Aro Tubi Trafilerie SpA v Ministero dell'Economia e delle Finanze.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:325
Docket NumberC-46/04
Celex Number62004CC0046
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date26 May 2005

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE Kokott

présentées le 26 mai 2005 (1)

Affaire C-46/04

Aro Tubi Trafilerie SpA

contre

Ministero dell’Economia e delle Finanze

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Italie)]

«Impôts indirects – Rassemblement de capitaux – Fusion de sociétés – Absorption d’une société mère par sa filiale (fusion à l’envers)»






I – Introduction

1. La légalité d’un impôt perçu sur une opération de droit des sociétés, que l’on pourrait qualifier de fusion à l’envers entre deux sociétés de capitaux, a été contestée devant la Corte suprema di cassazione (Italie). Une société mère détenant 100 % des actions de sa filiale est absorbée par celle-ci. La Corte suprema di cassazione demande à la Cour de justice, dans le cadre de sa question préjudicielle, si un tel cas relève du champ d’application de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (2). Dans l’affirmative, l’opération ne peut être soumise qu’au droit harmonisé prévu par la directive. Dans l’hypothèse où, en revanche, la directive ne s’applique pas à la fusion à l’envers, les États membres restent libres d’imposer différemment une telle opération.

II – Le cadre juridique

A – La réglementation communautaire

2. L’article 1er de la directive 69/335 prévoit que les États membres perçoivent un droit harmonisé, le «droit d’apport», sur les apports faits à des sociétés de capitaux.

3. L’article 4 de la directive définit ainsi la catégorie des opérations imposables:

«1. Sont soumises au droit d’apport les opérations suivantes:

[...]

c) l’augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature;

d) l’augmentation de l’avoir social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature rémunéré, non par des parts représentatives du capital ou de l’avoir social, mais par des droits de même nature que ceux d’associés, tels que droit de vote, participation aux bénéfices ou au boni de liquidation;

[...]

2. Peuvent continuer à être soumises au droit d’apport les opérations suivantes, dans la mesure où elles étaient taxées au taux de 1 % à la date du 1er juillet 1984:

[...]

b) l’augmentation de l’avoir social d’une société de capitaux au moyen de prestations effectuées par un associé qui n’entraînent pas une augmentation du capital social, mais qui trouvent leur contrepartie dans une modification des droits sociaux ou bien qui sont susceptibles d’augmenter la valeur des parts sociales;

[...]»

4. En vertu de l’article 7 de la directive, les États membres exonèrent les opérations qui n’étaient pas imposées au 1er juillet 1984 en application des règles alors en vigueur, ou les soumettent à un droit de 0,5 % (3). L’exonération s’applique donc à l’apport d’au moins 75 % des parts/actions d’une société de capitaux à une société à créer ou préexistante, cet apport devant être rémunéré essentiellement par l’attribution de parts/actions (de la société mère).

5. Enfin, l’article 10 de la directive 69/335 précise que:

«En dehors du droit d’apport, les États membres ne perçoivent, en ce qui concerne les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs, aucune imposition, sous quelque forme que ce soit:

a) pour les opérations visées à l’article 4;

b) pour les apports, prêts ou prestations, effectués dans le cadre des opérations visées à l’article 4;

c) pour l’immatriculation ou pour toute autre formalité préalable à l’exercice d’une activité, à laquelle une société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs peut être soumise en raison de sa forme juridique.»

B – Le droit italien

6. Selon les indications de la juridiction de renvoi, le texte applicable à l’époque des faits était l’article 4, premier alinéa, sous b), de la première partie du barème annexé au décret nº 131 du président de la République du 26 avril 1986, dans la version antérieure à la modification introduite par l’article 10 du décret législatif du 20 juin 1996 (transformé en loi par la loi nº 425, du 8 août 1996).

7. Ce texte soumettait toutes les fusions de sociétés à un droit égal à 1 % du patrimoine de la société incorporée, c’est-à-dire absorbée. La base de calcul de cette imposition est déterminée, tout comme les modalités juridiques des fusions de sociétés, par les dispositions des articles 2501 et suivants du Codice civile, dont le contenu ne présente toutefois pas d’intérêt particulier pour l’examen de cette affaire.

III – Les faits, les antécédents de la procédure et la question préjudicielle

8. Aro Tubi Trafilerie SpA, la demanderesse au principal (ci-après «Aro Tubi»), est une société par actions de droit italien. Elle était une filiale détenue à 100 % de la société Fratelli Gaggini SpA (ci-après «Fratelli Gaggini»). De son côté, Aro Tubi détenait 100 % du capital de la société Aro Tubi Estrusi e Profilati SpA. Par acte notarié du 19 décembre 1995, Aro Tubi a absorbé à la fois sa société mère, Fratelli Gaggini, et sa filiale, Aro Tubi Estrusi e Profilati SpA. Les actions de la société absorbée, Fratelli Gaggini, ont été annulées; les actionnaires de cette société ont reçu en contrepartie les actions de la société absorbante Aro Tubi qui étaient antérieurement détenues par sa société mère, Fratelli Gaggini. En définitive, les personnes physiques qui ne détenaient à l’origine qu’une participation indirecte dans le capital d’Aro Tubi, par l’intermédiaire de Fratelli Gaggini, se sont vu attribuer, grâce à cette fusion à l’envers, une participation directe dans le capital d’Aro Tubi, la société interposée ayant disparu.

9. À l’occasion de la publication de cette fusion au registre officiel, le paiement d’un droit d’enregistrement égal à 1 % du patrimoine des sociétés absorbées, Aro Tubi Estrusi e Profilati SpA et Fratelli Gaggini, a été exigé d’Aro Tubi.

10. Après s’être acquittée de ce droit, Aro Tubi en a demandé le remboursement au motif que la perception d’un tel droit serait contraire à la directive 69/335. Cette demande ayant d’abord été implicitement rejetée, Aro Tubi a introduit un recours, auquel la Commissione tributaria provinciale di Milano a fait droit. Cette décision a toutefois été infirmée par la suite, par la Commissione tributaria regionale per la Lombardia saisie sur appel de l’administration fiscale italienne.

11. Par ordonnance du 6 novembre 2003, la Corte suprema di cassazione, saisie d’un pourvoi contre cette décision, a pour ainsi dire (4) posé à la Cour de justice la question de savoir si la directive 69/335 interdisait la perception d’un droit d’enregistrement égal à 1 % du patrimoine de la société absorbée, à l’occasion de l’absorption d’une société par une autre dont les actions étaient déjà intégralement détenues par la société absorbée.

12. La demanderesse au principal, la Commission et le gouvernement italien ont présenté des observations devant la Cour.

IV – Les arguments des parties

13. Le gouvernement italien s’appuie essentiellement sur l’arrêt rendu par la Cour de justice dans l’affaire AGAS (5). Il faudrait en déduire que la fusion de deux sociétés ne relève pas du champ d’application de la directive lorsqu’une filiale, dont le capital est entièrement détenu par sa société mère, est absorbée par celle-ci (fusion dite «impropre» ou «fausse fusion»).

14. Le cas qui se présente ici, de la fusion à l’envers, c’est-à-dire de l’absorption de la société mère par la filiale, ne devrait pas être traité différemment de la fausse fusion et échapperait lui aussi au champ d’application de la directive. En outre, d’un point de vue général, l’absorption n’aurait pas eu pour résultat de renforcer le potentiel économique de la société, condition que la Cour a jugée essentielle pour qu’une opération relève de la directive 69/335.

15. Aro tubi soutient, en revanche, que la perception d’un droit d’enregistrement n’est pas compatible en l’espèce avec la directive. Les conclusions de l’arrêt AGAS (6) ne seraient pas transposables au présent cas, parce qu’une fusion à l’envers doit être traitée différemment d’une fausse fusion, en raison des différences tant économiques que juridiques qui les caractérisent.

16. Une fusion à l’envers donnerait lieu à un renforcement du potentiel économique de la filiale, car celle-ci reprend le patrimoine social de la société mère. C’est pourquoi la directive 69/335 serait applicable, et Aro Tubi devrait donc bénéficier de l’exonération prévue à l’article 7 de la directive 69/335.

17. Enfin, la Commission défend une position intermédiaire. Selon elle, une fusion à l’envers ne serait pas assimilable à une...

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