Conclusiones del Abogado General Sr. J. Richard de la Tour, presentadas el 17 de mayo de 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:420
Date17 May 2023
Celex Number62022CC0402
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 17 mai 2023 (1)

Affaire C402/22

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

M.A.

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2011/95/UE – Normes relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire – Article 14, paragraphe 4, sous b), et paragraphe 5 – Refus d’octroi du statut de réfugié – Ressortissant d’un pays tiers ayant commis un crime particulièrement grave – Notion de “crime particulièrement grave” »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (2).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M.A., ressortissant d’un pays tiers, au Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci‑après le « secrétaire d’État »), au sujet de la décision de ce dernier de rejeter sa demande de protection internationale.

3. L’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95 prévoit que les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de l’État membre dans lequel il se trouve.

4. En vertu de l’article 14, paragraphe 5, de cette directive, dans un tel cas, les États membres peuvent également décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu’une telle décision n’a pas encore été prise. La décision en cause au principal a été précisément adoptée sur la base de cette disposition.

5. Dans les conclusions que j’ai présentées dans les affaires AA (Réfugié ayant commis un crime grave) et Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Réfugié ayant commis un crime grave) (3), j’ai défendu l’interprétation selon laquelle l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95 pose deux conditions cumulatives à la possibilité dont dispose un État membre de révoquer le statut de réfugié. À cet égard, j’ai expliqué pourquoi je considère que l’existence d’une condamnation définitive pour un crime particulièrement grave constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, pour permettre à un État membre de révoquer ce statut.

6. Dans ces conclusions, j’ai également indiqué les raisons pour lesquelles j’estime que la menace que représente la personne condamnée, au moment où est prise une décision de révocation du statut de réfugié, doit être réelle, actuelle et suffisamment grave pour la société de l’État membre concerné. J’ai aussi précisé qu’une décision de révoquer le statut de réfugié doit, à mon avis, respecter le principe de proportionnalité et, plus largement, les droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu’ils sont garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

7. En revanche, dans la mesure où aucune des questions posées par les juridictions de renvoi dans les affaires C-663/21 et C-8/22 ne portait directement sur la signification de la condition selon laquelle le ressortissant concerné d’un pays tiers doit avoir été « condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave », je n’ai pas pris position sur cet aspect.

8. Dans la présente affaire, le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas) interroge expressément la Cour sur ledit aspect dans sa première question préjudicielle à propos d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale.

9. À la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur cette première question préjudicielle, par laquelle la juridiction de renvoi cherche à obtenir de la Cour des précisions sur les critères permettant de définir la notion de « crime particulièrement grave », au sens de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95.

10. J’exposerai, dans les développements qui suivent, les raisons pour lesquelles je considère que cette disposition devrait être interprétée en ce sens que constitue un « crime particulièrement grave », au sens de ladite disposition, une infraction pénale qui se caractérise par un degré de gravité exceptionnel. Je préciserai la méthode et les critères qui devraient, selon moi, permettre aux États membres d’apprécier l’existence d’un tel crime.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

11. L’article 33 de la convention relative au statut des réfugiés (4), telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés (5) (ci-après la « convention de Genève »), prévoit :

« 1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. »

B. Le droit de l’Union

12. L’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95 énonce :

« Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser :

a) qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

b) qu’il a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays de refuge avant d’être admis comme réfugié, c’est-à-dire avant la date à laquelle le titre de séjour est délivré sur la base de l’octroi du statut de réfugié [...] ;

c) qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies [...] »

13. L’article 14, paragraphes 4 et 5, de cette directive dispose :

« 4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler,

a) lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve ;

b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre.

5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu’une telle décision n’a pas encore été prise. »

14. L’article 17, paragraphe 1, sous b), de ladite directive est ainsi rédigé :

« Un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride est exclu des personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire s’il existe des motifs sérieux de considérer :

[...]

b) qu’il a commis un crime grave. »

15. L’article 21, paragraphes 1 et 2, de la même directive est libellé comme suit :

« 1. Les États membres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales.

2. Lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu des obligations internationales visées au paragraphe 1, les États membres peuvent refouler un réfugié, qu’il soit ou ne soit pas formellement reconnu comme tel :

a) lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer qu’il est une menace pour la sécurité de l’État membre où il se trouve ; ou

b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. »

C. Le droit néerlandais

16. Le paragraphe C2/7.10.1 de la Vreemdelingencirculaire 2000 (circulaire de 2000 sur les étrangers), intitulé « L’ordre public en tant que motif de refus », précise :

« Dans l’appréciation d’une demande de permis de séjour temporaire au titre de l’asile, l’Immigratie – en Naturalisatiedienst [service de l’immigration et de la naturalisation, Pays-Bas (ci‑après l’« IND »)] examine si le ressortissant étranger constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale. Lorsque le ressortissant étranger est un réfugié au sens de la convention [de Genève], l’IND apprécie s’il existe un crime particulièrement grave [...]

L’IND apprécie s’il existe un crime (particulièrement) grave au cas par cas, sur la base de tous les éléments factuels et juridiques pertinents. À cet égard, il prend en tout cas en considération les circonstances particulières invoquées par le ressortissant étranger qui se rapportent à la nature et à la gravité de l’infraction ainsi que le temps qui s’est écoulé depuis les faits.

[...]

L’IND apprécie la question de l’existence d’un crime (particulièrement) grave en vérifiant si, au total, la somme des peines infligées s’élève à au moins la norme applicable. Dans ce cadre, il est accordé une grande importance aux circonstances individuelles, entre autres la question de savoir quelle est la proportion des infractions qui constituent une menace pour la société. En tout état de cause, au moins l’une des condamnations devra être liée à une infraction constituant une telle menace.

Aux fins de la question de savoir si la somme des peines infligées s’élève à la norme applicable, l’IND prend en tout cas en considération la partie exécutoire sans condition des peines.

Dans l’appréciation, il prend en considération la...

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