Opinion of Advocate General Kokott delivered on 21 November 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:930
Docket NumberC-558/17
Date21 November 2018
Celex Number62017CC0558
Procedure TypeRecurso de casación - infundado
CourtCourt of Justice (European Union)
62017CC0558

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 21 novembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑558/17 P

OZ

contre

Banque européenne d’investissement (BEI)

« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la BEI – Harcèlement sexuel – Plainte – Enquête menée dans le cadre du programme “Dignity at work” – Rejet de la plainte – Demande d’annulation de la décision du président de la BEI de rejeter la plainte – Demande de réparation du préjudice causé par le comportement de la BEI »

I. Introduction

1.

Les institutions, organes et organismes de l’Union européenne sont tenues de protéger leur personnel contre toute forme d’intimidation et de harcèlement sur le lieu du travail. À cet effet, la Banque européenne d’investissement (BEI) a adopté une réglementation interne dite « politique en matière de dignité au travail ».

2.

En l’espèce, la requérante au pourvoi a introduit une « plainte » en vertu de cette réglementation auprès de la BEI, en raison d’un harcèlement sexuel qu’elle allègue avoir subi de la part de son supérieur hiérarchique à partir de l’année 2011 jusqu’à son changement de fonctions au cours de l’année 2012. Selon la requérante, la procédure interne d’enquête qui avait été ouverte à la suite du dépôt de sa plainte était entachée de plusieurs erreurs qui, en fin de compte, ont conduit au rejet de sa plainte.

3.

Outre une violation de ses droits procéduraux, la requérante invoque notamment l’illicéité de la prise en compte d’éléments relevant de sa vie privée aux seules fins de la remise en cause de sa crédibilité.

4.

La difficulté d’apporter la preuve d’un harcèlement est inhérente à la nature et au mode opératoire de ce type de comportement. Une décision administrative visant à établir la réalité d’allégations de harcèlement, prise à l’issue d’une procédure d’enquête, reposera ainsi toujours, au moins dans une certaine mesure, sur des opinions ou des appréciations portant sur des aspects de la vie privée des personnes concernées. Dans ces conditions, le respect des règles de procédure encadrant le processus décisionnel revêt une importance particulière.

5.

Le présent pourvoi donne à la Cour l’occasion de se pencher, pour la première fois, sur la question de savoir à quelles exigences procédurales doit satisfaire une procédure administrative d’enquête pour harcèlement. La présente affaire soulève, dès lors, la question du bien-fondé d’une jurisprudence constante du Tribunal de la fonction publique et du Tribunal, selon laquelle, dans le cadre d’une plainte pour harcèlement, les droits procéduraux qui doivent être reconnus à la personne accusée de harcèlement se distinguent de ceux, plus limités, dont dispose le plaignant qui estime être la victime d’un harcèlement ( 2 ).

II. Le cadre juridique

A. Le statut des fonctionnaires de l’Union européenne

6.

L’article 24, premier alinéa, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « statut ») ( 3 ) énonce :

« L’Union assiste le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou autres contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions. »

B. Le règlement du personnel de la BEI

7.

Le règlement du personnel de la BEI, adopté le 20 avril 1960 par le conseil d’administration de la BEI, prévoit, dans sa version révisée par décision du conseil d’administration de la BEI du 4 juin 2013, entrée en vigueur le 1er juillet 2013, à son article 41 :

« Les différends de toute nature d’ordre individuel entre la Banque et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice de l’Union européenne. Toute action d’un membre du personnel contre une mesure de la Banque susceptible de lui faire grief doit être intentée dans les trois mois.

Outre l’action devant la Cour de justice […] et avant l’introduction de celle-ci, les différends, autres que ceux découlant de la mise en jeu de mesures prévues à l’article 38, font l’objet d’une procédure amiable devant la commission de conciliation de la Banque.

La demande de conciliation doit être formée dans les trois mois [à compter] de la survenance des faits ou de la notification des mesures faisant l’objet du différend. [...] ».

C. La politique de la BEI en matière de respect de la dignité de la personne au travail

8.

La réglementation de la BEI sur la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail (ci-après la « politique en matière de dignité au travail »), adoptée par la BEI le 18 novembre 2003 ( 4 ), prévoit :

« Procédure d’enquête

[…]

La procédure d’enquête comporte les dispositions suivantes:

[…]

il est créé un comité d’enquête composé de trois personnes indépendantes […]

le comité d’enquête tient un certain nombre d’auditions afin d’entendre séparément les deux parties et leurs témoins éventuels, ainsi que toute autre personne qu’il souhaite interroger,

les deux parties ont le droit d’être entendues par le comité d’enquête,

les deux parties ont le droit d’être représentées ou accompagnées,

les auditions et délibérations du comité d’enquête débouchent sur une recommandation soumise au Président,

le Président se prononce sur les mesures à prendre.

Tâches et composition du comité d’enquête

La mission du comité consistera à fournir une structure garantissant une enquête objective et indépendante portant sur un ou plusieurs incidents et débouchant sur une recommandation adressée au Président pour décision.

[…]

La procédure

[…]

2.

Le DRH, en accord avec les représentants du personnel, propose au Président la composition du comité et fixe une date pour le début de l’enquête, au plus tard 30 jours calendaires après réception de la plainte.

3.

Le DRH accuse immédiatement réception de la note de l’agent concerné, confirmant l’ouverture d’une procédure d’enquête […]

4.

Lorsque le mémorandum du plaignant a été reçu, le DRH

[…]

d.

indique que l’enquête commencera dans les 30 jours calendaires suivant la date à laquelle la plainte a été officiellement déposée auprès du DRH et que les deux parties seront informées de la date, de l’heure et du lieu de leur audition individuelle, de leur droit d’être représentées ou accompagnées et de la composition du comité.

[…]

L’audition

L’audition a pour objectif d’établir précisément ce qui s’est passé et de rassembler des faits, qui permettront de rédiger une recommandation motivée. Les parties n’ont pas le droit d’effectuer de contre-interrogatoire puisqu’elles sont entendues séparément. Elles ne sont pas obligées de répéter des détails pénibles ou embarrassants pour elles dans la mesure où cela n’est pas absolument nécessaire. On rappellera à toutes les parties impliquées dans l’enquête et les auditions, y compris aux assistants et aux témoins, qu’elles sont soumises au devoir de confidentialité.

[...]Le comité a la faculté d’adopter la manière de procéder qu’il juge appropriée. En règle générale, l’audition se présente sous la forme d’une série d’entretiens séparés, effectués dans l’ordre suivant:

tout d’abord le plaignant

les témoins éventuellement cités par le plaignant

le harceleur présumé

les témoins éventuellement cités par le harceleur présumé

si le comité le juge nécessaire, les deux parties pourront être appelées pour de nouvelles auditions séparées.

Si besoin est, le comité pourra également interroger à nouveau les personnes impliquées et convoquer, éventuellement, d’autres membres du personnel ou solliciter des informations ou des copies de documents s’il considère, collégialement, que cela est justifié et utile. En cas de doute, le Président se prononcera en dernier ressort sur les questions relatives à l’accès à des dossiers, à des données ou à d’autres méthodes d’investigation, après avoir consulté, le cas échéant, le délégué à la protection des données personnelles. Le comité informera le plaignant des investigations supplémentaires.

Résultat de l’enquête

Lorsque toutes les parties auront été entendues et que toutes les autres investigations appropriées éventuelles auront été effectuées, le comité devrait être en mesure de délibérer et de proposer une recommandation motivée. Il n’a pas de pouvoir de décision.

Le comité peut exprimer différentes recommandations tendant à ce que l’affaire soit abandonnée, les deux parties ayant pu clarifier la situation et une solution pour l’avenir, acceptable pour les deux parties ayant été trouvée,

l’affaire ne soit pas considérée comme relevant de l’intimidation ou du harcèlement, mais comme étant un conflit du travail qui doit faire l’objet d’un examen plus approfondi ou d’un suivi,

la plainte soit rejetée,

les mesures requises soient prises au cas où le comité démontre que la plainte est non fondée et malintentionnée,

la procédure disciplinaire soit engagée.

La recommandation écrite du comité est élaborée dans les cinq jours suivant la fin de l’enquête et adressée au Président pour décision.

Décision du Président […]

Au plus tard dans les cinq jours ouvrables suivant l’envoi de la recommandation du comité au Président...

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