Opinion of Advocate General Pikamäe delivered on 15 June 2023.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:483
Date15 June 2023
Celex Number62022CC0118
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 15 juin 2023 (1)

Affaire C118/22

NG

Procédure administrative

contre

Direktor na Glavna direktsia „Natsionalna politsia“ pri MVR – Sofia,

en présence de

Varhovna administrativna prokuratura

[demande de décision préjudicielle formée par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel – Directive (UE) 2016/680 – Articles 4, 5, 8, 10 et 16 – Conservation des données d’une personne physique condamnée pour une infraction intentionnelle jusqu’à son décès – Personne physique ayant été condamnée par un jugement définitif et ultérieurement réhabilitée – Rejet de la demande d’effacement – Nécessité et proportionnalité de l’ingérence dans les droits fondamentaux consacrés aux articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »






1. Faut-il s’inquiéter de la conservation des données à caractère personnel dans les fichiers de police enfermant l’individu inscrit, le cas échéant sa vie durant, dans un statut de déviant social, dangereux à perpétuité ? Ne faut-il pas, au contraire, se féliciter de cette mémoire policière au constat de la résolution par les enquêteurs d’affaires anciennes non élucidées, plus connues aujourd’hui sous le nom de « cold cases », pour le plus grand soulagement des familles de victimes ?

2. La présente affaire s’inscrit précisément dans ce questionnement antagoniste qui renvoie à la conciliation de l’intérêt public lié à la lutte contre la criminalité avec celui de l’individu tenant à la protection de ses données personnelles et au respect de sa vie privée. Elle donne l’occasion à la Cour de se prononcer sur la question du traitement de ces données à des fins répressives dans sa dimension temporelle, au regard des dispositions pertinentes de la directive (UE) 2016/680 (2).

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. Sont pertinents dans le cadre de la présente affaire les articles 4, 5, 8, 10 et 16 de la directive 2016/680 ainsi que l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

B. Le droit bulgare

4. L’article 26, paragraphes 1 et 2, du zakon za Ministerstvo na vatreshnite raboti (loi relative au ministère de l’Intérieur, ci-après le « ZMVR ») dispose :

« (1) Lorsqu’elles traitent des données à caractère personnel en lien avec les activités de protection de la sécurité nationale, de lutte contre la criminalité, de maintien de l’ordre public et de conduite de procédures pénales, les autorités du ministère de l’Intérieur :

[...]

3. peuvent traiter toutes les catégories nécessaires de données à caractère personnel ;

[...]

(2) Les délais de conservation des données visées au paragraphe 1 ou de vérification périodique de la nécessité du stockage de celles-ci sont fixés par le ministre de l’Intérieur. Ces données sont également effacées en vertu d’un acte judiciaire ou d’une décision de la Commission de protection des données à caractère personnel. »

5. L’article 27 du ZMVR énonce :

« Les données provenant de l’inscription des personnes au registre de police effectuée sur la base de l’article 68 ne sont utilisées qu’à des fins de protection de la sécurité nationale, de lutte contre la criminalité et de maintien de l’ordre public. »

6. L’article 68 du ZMVR prévoit ce qui suit :

« (1) Les autorités de police inscrivent au registre de police les personnes qui sont poursuivies pour une infraction intentionnelle relevant de l’action publique. Les autorités chargées de l’instruction sont tenues de prendre les mesures nécessaires aux fins de l’inscription au registre par les autorités de police.

(2) L’inscription au registre de police est un type de traitement de données à caractère personnel des personnes visées au paragraphe 1, qui est effectué dans le cadre de la présente loi.

(3) Aux fins de l’inscription au registre de police, les autorités de police doivent :

1. collecter des données à caractère personnel relatives aux personnes visées à l’article 18 de la loi relative aux documents d’identité bulgares ;

2. relever les empreintes digitales des personnes et photographier celles-ci ;

3. effectuer des prélèvements aux fins du profilage ADN des personnes.

[...]

(6) L’inscription au registre de police est radiée sur la base d’un ordre écrit du responsable du traitement de données à caractère personnel ou des fonctionnaires habilités par celui-ci, d’office ou à la suite d’une demande écrite et motivée de la personne inscrite, lorsque :

1. l’enregistrement a été effectué en violation de la loi ;

2. la procédure pénale est classée, sauf dans les cas visés à l’article 24, paragraphe 3, du [Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale)] ;

3. la procédure pénale a abouti à un acquittement ;

4. la personne a été exonérée de sa responsabilité pénale et une sanction administrative lui a été infligée ;

5. la personne est décédée, auquel cas la demande peut être faite par ses héritiers.

(7) Les modalités d’inscription au registre de police et de radiation de cette inscription sont déterminées par un règlement du Conseil des ministres. »

II. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

7. NG a fait l’objet d’une inscription au fichier de police, effectuée dans le cadre d’une procédure d’instruction, pour faux témoignage, infraction pénale prévue à l’article 290, paragraphe 1, du Nakazatelen Kodeks (code pénal). À la suite de cette procédure, un acte d’accusation a été dressé, le 2 juillet 2015, contre lui, et, par jugement du 28 juin 2016, confirmé en appel par jugement du 2 décembre 2016, il a été reconnu coupable et condamné à une peine de probation d’un an. La peine a été purgée le 14 mars 2018.

8. Le 15 juillet 2020, NG a présenté une demande de radiation de cette inscription auprès de l’administration territoriale compétente du Ministerstvo na vatreshnite raboti (ministère de l’Intérieur, Bulgarie), en produisant un extrait de son casier judiciaire certifiant qu’il n’était pas condamné.

9. Par décision du 2 septembre 2020, l’autorité administrative compétente a rejeté cette demande au motif qu’une condamnation par jugement définitif ne fait pas partie des motifs de radiation de l’inscription au fichier de police, énumérés de manière exhaustive à l’article 68, paragraphe 6, du ZMVR, y compris en cas de réhabilitation, au sens de l’article 85 du code pénal. Le 8 octobre 2020, NG a formé un recours contre cette décision devant l’Administrativen sad Sofia grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie). Par décision du 2 février 2021, cette juridiction a rejeté ce recours.

10. NG a formé un pourvoi contre la décision de l’Administrativen sad Sofia grad (tribunal administratif de la ville de Sofia) devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie). Le principal moyen du pourvoi est tiré d’une méconnaissance du principe, qui se déduirait des articles 5, 13 et 14 de la directive 2016/680, selon lequel le traitement de données à caractère personnel par stockage ne saurait avoir une durée illimitée. Or, en l’absence de motif de radiation de l’inscription au fichier de police, une personne condamnée ne pourrait pas demander, après sa réhabilitation, l’effacement de ses données collectées en lien avec l’infraction pénale pour laquelle elle a purgé sa peine, de sorte que la durée de stockage de celles-ci serait illimitée.

11. Éprouvant des doutes quant à la conformité de la réglementation nationale régissant le fichier de police en cause avec le droit de l’Union, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer dans le litige au principal et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’interprétation de l’article 5 de la [directive 2016/680], lu conjointement avec l’article 13, paragraphe 2, sous b), et l’article 13, paragraphe 3, de cette directive, s’oppose-t-elle à des mesures législatives nationales qui conduiraient à un droit quasi illimité au traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales et/ou à une perte par la personne concernée de son droit à la limitation du traitement, à l’effacement ou la destruction de ses données ? »

III. La procédure devant la Cour

12. Les gouvernements bulgare, tchèque, irlandais, espagnol et polonais ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Lors de l’audience qui s’est tenue le 7 février 2023, ont également été entendus en leurs observations orales la partie demanderesse au principal, les gouvernements bulgare, irlandais, espagnol, néerlandais et polonais ainsi que la Commission.

IV. Analyse

A. Sur l’applicabilité de la directive 2016/680

13. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi tient manifestement pour acquis que la réglementation nationale litigieuse relève du champ d’application ratione materiae de la directive 2016/680, position me paraissant justifier quelques observations.

14. Conformément à une lecture combinée de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2016/680, cette dernière s’applique au traitement de données à caractère personnel effectué par les autorités compétentes aux fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces. L’article 2, paragraphe 3, sous a), de la directive 2016/680 exclut de son champ d’application le traitement de données à caractère personnel effectué « dans le cadre d’une activité qui ne relève pas du champ...

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