Opinion of Advocate General Kokott delivered on 25 February 2016.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:120
Date25 February 2016
Celex Number62014CC0559
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
62014CC0559

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 25 février 2016 ( 1 )

Affaire C‑559/14

Rudolfs Meroni

[demande de décision préjudicielle formée par l’Augstākās tiesas Senāts (Sénat de la Cour suprême, Lettonie)]

«Demande de décision préjudicielle — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 34, point 1 — Motifs de refus de la reconnaissance et de la force exécutoire de mesures provisoires et conservatoires — Ordre public»

I – Introduction

1.

Après l’affaire Allianz et Generali Assicurazioni Generali ( 2 ), qui portait sur une anti-suit injunction, la Cour doit à nouveau faire face en l’espèce à une particularité du droit procédural anglo-américain.

2.

La présente affaire porte sur une freezing injunction ( 3 ). Il s’agit d’une ordonnance judiciaire de gel des avoirs à titre conservatoire visant à éviter qu’en vendant ses biens le débiteur ne les soustraie à la disposition ultérieure du créancier.

3.

En l’espèce, le gel des avoirs ne vise pas seulement le défendeur dans la procédure au principal, mais concerne également des tiers étroitement liés aux actifs du défendeur. La juridiction de renvoi, qui doit se prononcer sur la demande de déclaration constatant la force exécutoire de l’ordonnance de gel des avoirs en Lettonie, considère que cela pose un problème au regard de l’ordre public.

4.

L’affaire en cause donne donc à la Cour une nouvelle occasion de préciser concrètement la notion d’ « ordre public » dans le cadre du règlement (CE) no 44/2001 ( 4 ). À cet égard, la question centrale est de savoir si, et le cas échéant dans quelle mesure, l’atteinte aux droits des tiers par la déclaration constatant la force exécutoire doit être prise en considération comme motif de refus.

II – Cadre juridique

A – Droit de l’Union

5.

En droit de l’Union, le cadre juridique de la présente affaire est établi par le règlement no 44/2001.

6.

Le considérant 18 de ce règlement s’énonce comme suit:

« Le respect des droits de la défense impose […] que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire [d’une décision], s’il considère qu’un des motifs de non-exécution est établi. […] »

7.

L’article 32 du même règlement définit comme suit la notion de « décision» ( 5 ):

« On entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès. »

8.

Aux termes de l’article 34, point 1, du règlement no 44/2001, une décision n’est pas reconnue si « la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis ». Elle n’est pas reconnue non plus, conformément à l’article 34, point 2, dudit règlement, si « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ».

9.

L’article 38, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 dispose:

« Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. »

10.

L’article 41 du règlement no 44/2001 est ainsi libellé:

« La décision est déclarée exécutoire dès l’achèvement des formalités prévues à l’article 53 ( 6 ), sans examen au titre des articles 34 et 35. La partie contre laquelle l’exécution est demandée ne peut, en cet état de la procédure, présenter d’observations. »

11.

Conformément à l’article 42, paragraphe 2, du règlement no 44/2001, « [l]a déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n’a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie ».

12.

L’article 43, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que « [l]’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire ».

13.

Aux termes de l’article 45, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 44/2001, « [l]a juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 […] ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35 ».

B – Droit letton

14.

Conformément à l’article 92 de la Constitution lettone, toute personne a le droit de faire valoir ses droits et ses intérêts légitimes devant une juridiction impartiale.

15.

L’article 105 de la Constitution lettone dispose que le droit de propriété ne peut être limité qu’en vertu d’une loi.

III – Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

16.

La demande préjudicielle trouve son origine dans un litige relatif à la déclaration constatant la force exécutoire en Lettonie d’une ordonnance de gel des avoirs prononcée en 2013 par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale), Royaume-Uni].

17.

Cette ordonnance de gel des avoirs interdit à M. A.L. de disposer d’actifs relevant directement ou indirectement de son patrimoine. L’interdiction s’étend à sa participation dans la société lettone VB. M. A.L. n’est lié directement à cette société que par une seule action. Selon la juridiction de renvoi, il est toutefois en plus « bénéficiaire effectif» ( 7 ) de parts d’au moins une autre société (ci-après la « société Y »), qui, quant à elle, détient une participation significative dans la société VB.

18.

M. Meroni fait partie de la direction de la société Y. À la suite d’une saisie ordonnée en 2007 par le parquet général letton, il agit en outre comme gestionnaire ( 8 ) des participations dans la société Y dont M. A.L. est le bénéficiaire effectif.

19.

L’ordonnance de gel des avoirs en question porte, conformément à son point 6, sur « tous les intérêts [dans la société VB], qu’ils soient, ou non, [au nom propre] de [M. A.L.] ». Aux termes du droit anglais, un recours peut être introduit contre cette ordonnance. Les tiers qui n’étaient pas parties à la procédure en Angleterre, si l’ordonnance de gel des avoirs leur a été signifiée ou notifiée, peuvent également demander qu’elle soit modifiée ou annulée ( 9 ), mais ils doivent respecter l’interdiction dès lors qu’elle leur a été signifiée ou notifiée ( 10 ). S’agissant des actifs qui se trouvent en dehors de l’Angleterre et du pays de Galles, ces tiers ne sont toutefois pas empêchés de continuer à remplir les obligations qui leur sont imposées sur la base d’un contrat ou autrement et de respecter des ordonnances étatiques ( 11 ). Comme l’indique le point 22 (« [l]es parties à qui la présente ordonnance doit être notifiée »), l’ordonnance de gel des avoirs est signifiée ou notifiée, non seulement aux défendeurs, mais également aux « […] sociétés qui sont énumérées au point 7 », y compris à la société VB. Sans notification préalable, une « exécution à l’étranger » ne serait cependant possible que « pour autant que les ordres juridiques concernés le permettent» ( 12 ).

20.

Les sociétés VB et Y n’étaient pas parties à la procédure devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale)], dans le cadre de laquelle l’ordonnance de gel des avoirs a été prononcée contre M. A.L. La juridiction de renvoi n’a pas connaissance que l’ordonnance leur ait été signifiée ou notifiée ( 13 ). Par ailleurs, il ne ressort pas clairement de la décision de renvoi si M. A.L. a été entendu avant que la juridiction britannique se prononce. Cependant, la mention « sans préjudice des arguments présentés par M. [A.L.] selon lesquels il n’a aucune participation, directe ou indirecte, dans aucun des actifs [en cause]» ( 14 ) figurant dans l’ordonnance de gel des avoirs amène à penser qu’il a bien été entendu préalablement.

21.

En première instance, en 2013, l’ordonnance de gel des avoirs a été déclarée exécutoire en Lettonie contre M. A.L. et cette déclaration constatant la force exécutoire a été confirmée en appel en tant qu’elle interdisait à M. A.L. de disposer des actions qu’il détenait directement ou indirectement dans la société VB, d’en réduire la valeur ou de confier à des tiers le soin de mener ces activités.

22.

Le pourvoi formé ensuite par M. Meroni, dont est saisie la juridiction de renvoi, est dirigé contre cette déclaration constatant la force exécutoire en Lettonie. Selon lui, l’ordonnance de gel des avoirs empêcherait la société Y, actionnaire, d’exercer son droit de vote dans la société VB. Cela porterait atteinte au droit fondamental de propriété, d’autant plus que cette société n’a pas été entendue dans la procédure en Angleterre. Cette situation porterait atteinte au principe du procès équitable.

23.

Au vu de ces arguments, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

« 1)

Convient-il d’interpréter l’article 34, point 1, du règlement [no 44/2001] en ce sens que, dans le cadre...

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