliquait donc des aéroports développant des plans et collaborant avec des compagnies aériennes afin d’augmenter les vols vers l’île. Si ces plans étaient approuvés par la Région, cette dernière apporterait un financement aux exploitants aéroportuaires, qui distribueraient ces fonds aux compagnies aériennes concernées. Il s’agissait donc d’une interaction entre acteurs tant publics (Région) que privés (aéroports et compagnies aériennes).

25. Aux fins de la notion d’« aide d’État », la conception de ce régime soulève plusieurs questions. Par exemple, la canalisation de fonds par le biais d’un intermédiaire privé élimine-t-elle la provenance publique de ces fonds ? Laquelle des parties impliquées, si ce ne sont les deux, doit-elle être considérée comme bénéficiaire de ce régime ? Enfin, ledit régime offre-t-il un avantage qui n’aurait pas été disponible sur le marché ?

26. La Cour a...

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