H. T. v Land Baden-Württemberg.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2218
Docket NumberC-373/13
Celex Number62013CC0373
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 September 2014
62013CC0373

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 11 septembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑373/13

H. T.

contre

Land Baden-Württemberg

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof Baden‑Württemberg (Allemagne)]

«Espace de liberté, de sécurité et de justice — Asile et immigration — Normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié et contenu de la protection accordée — Révocation du titre de séjour au titre de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/83/CE — Conditions — Notion de ‘raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public’ — Participation d’un réfugié reconnu aux activités d’une organisation terroriste»

1.

La demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (tribunal administratif supérieur de Baden-Württemberg, Allemagne) soulève un certain nombre de questions sensibles et complexes. La juridiction de renvoi demande à la Cour de l’éclairer quant à l’interprétation des articles 21 et 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions ( 2 ). Elle demande si, et le cas échéant comment, ces dispositions s’appliquent lorsque les autorités compétentes d’un État membre expulsent une personne à qui avait été accordé le statut de réfugié aux termes de la directive relative aux conditions et révoquent son titre de séjour. Lorsque le réfugié en question se voit néanmoins accorder le droit de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné, le fait qu’il ne détienne plus de titre de séjour et donc qu’il n’ait (dans une mesure plus ou moins étendue) plus droit, selon le droit national, à certains avantages, tels que l’accès à l’emploi, est-il compatible avec le droit de l’Union? Lorsque cette personne a été expulsée pour avoir violé le droit national en soutenant une organisation terroriste, quels facteurs doivent être pris en considération pour démontrer qu’il existe des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public justifiant une décision de révocation du titre de séjour de cette personne?

Le droit international

La convention de Genève relative au statut des réfugiés

2.

La convention de Genève relative au statut des réfugiés ( 3 ) repose sur la déclaration universelle des droits de l’homme, qui reconnaît le droit des personnes à chercher asile dans d’autres pays devant la persécution. L’article 1er, section A, point 2, premier alinéa, de la convention de Genève dispose que le terme «réfugié» s’applique à toute personne qui, «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays».

3.

Au-delà de l’établissement de dispositions tendant à la déclaration du statut de réfugié, la convention de Genève confère des droits et impose des obligations. Ainsi, son article 2 dispose que tout réfugié a, à l’égard du pays où il se trouve, des devoirs qui comportent notamment l’obligation de se conformer aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises pour le maintien de l’ordre public.

4.

La convention de Genève prévoit un certain nombre de droits minimaux s’appliquant aux personnes qui remplissent les conditions du statut de réfugié. Les États contractants sont tenus d’accorder aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire des droits tels que: i) l’exercice d’une activité professionnelle salariée ( 4 ); ii) le même traitement qu’aux nationaux en ce qui concerne la rémunération (y compris les allocations familiales) et la sécurité sociale ( 5 ); iii) le droit de choisir leur lieu de résidence sur leur territoire et d’y circuler librement sous les réserves instituées par la réglementation applicable aux étrangers en général dans les mêmes circonstances ( 6 ).

5.

L’article 32, intitulé «Expulsion», interdit aux États contractants d’expulser un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire, sauf pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public. Toute décision d’expulsion n’aura lieu que conformément à la procédure prévue par la loi. Le réfugié devra avoir l’opportunité de contester une décision d’expulsion en fournissant des preuves et/ou en présentant un recours contre une telle décision, sauf si des raisons impérieuses de sécurité nationale s’y opposent. Dans l’attente de l’exécution d’une décision d’expulsion, les États contractants doivent accorder au réfugié un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays. Les États contractants conservent la faculté d’appliquer, pendant ce délai, les mesures d’ordre interne qu’ils jugeront opportunes.

6.

La convention de Genève ne contient aucune disposition expresse quant à la révocation du statut de réfugié ( 7 ).

7.

Le principe de non-refoulement fait partie des principes fondamentaux qui sous-tendent la convention de Genève. Les États contractants ne doivent pas expulser ou refouler un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ( 8 ). Toutefois, s’il y a des raisons sérieuses de considérer le réfugié comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou s’il a été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave et constitue ainsi une menace pour la communauté dudit pays, il ne pourra invoquer le bénéfice du principe de non-refoulement ( 9 ).

La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

8.

L’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 10 ) interdit la torture, les peines ou traitements inhumains ou dégradants. L’article 8 garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. L’article 1er du protocole no 7 à la CEDH, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984 et ratifié par 25 États membres de l’Union européenne, prévoit certaines mesures de sauvegarde s’agissant de l’expulsion des étrangers, notamment le droit de la personne à faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, à faire examiner son cas, et à se faire représenter à ces fins ( 11 ).

Le droit de l’Union

La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

9.

L’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants visée à l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 12 ) correspond à l’article 3 de la CEDH. L’article 7 de la Charte dispose: «[t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications». Le droit d’asile, dans le respect des règles de la convention de Genève et du TFUE, est garanti par l’article 18 de la Charte. Son article 19 prévoit la protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ( 13 ). L’article 52, paragraphe 1, dispose que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le principe de proportionnalité. Des limitations peuvent être apportées uniquement si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. L’article 52, paragraphe 3, dispose que les droits consacrés par la Charte doivent être interprétés conformément aux droits correspondants garantis par la CEDH.

L’accord de Schengen

10.

L’espace Schengen repose sur l’accord de Schengen de 1985 ( 14 ), par lequel les États signataires ont accepté de supprimer toutes les frontières intérieures et d’établir une unique frontière externe. Dans le cadre de l’espace Schengen, des règles et procédures communes sont appliquées s’agissant des visas pour courts séjours, des demandes d’asile et des contrôles aux frontières. L’article 1er de l’accord de Schengen ( 15 ) définit le terme «étranger» comme toute personne autre que les ressortissants des États membres. L’article 5, paragraphe 1, prévoit que pour un séjour n’excédant pas trois mois, l’entrée sur les territoires des parties contractantes peut être accordée à l’étranger qui remplit certaines conditions. En vertu de l’article 21, les étrangers titulaires d’un titre de séjour délivré par une des parties contractantes peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d’un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pendant une période de trois mois au maximum sur le territoire des autres parties contractantes, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), c) et e) ( 16 ).

Mesures restrictives à l’encontre des personnes et entités impliquées dans les activités terroristes

11.

L’Union a pour la première fois adopté des mesures restrictives à l’encontre des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme au mois de décembre 2001, à la suite des attaques terroristes aux États-Unis d’Amérique, notamment au World Trade Center à New York le 11 septembre de cette année-là. La liste de l’Union a été établie afin de mettre en œuvre la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies 1373 (2001)...

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