Jérôme Rivière and Others v European Parliament.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2023:987
Date14 December 2023
Docket NumberC-767/21
Celex Number62021CJ0767
CourtCourt of Justice (European Union)
62021CJ0767

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 décembre 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Droit institutionnel – Députés du Parlement européen – Règlement intérieur du Parlement européen – Règles de conduite – Article 10, paragraphe 3 – Interdiction de déployer des banderoles et des bannières au cours des séances du Parlement – Mesure verbale du président du Parlement interdisant aux députés d’arborer un drapeau national sur leur pupitre – Recours en annulation – Article 263 TFUE – Notion d’“acte attaquable” »

Dans l’affaire C‑767/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 décembre 2021,

Jérôme Rivière, demeurant à Nice (France),

Dominique Bilde, demeurant à Lagarde (France),

Joëlle Mélin, demeurant à Aubagne (France),

Aurélia Beigneux, demeurant à Hénin-Beaumont (France),

Thierry Mariani, demeurant à Paris (France),

Jordan Bardella, demeurant à Montmorency (France),

Jean‑Paul Garraud, demeurant à Libourne (France),

Jean‑François Jalkh, demeurant à Gretz‑Armainvilliers (France),

Gilbert Collard, demeurant à Marseille (France),

Gilles Lebreton, demeurant à Montivilliers (France),

Nicolaus Fest, demeurant à Berlin (Allemagne),

Gunnar Beck, demeurant à Neuss (Allemagne),

Philippe Olivier, demeurant à Draveil (France),

représentés par Me F. Wagner, avocat,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par MM. N. Lorenz et T. Lukácsi, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), M. Safjan, N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 16 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1

Par leur pourvoi, M. Jérôme Rivière, Mmes Dominique Bilde, Joëlle Mélin, Aurélia Beigneux, MM. Thierry Mariani, Jordan Bardella, Jean‑Paul Garraud, Jean‑François Jalkh, Gilbert Collard, Gilles Lebreton, Nicolaus Fest, Gunnar Beck et Philippe Olivier, députés du Parlement européen, demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 octobre 2021, Rivière e.a./Parlement (T‑88/20, ci‑après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:664), par lequel celui‑ci a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l’annulation de la mesure verbale du président du Parlement, du 13 janvier 2020, interdisant aux députés d’arborer le drapeau national sur leur pupitre (ci-après la « mesure litigieuse »).

Le cadre juridique

2

Intitulé « Règles de conduite », l’article 10 du règlement intérieur du Parlement européen (9e législature – 2019‑2024) (ci‑après le « règlement intérieur ») prévoit :

« 1. La conduite des députés est inspirée par le respect mutuel et repose sur les valeurs et principes définis dans les traités, en particulier dans la Charte des droits fondamentaux. [...]

2. Les députés ne compromettent pas le bon déroulement des travaux parlementaires ni le maintien de la sécurité et de l’ordre dans les bâtiments du Parlement ou encore le bon fonctionnement des équipements du Parlement.

3. Les députés ne perturbent pas le bon ordre dans la salle des séances et s’abstiennent de tout comportement déplacé. Ils ne déploient ni banderoles ni bannières.

[...] »

3

L’article 171 de ce règlement, intitulé « Répartition du temps de parole et liste des orateurs », prévoit, à son paragraphe 4 :

« Pour [la première] partie du débat, le temps de parole est réparti selon les critères suivants :

a)

une première fraction du temps de parole est répartie à égalité entre tous les groupes politiques ;

b)

une deuxième fraction est répartie entre les groupes politiques au prorata du nombre total de leurs membres ;

c)

il est attribué globalement aux députés non inscrits un temps de parole calculé d’après les fractions accordées à chaque groupe politique conformément aux points a) et b) ;

d)

la répartition du temps de parole en plénière tient compte du fait que les députés atteints d’un handicap pourraient avoir besoin de plus de temps. »

4

L’article 175 dudit règlement, intitulé « Mesures immédiates », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1. Le Président rappelle à l’ordre tout député qui enfreint les règles de conduite définies à l’article 10, paragraphe 3 ou 4.

2. En cas de récidive, le Président rappelle à nouveau le député à l’ordre, avec inscription au procès‑verbal.

3. Si la violation se poursuit, ou en cas de nouvelle récidive, le Président peut retirer la parole au député concerné et l’exclure de la salle des séances pour le reste de la séance. [...] »

Les antécédents du litige

5

Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent des points 1 à 3 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

6

Lors de la séance plénière du 13 janvier 2020, le président du Parlement a adopté oralement, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, des mesures visant à assurer le respect de l’ordre dans l’hémicycle, dont la mesure litigieuse.

7

Lors des séances plénières des 29 et 30 janvier 2020, les vice‑présidentes ayant présidé ces séances ont réitéré la mesure litigieuse.

Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

8

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 février 2020, les requérants ont introduit un recours tendant à l’annulation de la mesure litigieuse.

9

Au soutien de leur recours, ils ont soulevé quatre moyens. Le premier comportait deux branches, tirées, la première, de la violation et de la dénaturation de l’article 10 du règlement intérieur et, la seconde, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, TUE. Le deuxième moyen était tiré de la violation du principe de sécurité juridique, le troisième, de l’abus de pouvoir et, le quatrième, de la violation des principes d’égalité de traitement, de légalité, de bonne administration, du fumus persecutionis et de la violation de la liberté d’expression des députés.

10

Le Parlement a soulevé, à titre principal, une exception d’irrecevabilité du recours, tirée de l’absence, premièrement, d’acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, deuxièmement, de qualité pour agir des requérants et, troisièmement, d’intérêt à agir de ceux‑ci. À titre subsidiaire, le Parlement a soutenu que le recours n’était pas fondé.

11

Le Tribunal a fait droit à la fin de non‑recevoir tirée de l’absence d’acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE.

12

Au point 38 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’il ressortait des écrits des parties que la mesure litigieuse consistait en une interdiction adressée aux députés, au titre de l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur, d’arborer des drapeaux nationaux sur leur pupitre. À cet égard, il a précisé que, bien que les requérants aient fait également valoir une interdiction de prise de parole appliquée aux députés ne respectant pas ladite mesure, rien ne permettait d’établir que cette dernière soit allée au-delà de l’interdiction d’arborer des drapeaux nationaux.

13

Aux points 42 à 44 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que, en vertu du règlement intérieur, inspiré des traditions parlementaires communes aux États membres, les députés « s’expriment en prenant la parole ». Il a précisé que, hormis la faculté qui leur est accordée par ce règlement de présenter une fois par session une déclaration écrite de 200 mots, ledit règlement « ne prévoit aucun autre moyen d’expression dont disposeraient les participants aux débats ». Selon le Tribunal, la restriction concernant les moyens d’expression des députés ainsi établie vise à garantir l’égalité de ceux-ci et, par conséquent, le bon déroulement des travaux parlementaires. Ce double objectif serait aussi poursuivi par l’article 171, paragraphe 4, dudit règlement intérieur, qui prévoit des critères précis de répartition du temps de parole entre les députés.

14

Aux points 45 et 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé qu’« une image ou un objet, par le symbole qu’il représente ou le message qu’il communique, peut incontestablement servir de moyen d’expression donnant ainsi aux députés qui l’utilisent la possibilité d’affirmer et de défendre leurs convictions politiques en dehors de leur temps de parole » lors des séances plénières du Parlement. Il a considéré que, en l’espèce, le drapeau posé par les requérants sur leurs pupitres était devenu « une sorte d’étendard d’un groupement politique et un symbole de la cause que celui-ci défend ». En outre, au point 49 de cet arrêt, il a considéré que « le déploiement du drapeau d’un État membre en particulier sur le pupitre d’un député élu au Parlement est en discordance avec la fonction représentative [de ce] député », telle que définie, notamment, à l’article 14, paragraphe 2, TUE et à l’article 22, paragraphe 2, TFUE.

15

Au point 50 dudit arrêt, le Tribunal a jugé que, en raison de la fonction que les requérants lui attribuent, le drapeau national ainsi arboré sur leur pupitre était « réduit à un simple moyen d’expression ou de communication d’opinions » qui ne se distinguait pas des objets visés par les termes « bannières » et « banderoles » employés à l’article 10, paragraphe 3, du règlement intérieur ou leurs équivalents dans les différentes versions linguistiques de cette disposition.

16

Compte tenu de l’ensemble de ces motifs, le Tribunal a jugé, aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué que, le comportement des requérants étant de nature à perturber le bon...

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