Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 14 March 2024.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62022CC0585 |
ECLI | ECLI:EU:C:2024:238 |
Date | 14 March 2024 |
Court | Court of Justice (European Union) |
Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NICHOLAS EMILIOU
présentées le 14 mars 2024 (1)
Affaire C‑585/22
X BV
contre
Staatssecretaris van Financiën
[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]
« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Article 49TFUE – Impôt sur les sociétés – Emprunt transfrontalier intragroupe, contracté en vue du financement d’une acquisition externe – Impossibilité de déduire les intérêts sur une telle dette d’emprunt du bénéfice imposable – Notion de montage purement artificiel – Proportionnalité »
I. Introduction
1. Selon l’aphorisme célèbre et porteur de vérité universelle formulé par Benjamin Franklin, « en ce monde rien n’est certain, à part la mort et les impôts ». Pourtant, la nature humaine semble souvent être prédisposée à tendre vers l’évitement de ces événements inéluctables.
2. La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le contexte d’une réglementation nationale relative à l’impôt sur les sociétés, spécifiquement destinée à lutter contre les pratiques d’évasion fiscale. En vertu de cette réglementation, le fait pour un contribuable de contracter une dette d’emprunt auprès d’une entité liée à celui-ci, en vue du financement de l’acquisition ou de l’augmentation d’une participation dans une autre entité, est, dans certaines circonstances, présumé constituer un montage artificiel conçu pour éroder la base d’imposition néerlandaise. Par conséquent, à moins que ce contribuable ne renverse cette présomption, il lui est interdit de déduire les intérêts sur la dette de son bénéfice imposable.
3. En l’espèce, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) invite la Cour à clarifier sa jurisprudence relative, notamment, à la liberté d’établissement prévue à l’article 49TFUE, en particulier la question de savoir si le fait, pour les autorités fiscales d’un État membre, de refuser à une société appartenant à un groupe transfrontalier le droit de déduire de son bénéfice imposable les intérêts qu’elle verse sur une telle dette d’emprunt, est compatible avec cette liberté. Plus particulièrement, la Cour est invitée à clarifier la position qu’elle a adoptée dans l’arrêt Lexel (2), sur le point de savoir si de tels prêts intragroupe peuvent être, à cette fin, considérés comme des montages purement artificiels, bien qu’ils aient été contractés à des conditions de pleine concurrence et que les intérêts aient été fixés au taux habituel du marché.
II. Le cadre juridique
4. L’article 10a de la Wet op de vennootschapsbelasting 1969 (loi de 1969 relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après la « loi relative à l’impôt sur les sociétés »), dans sa version en vigueur à l’époque des faits au principal, dispose :
« 1. Dans le cadre de la détermination du bénéfice [...], ne viennent pas en déduction les intérêts – frais et résultats de change compris – relatifs à des dettes dues, en droit ou en fait, directement ou indirectement, à une entité liée ou à une personne physique liée dans la mesure où les dettes ont, en droit ou en fait, directement ou indirectement, un lien avec une des opérations juridiques suivantes :
[…]
c. l’acquisition, ou l’augmentation, d’une participation par le contribuable, par une entité qui lui est liée soumise à l’impôt sur les sociétés ou par une personne physique qui lui est liée résidant aux Pays-Bas, dans une entité qui, à la suite de cette acquisition ou augmentation de participation, est une entité qui lui est liée
[…]
3. Le premier paragraphe n’est pas applicable si le contribuable rend plausible :
a. le fait que l’emprunt et l’opération juridique qui y est liée se fondent, dans une mesure déterminante, sur des considérations économiques ; ou
b. le fait qu’il est prélevé, en fin de compte, sur les intérêts dans le chef de celui à qui les intérêts, en droit ou en fait, directement ou indirectement, sont dus un impôt sur le bénéfice ou sur le revenu qui, selon les critères néerlandais, est raisonnable […] Un impôt prélevé sur les bénéfices est raisonnable selon les critères néerlandais s’il entraîne un prélèvement à un taux d’au moins 10 % sur un bénéfice imposable déterminé selon les critères néerlandais […]
4. Aux fins du présent article […], est réputée être une entité liée au contribuable :
a. une entité dans laquelle le contribuable détient une participation d’au moins un tiers ;
b. une entité qui détient une participation d’au moins un tiers dans le contribuable ;
c. une entité dans laquelle un tiers détient une participation d’au moins un tiers, alors que ce tiers détient également une participation d’au moins un tiers dans le contribuable.
[…] ».
III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles
5. La société X (ci-après « X ») est une société holding de droit néerlandais. Elle appartient à un groupe multinational qui comprend, notamment, la société A et la société C (ci-après, respectivement, « A » et « C »).
6. A est la société mère établie en Belgique. Elle est l’unique actionnaire de X et l’actionnaire majoritaire de C.
7. C est une banque interne, également établie en Belgique. Elle fournit des services intragroupe, comprenant la restructuration et la gestion financières. Entre 1999 et 2010, en vertu du droit belge, elle avait, à des fins fiscales, le statut de « centre de coordination », ce qui signifiait qu’elle bénéficiait d’un régime fiscal préférentiel en vertu duquel son bénéfice imposable était déterminé forfaitairement.
8. En 2000, X a acquis les actions de la société F (ci-après « F »), établie aux Pays-Bas. À la suite de cette acquisition, F est devenue une entité liée à X.
9. X a financé cette acquisition par des emprunts qu’elle a contractés auprès de C. Ces prêts ont été accordés par C à partir de fonds propres que celle-ci avait obtenus, peu avant, par un apport de capital auquel A avait procédé. Les prêts en cause prévoyaient des intérêts fixés au taux habituel du marché.
10. Avec effet au 1er janvier 2001, X et F ont été intégrées dans une unité fiscale, X ayant été désignée comme société mère. À ce titre, l’impôt dû tant par F que par X a été prélevé auprès de cette dernière. X pouvait également déduire les intérêts qu’elle versait à C du bénéfice généré par F. Cette déduction permettait à l’unité d’être très peu imposée au titre de l’impôt sur les sociétés aux Pays-Bas.
11. En 2007, X a déduit les intérêts des emprunts qu’elle a contractés auprès de C dans sa déclaration d’impôt sur les sociétés. Cependant, le Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays‑Bas) a refusé cette déduction sur le fondement de l’article 10a de la loi relative à l’impôt sur les sociétés.
12. X a attaqué ce refus devant le rechtbank Gelderland (tribunal de Gueldre, Pays Bas), puis devant le Gerechtshof Arnhem Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays Bas).
13. Par arrêt du 20 octobre 2020, cette dernière juridiction a jugé que cette limitation de la déduction des intérêts était compatible avec le droit de l’Union. Selon ladite juridiction, l’objectif poursuivi par cette législation, consistant à éviter que la base d’imposition néerlandaise soit érodée abusivement en déduisant du bénéfice les charges d’intérêts artificiellement générées, avait un caractère justifié et proportionné.
14. X a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).
15. Cette juridiction indique avoir constamment jugé que les dettes contractées de manière arbitraire et sans motif économique constituaient des montages purement artificiels, visant uniquement à créer une charge déductible, indépendamment de la question de savoir si le taux d’intérêt est identique à celui qui aurait été convenu entre des sociétés indépendantes dans des conditions de pleine concurrence.
16. Ainsi, la juridiction de renvoi, se ralliant aux constatations du Gerechtshof Arnhem Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem‑Leeuwarden), considère que, lorsque de telles circonstances surviennent, le refus total de la déduction des intérêts débiteurs est approprié et proportionné, étant donné qu’une telle mesure vise à lutter contre l’évasion fiscale en ciblant spécifiquement les cas dans lesquels la dette est générée par un montage purement artificiel.
17. Toutefois, la juridiction de renvoi se demande si, au regard de l’arrêt Lexel, cette position est correcte.
18. En effet, cet arrêt peut être lu en ce sens que les transactions intragroupe, telles que la dette contractée auprès d’une entité liée au contribuable, ne peuvent pas être considérées comme des montages purement artificiels lorsqu’elles sont conclues dans des conditions de pleine concurrence. En outre, dans l’hypothèse où cette interprétation serait correcte, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité du refus total de la déduction des intérêts avec le principe de proportionnalité du droit de l’Union.
19. Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la distinction entre le droit national en cause dans la présente affaire, qui régit tant les restructurations internes que les acquisitions externes, et la législation en cause dans l’arrêt Lexel, qui ne régissait pas les acquisitions externes, revêt une quelconque importance.
20. Dans ce contexte, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
1) « Les articles 49, 56 et/ou 63 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle, dans la détermination du bénéfice du contribuable, les intérêts pour une dette d’emprunt contractée auprès d’une entité liée au contribuable, dette qui se rapporte à l’acquisition ou l’augmentation d’une participation dans une entité qui, après cette acquisition ou augmentation, est une entité liée, ne sont pas...
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