Conclusions de l'avocat général M. G. Pitruzzella, présentées le 9 mars 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:193
Date09 March 2023
Celex Number62023CC0001
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 9 mars 2023 (1)

Affaire C1/23 PPU

X,

Y,

A, légalement représenté par X et Y,

B, légalement représenté par X et Y

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Droit au regroupement familial – Directive 2003/86/CE – Réglementation d’un État membre permettant aux membres de la famille d’un regroupant d’introduire une demande uniquement auprès du poste diplomatique compétent de cet État – Impossibilité pour ces membres de se rendre audit poste diplomatique »






1. La demande de décision préjudicielle qui fait l’objet des présentes conclusions porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (2), des articles 23 et 24 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (3), ainsi que des articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme X et M. Y ainsi que leurs enfants mineurs, A et B, (ci-après, ensemble, les « requérants au principal ») à l’État belge au sujet du refus, par ce dernier, de traiter la demande de visa en vue d’un regroupement familial introduite par Mme X et ses enfants.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. Les considérants 2, 4, 6, 8 et 13 de la directive 2003/86 se lisent comme suit :

« (2) Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[...]

(4) Le regroupement familial est un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille. Il contribue à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres, ce qui permet par ailleurs de promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté énoncé dans le traité.

[...]

(6) Afin d’assurer la protection de la famille ainsi que le maintien ou la création de la vie familiale, il importe de fixer, selon des critères communs, les conditions matérielles pour l’exercice du droit au regroupement familial.

[...]

(8) La situation des réfugiés devrait demander une attention particulière, à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie en famille normale. À ce titre, il convient de prévoir des conditions plus favorables pour l’exercice de leur droit au regroupement familial.

[...]

(13) Il importe d’établir un système de règles de procédure régissant l’examen de la demande de regroupement familial, ainsi que l’entrée et le séjour des membres de la famille. Ces procédures devraient être efficaces et gérables par rapport à la charge normale de travail des administrations des États membres, ainsi que transparentes et équitables afin d’offrir un niveau adéquat de sécurité juridique aux personnes concernées. »

4. Aux termes de son article 1er, la directive 2003/86 poursuit le but « de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres ».

5. L’article 2, sous c) et d), de cette directive définissent respectivement les notions de « regroupant » et de « regroupement familial », la première désignant « un ressortissant de pays tiers qui réside légalement dans un État membre et qui demande le regroupement familial, ou dont des membres de la famille demandent à le rejoindre », et la seconde « l’entrée et le séjour dans un État membre des membres de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement dans cet État membre afin de maintenir l’unité familiale, que les liens familiaux soient antérieurs ou postérieurs à l’entrée du regroupant ».

6. L’article 3 de ladite directive précise, à son paragraphe 1, que celle-ci s’applique « lorsque le regroupant est titulaire d’un titre de séjour délivré par un État membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an, ayant une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour permanent, si les membres de sa famille sont des ressortissants de pays tiers, indépendamment de leur statut juridique » et, à son paragraphe 5, qu’elle « ne porte pas atteinte à la faculté qu’ont les États membres d’adopter ou de maintenir des conditions plus favorables ».

7. L’article 4, paragraphe 1, sous a) et b) de la directive 2003/86 énonce :

« 1. Les États membres autorisent l’entrée et le séjour, conformément à la présente directive et sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV, ainsi qu’à l’article 16, des membres de la famille suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) les enfants mineurs du regroupant et de son conjoint [...] »

8. Le chapitre III de la directive 2003/86, intitulé « Dépôt et examen de la demande », se compose du seul article 5 qui, pour ce qui est d’intérêt dans la présente procédure, est libellé comme suit :

« 1. Les États membres déterminent si, aux fins de l’exercice du droit au regroupement familial, une demande d’entrée et de séjour doit être introduite auprès des autorités compétentes de l’État membre concerné soit par le regroupant, soit par les membres de la famille.

2. La demande est accompagnée de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et le respect des conditions prévues aux articles 4 et 6 et, le cas échéant, aux articles 7 et 8, ainsi que de copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

Le cas échéant, pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, les États membres peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant et les membres de sa famille et à toute enquête jugée nécessaire.

[...]

3. La demande est introduite et examinée alors que les membres de la famille résident à l’extérieur du territoire de l’État membre dans lequel le regroupant réside.

[...]

4. Dès que possible, et en tout état de cause au plus tard neuf mois après la date du dépôt de la demande, les autorités compétentes de l’État membre notifient par écrit à la personne qui a déposé la demande la décision la concernant.

[...]

5. Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. »

9. L’article 7 de cette directive, inséré dans le chapitre IV, intitulé « Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial », prévoit, à son paragraphe 1, sous a), b) et c), que, lors du dépôt de la demande de regroupement familial, l’État membre concerné peut exiger de la personne qui a introduit la demande de fournir la preuve que le regroupant dispose « d’un logement considéré comme normal pour une famille de taille comparable dans la même région et qui répond aux normes générales de salubrité et de sécurité en vigueur dans l’État membre concerné », « d’une assurance maladie couvrant l’ensemble des risques normalement couverts pour ses propres ressortissants dans l’État membre concerné, pour lui-même et les membres de sa famille » et « de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné ».

10. Le chapitre V de la directive 2003/86 est spécifiquement consacré au « Regroupement familial des réfugiés ». L’article 11 de cette directive, qui figure dans ce chapitre, énonce, à son paragraphe 1, que, « [e]n ce qui concerne le dépôt et l’examen de la demande, l’article 5 s’applique, sous réserve du paragraphe 2 du présent article ». Ce paragraphe précise que, « [l]orsqu’un réfugié ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, l’État membre tient compte d’autres preuves de l’existence de ces liens, qui doivent être appréciées conformément au droit national » et qu’une « décision de rejet de la demande ne peut pas se fonder uniquement sur l’absence de pièces justificatives ». En outre, l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, qui figure également sous le chapitre V de celle-ci, prévoit que « [p]ar dérogation à l’article 7, les États membres ne peuvent pas imposer au réfugié et/ou aux membres de la famille de fournir, en ce qui concerne les demandes relatives aux membres de la famille visés à l’article 4, paragraphe 1, des éléments de preuve attestant qu’il répond aux conditions visées à l’article 7 », tout en précisant, à son troisième alinéa, que « [l]es États membres peuvent exiger du réfugié qu’il remplisse les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, si la demande de regroupement familial n’est pas introduite dans un délai de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié ».

B. Le droit belge

11. L’article 10 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (4) (ci-après la « loi du 15 décembre 1980 »), qui transpose entre autre l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86 prévoit :

« §1. Sous réserve...

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