Heiko Jonny Maniero v Studienstiftung des deutschen Volkes eV.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:697
Date11 September 2018
Celex Number62017CC0457
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-457/17
62017CC0457

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 11 septembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑457/17

Heiko Jonny Maniero

contre

Studienstiftung des deutschen Volkes eV

[demande de décision préjudicielle adressée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Directive 2000/43/CE – Égalité de traitement des personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique – Article 3, paragraphe 1, sous g) – Enseignement – Bourses attribuées aux étudiants ayant réussi le premier examen d’État en droit »

1.

« On ne saurait donc nier que l’éducation des enfants ne doive être un des objets principaux des soins du législateur. […] Mais il est essentiel de connaître ce que doit être précisément cette éducation» ( 2 ).

2.

Le législateur de l’Union européenne a en effet légiféré en la matière en reconnaissant notamment un droit fondamental dans le droit à l’éducation ( 3 ). Il n’a cependant pas défini la notion d’« éducation ». Dans la présente demande de décision préjudicielle, la Cour est appelée à répondre à cette ancienne question, à présent posée dans le contexte du droit de l’Union, et plus précisément de la directive 2000/43/CE ( 4 ). En quoi consiste l’éducation ?

Le cadre juridique

La directive 2000/43

3.

L’objet de la directive 2000/43 est d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique ( 5 ).

4.

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/43 interdit toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique. L’article 2, paragraphe 2, de cette directive définit la discrimination directe comme étant celle qui « se produit lorsque, pour des raisons de race ou d’origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable » et la discrimination indirecte comme étant celle qui se produit « lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires ».

5.

L’article 3, paragraphe 1, dispose que la directive s’applique « dans les limites des compétences conférées à la Communauté, […] à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne : […] g) l’éducation […] ».

Le droit allemand

6.

La directive 2000/43 a été transposée en droit allemand par l’Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz (loi générale sur l’égalité de traitement, ci-après l’« AGG »).

7.

L’article 1er de l’AGG interdit toute discrimination fondée notamment sur la race ou l’origine ethnique. L’article 2, paragraphe 1, point 7, de l’AGG qui transpose l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43 définit le champ d’application de l’interdiction en y incluant les discriminations en ce qui concerne, notamment, l’éducation. L’article 3, paragraphes 1 et 2, de l’AGG définit la discrimination directe et indirecte interdite par cette loi.

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

8.

M. Heiko Jonny Maniero est un ressortissant italien qui est né en Allemagne et y réside. En 2013, il a obtenu le titre universitaire de « Bachelor of Laws » dans une université d’Arménie.

9.

Le 11 décembre 2013, M. Maniero s’est adressé au Studienstiftung des deutschen Volkes eV (Fondation du peuple allemand ; ci-après la « Fondation ») pour solliciter une bourse dans le cadre du programme « Bucerius-Jura » qui avait pour objet d’encourager des projets de recherche ou d’études juridiques à l’étranger ( 6 ).

10.

La Fondation a répondu le 17 janvier 2014 en précisant que les candidats devaient avoir obtenu le premier examen d’État en droit. M. Maniero a rétorqué que le « diplôme en cinq ans » qu’il avait obtenu en Arménie était comparable au deuxième examen d’État en droit puisqu’il habilite son titulaire à y exercer la fonction de juge ou la profession d’avocat. Il a observé que la condition requise par la Fondation pourrait enfreindre l’AGG en tant que discrimination fondée sur l’origine ethnique ou sociale.

11.

M. Maniero n’a pas sollicité de bourse. Dans une correspondance ultérieure avec la Fondation, il a prétendu que l’attitude négative de la Fondation l’aurait dissuadé de présenter sa candidature.

12.

M. Maniero a saisi le Landgericht (tribunal régional, Allemagne) d’une action contre la Fondation en cessation de toute discrimination en raison de son âge ou de son origine assortie d’une condamnation à lui verser 18734,60 euros à titre d’indemnité et de remboursement de frais de déplacement. Cette action ainsi que l’appel qui a suivi ont été rejetés.

13.

M. Maniero a alors introduit un pourvoi devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), la juridiction de renvoi.

14.

Cette dernière observe que le pourvoi ne peut aboutir que si l’attribution de bourses relève de la notion d’« éducation » visée à l’article 2, paragraphe 1, point 7, de l’AGG transposant l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43. Si tel est le cas, la question qui se pose alors est de savoir si la réussite requise du premier examen d’État en droit constitue ou non une discrimination indirecte interdite par l’article 3, paragraphe 2, de l’AGG, transposant l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43. C’est dans ce contexte que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) pose à la Cour la question suivante :

« 1)

L’attribution par une association enregistrée de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études à l’étranger relève-t-elle de la notion d’“éducation” au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43/CE ?

2)

Dans l’hypothèse où il conviendrait de répondre par l’affirmative à la première question :

Dans le cadre de l’attribution des bourses évoquées dans la première question préjudicielle, la condition de participation tenant au premier examen d’État en droit obtenu en Allemagne constitue-t-elle une discrimination indirecte d’un candidat au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43/CE lorsque le candidat qui est un citoyen de l’Union a, certes, obtenu un diplôme comparable dans un État ne faisant pas partie de l’Union européenne, sans que le choix de ce lieu de diplôme ait de rapport avec l’origine ethnique du candidat, mais que celui-ci avait, en raison de son domicile en Allemagne et de sa maîtrise courante de la langue allemande, tout comme un national, la possibilité de passer, après des études de droit en Allemagne, le premier examen d’État en droit ?

À cet égard, cela fait-il une différence que ce programme de bourses, sans se rattacher à des critères discriminatoires, poursuit l’objectif d’aider, en soutenant un projet de recherche ou d’études à l’étranger, les diplômés ayant suivi des études de droit en Allemagne à acquérir la connaissance de systèmes juridiques étrangers, une expérience à l’étranger et des connaissances linguistiques ? »

15.

La Fondation, le gouvernement allemand et la Commission européenne ont déposé des observations écrites. M. Maniero, la Fondation, le gouvernement allemand et la Commission ont présenté des observations orales à l’audience du 30 mai 2018.

16.

Comme la Cour me l’a demandé, je me limiterai, dans les présentes conclusions, à examiner la première question.

Appréciation

17.

La juridiction de renvoi demande si l’attribution par une association enregistrée de bourses destinées à soutenir des projets de recherche ou d’études à l’étranger relève de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la directive 2000/43 de par son lien avec l’« éducation ». Je souligne d’emblée que cette affaire concerne la notion d’« éducation » dans le contexte de la directive 2000/43 et non pas dans celui des incidences éventuelles sur la reconnaissance de diplômes ou sur la libre circulation des personnes.

18.

La Fondation et le gouvernement allemand avancent que la notion d’« éducation » doit être interprétée en ce sens qu’elle ne couvre pas l’attribution de bourses. Ils fondent leur argumentation essentiellement sur la genèse et l’économie de la directive.

19.

La Commission d’autre part soutient que la directive 2000/43 appelle une interprétation extensive ce en quoi M. Maniero est d’accord. Dès lors, l’attribution de bourses doit être incluse dans l’acception du mot « éducation » figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous g) de cette directive.

20.

Selon une jurisprudence bien établie, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer leur sens et leur portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme. À cet égard, si la directive 2000/43 ne donne aucune indication spécifique sur le sens à donner au terme « éducation », elle n’opère pas non plus de renvoi aux droits nationaux en ce qui concerne la signification de ce terme. Il en résulte que le terme « éducation » doit être considéré, aux fins de l’application de la directive, comme une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être...

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