La fraude fiscale et sa sanction en Belgique - Etat des lieux et propositions de réforme

AuthorJacques Malherbe
PositionProfesseur émerite de l?Université Catholique de Louvain; Avocat (Associé, Liedekerke, Bruxelles)
Pages1-33
Studi Tributari Europei
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La fraude fiscale et sa sanction en Belgique
Etat des lieux et propositions de réforme
Jacques Malherbe1
La fraude est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme.
L’idéal serait de pouvoir déduire ses impôts de l’impôt.
Jean Yanne
Le maintien du modèle actuel d’un Etat Providence socio-économique dépend plus que
jamais du sens des responsabilités des citoyens en matière fiscale.
Rapport de la Commission d’enquête parlementaire belge sur les grands dossiers de fraude
fiscale.
1 Professeur émerite de l’Université Catholique de Louvain; Avocat (Associé, Liedekerke,
Bruxelles); e-mail: j.malherbe@liedekerke.com.
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1. La fraude fiscale, écrivait en 1944 Gaston Lerouge dans un ouvrage
préfacé par Georges Ripert,2 est «un phénomène psychologique général que
l’on retrouve dans tous les pays et, dans chacun d’eux, d’une façon
constante, bien qu’à des degrés divers, dans toutes les classes sociales».
Son noyau est toujours l’intérêt personnel, en opposition avec l’intérêt
général, un conflit «entre les exigences toujours plus âpres de la vie
collective et celles de la vie de l’individu».
En droit belge, il y a lieu de distinguer celui qui, en remplissant les
conditions de la débition de l’impôt, se soustrait à celui-ci et commet dès
lors une fraude fiscale3, de celui qui se place hors des conditions
d’application de l’impôt en choisissant la voie la moins imposée4.
En Belgique, le droit fiscal pénal constitue une partie du droit pénal spécial,
c’est-à-dire du droit pénal concernant des délits énumérés en dehors du
code pénal. Ce droit pénal spécial n’en est pas moins du droit pénal et non
du droit fiscal5.
La sanction pénale d’un comportement est liée à la définition législative
précise du fait incriminé et ne peut s’appliquer à une figure juridique ne
faisant pas l’objet d’une norme comme l’abus de droit, l’évasion fiscale ou la
fraude à la loi6.
2 Théorie de la fraude en droit fiscal, Paris, L.G.D.J., 1944, p. 18.
3 “Belastingontduiking”, J. Van Houtte, Beginselen van het Belgisch Belastingrecht, Gand,
Story Scientia, 1979, p. 40.
4 «Belastingvermijding», Cfr sur ce choix, en droit belge, T. Delahaye, Le choix de la voie la
moins imposée, Bruxelles, Bruylant, 1977; T. Afschrift, L’évitement licite de l’impôt et la
réalité juridique, Bruxelles, Larcier, 1994; D. Garabedian, La politique belge de prévention de
l’évasion fiscale, in Les paradis fiscaux et l’évasion fiscale (droit belge et droit international),
Actes des journées d’études des 20-21 janvier 2000, Centre de droit international de l’ULB,
Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 195; D. Garabedian, Belgium, in International Fiscal Association
2002, Oslo Congress, Cahiers de droit fiscal international, vol. LXXXVII a, Formal Substance
in Tax Law, p. 153; en français, in J.D.F., 2003, p. 7193; P. Minne et S. Douénias,
Planification fiscale internationale des sociétés belges, Bruxelles, Larcier, 2004; B. Peeters,
De dunne lijn tussen belastingontwijking en belastingonduiking?», A.F.T., 2010, p. 25; A.C.
dos Santos et A.M. Ferreira Martins, Competitividade, Eficiência e Justicia do Sistema Fiscal,
Relatorio do Grupo para o Estudo da Politica Fiscal, Centro de estudos fiscais, Ministério das
Finanças, Lisbonne, 2009, p. 187.
5 R. Declercq, in Belastingrecht en strafrecht, 2èmes journées fiscales Zeger Van Hiel., Acta
Falconis KU Leuven, Anvers, Kluwer, 1983, p. 4.
6 F. Mucciarelli, Abuso del diritto, elusione fiscale e fattispecie incriminatrici, in G. Maisto,
Elusione ed abuso del diritto tributario, Milan, Giuffrè, 2009, p. 421.
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2. L’allergie du contribuable à l’impôt est traditionnellement plus grande
dans les pays qui ont été longtemps sous domination étrangère. Tel est
sans doute le cas de la Belgique.
Traditionnellement, la poursuite pénale en matière fiscale était confiée non
au ministère public mais à l’administration7. Au début des années 1980 se
dessinèrent les contours d’une grande réforme de la procédure en matière
de fraude fiscale, à la suite notamment de recommandations des
commissions d’étude de la répression pénale de la fraude fiscale8.
La loi du 8 août 1980 relative aux propositions budgétaires 1979-1980
rendit, sauf en matière de douanes, au ministère public le pouvoir d’exercer
l’action publique en matière de délits fiscaux.
Entretemps, l’administration avait créé une nouvelle administration fiscale,
l’Inspection Spéciale des Impôts (ISI), chargée de se concentrer sur la
fraude fiscale et disposant d’un droit de contrôle polyvalent9. Peu après, une
loi de redressement du 10 février 1981 en matière de répression pénale de
la fraude fiscale harmonisa la définition des infractions fiscales dans les
différents impôts, à l’exception du droit pénal douanier.
L’administration, lorsqu’elle avait le monopole des poursuites, ne les
déclenchait que rarement. Elle se concentrait sur l’efficacité du
recouvrement par les voies fiscales classiques.
Après la réforme, compte tenu de l’absence de connaissances techniques
des magistrats en matière fiscale, les fonctionnaires des administrations
fiscales et notamment de l’ISI étaient amenés à intervenir dans les
poursuites pénales et notamment à servir en quelque sorte d’experts.
3. Cette situation fut jugée incompatible avec la protection juridique du
contribuable.
7 Voir notamment la loi du 31 décembre 1925 modifiant la législation en matière d’impôts
directs et de taxes y assimilées.
8 Doc. Parl. Chambre, 1961-62, n° 264/1, annexe 2 et Doc. Parl. Sénat, 1980-81, n° 566/2.
9 Arrêté royal du 14 novembre 1978 modifiant l’arrêté royal du 29 octobre 1971 fixant le
règlement organique du ministère des finances ainsi que les dispositions particulières y
assurant l’exécution du statut des agents de l’Etat, Moniteur belge, 21 février 1979.

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