Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 25 janvier 2024.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2024:84
Date25 January 2024
Celex Number62022CC0160
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 25 janvier 2024 (1)

Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P et affaire C597/22 P

Commission européenne

contre

HB

« Pourvoi – Marchés publics de services – Irrégularités dans la procédure d’attribution – Décisions de recouvrement des montants déjà versés adoptées après la signature du contrat – Recours en annulation – Recevabilité – Compétence du juge de l’Union – Décisions formant titre exécutoire adoptées afin de recouvrer les montants réclamés – Compétence de la Commission européenne pour adopter lesdites décisions formant titre exécutoire »






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

B. Le règlement relatif à la protection des intérêts financiers de l’Union

C. Les règlements financiers de l’Union

1. Le règlement financier de 2002

2. Le règlement financier de 2018

III. Les antécédents des pourvois

A. Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P

1. Décisions de recouvrement CARDS et TACIS

a) La décision de recouvrement CARDS

b) La décision de recouvrement TACIS

2. Arrêts T795/19 et T796/19

B. Affaire C597/22 P

1. Décisions formant titre exécutoire CARDS et TACIS

2. Arrêt T408/21

IV. Les procédures de pourvoi et les conclusions des parties

A. Affaires jointes C160/22 P et C161/22 P

B. Affaire C597/22 P

V. Appréciation

A. Affaires C160/22 P et C161/22 P

1. Sur la recevabilité des pourvois

2. Sur la compétence juridictionnelle pour connaître des recours introduits contre les décisions de recouvrement CARDS et TACIS

a) Raisonnement litigieux du Tribunal

b) Appréciation de l’argumentation de la Commission

1) Les décisions de recouvrement CARDS et TACIS à l’aune des conditions de recevabilité de recours en annulation à l’encontre d’actes adoptés dans un contexte contractuel

2) Les décisions de recouvrement CARDS et TACIS et la « double casquette » de la Commission en matière contractuelle

3. Conclusion sur les affaires C160/22 P et C161/22 P

B. Affaire C597/22 P

C. Conclusion intermédiaire

VI. Dépens

VII. Conclusion


I. Introduction

1. Lorsqu’un cocontractant de l’Union européenne a commis une irrégularité au cours de la procédure d’attribution d’un contrat, qui ne se révèle qu’après la signature de ce dernier, la Commission européenne peut adopter, à l’égard de ce cocontractant, une décision de recouvrement de montants versés dans le cadre du contrat. Or, une telle décision relève-t-elle, aux fins de la détermination de la compétence juridictionnelle pour en connaître, du cadre contractuel ou extracontractuel ?

2. En d’autres termes, une telle décision de recouvrement relève-t-elle de la compétence du juge du contrat – juge national ou juge de l’Union, selon les cas, en fonction de la présence ou non, dans le contrat, d’une clause compromissoire au sens de l’article 272 TFUE – ou est-ce au contraire un acte attaquable devant le seul juge de l’Union au moyen d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE ?

3. C’est la question à laquelle la Cour devra répondre dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P. Cette réponse déterminera si le Tribunal a qualifié à juste titre les décisions de recouvrement en cause comme s’inscrivant dans un cadre contractuel et décliné sa compétence au profit du juge belge, juge du contrat, ou s’il aurait au contraire dû se déclarer compétent pour connaître des recours introduits par le cocontractant de la Commission contre lesdites décisions.

4. La réponse que la Cour apportera à cette question dictera ensuite la réponse à la question posée dans l’affaire C‑597/22 P. Celle-ci concerne le point de savoir si la Commission pouvait adopter des décisions formant titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE pour recouvrer les montants réclamés par les décisions de recouvrement litigieuses.

5. En accord avec sa qualification desdites décisions comme relevant du cadre contractuel, le Tribunal a répondu à cette question par la négative. En effet, d’après l’arrêt ADR Center/Commission (ci-après l’« arrêt ADR ») (2), la Commission ne peut adopter de décision formant titre exécutoire dans le cadre de relations contractuelles qui ne contiennent pas de clause compromissoire en faveur du juge de l’Union.

6. Partant, le bien-fondé de l’annulation, par le Tribunal, des décisions formant titre exécutoire en cause dans l’affaire C‑597/22 P dépend du bien-fondé de ses constatations quant aux décisions de recouvrement en cause dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P.

II. Le cadre juridique

A. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

7. Les articles 272, 274 et 299 TFUE disposent :

« Article 272

La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte.

Article 274

Sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice de l’Union européenne par les traités, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales.

Article 299

Les actes du Conseil, de la Commission ou de la Banque centrale européenne qui comportent, à la charge des personnes autres que les États, une obligation pécuniaire forment titre exécutoire.

L’exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l'État sur le territoire duquel elle a lieu. La formule exécutoire est apposée, sans autre contrôle que celui de la vérification de l’authenticité du titre, par l’autorité nationale que le gouvernement de chacun des États membres désignera à cet effet et dont il donnera connaissance à la Commission et à la Cour de justice de l’Union européenne.

Après l’accomplissement de ces formalités à la demande de l'intéressé, celui-ci peut poursuivre l'exécution forcée en saisissant directement l’organe compétent, suivant la législation nationale.

L’exécution forcée ne peut être suspendue qu’en vertu d'une décision de la Cour. Toutefois, le contrôle de la régularité des mesures d’exécution relève de la compétence des juridictions nationales. »

B. Le règlement relatif à la protection des intérêts financiers de l’Union

8. Les articles 1er et 4 du règlement (CE, Euratom) nº 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (ci-après le « règlement PIF ») (3), sont libellés comme suit :

« Article premier

1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2. Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.

Article 4

1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu :

– par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus,

– par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l’appui de la demande d’un avantage octroyé ou lors de la perception d’une avance.

2. L’application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l’avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d’intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire.

3. Les actes pour lesquels il est établi qu’ils ont pour but d’obtenir un avantage contraire aux objectifs du droit communautaire applicable en l’espèce, en créant artificiellement les conditions requises pour l’obtention de cet avantage, ont pour conséquence, selon le cas, soit la non-obtention de l’avantage, soit son retrait.

4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions. »

C. Les règlements financiers de l’Union

1. Le règlement financier de 2002

9. L’article 103 du règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (4), dans sa version modifiée par le règlement (CE, Euratom) nº 1995/2006 du Conseil, du 13 décembre 2006 (5) (ci-après le « règlement financier de 2002 »), disposait :

« Lorsque la procédure de passation d’un marché se révèle entachée d’erreurs substantielles, d’irrégularités ou de fraude, les institutions la suspendent et prennent toutes les mesures nécessaires, y compris l’annulation de la procédure.

Si, après l’attribution du marché, la procédure de passation ou l’exécution du marché se révèle entachée d’erreurs substantielles, d’irrégularités ou de fraude, les institutions peuvent s’abstenir de conclure le contrat, suspendre l’exécution du marché ou, le cas échéant, résilier le contrat, selon le stade atteint par la procédure.

Si ces erreurs, irrégularités ou fraudes sont le fait du contractant, les institutions peuvent en outre refuser d’effectuer le paiement, recouvrer les montants déjà versés ou résilier tous les contrats conclus avec ledit contractant, proportionnellement à la gravité desdites erreurs, irrégularités ou fraudes. »

2. Le règlement financier de 2018

10. L’article 98 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 (ci-après le « règlement financier de 2018 ») (6), établit la procédure pour la constatation des créances de l’Union et l’établissement du titre à exiger de ce débiteur le paiement de sa dette.

11. L’article 100 du règlement financier de 2018, intitulé « Ordonnancement des recouvrements », dispose à son paragraphe 2, premier alinéa :

« Une institution de l’Union peut formaliser la constatation d’une créance à charge de personnes autres que des États membres...

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