Land Baden-Württemberg v Metin Bozkurt.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:413
Docket NumberC-303/08
Celex Number62008CC0303
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date08 July 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 8 juillet 2010 (1)

Affaire C‑303/08

Metin Bozkurt

contre

Land Baden-Württemberg

[demande de décision préjudicielle introduite par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]

«Accord d’association CEE-Turquie – Article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 – Droit de séjour acquis en qualité de conjoint d’une travailleuse turque – Perte en cas de divorce précédé d’atteintes à l’intégrité physique de l’ex-épouse»





1. La présente demande de décision préjudicielle concerne de nouveau la décision n° 1/80 du conseil d’association CEE-Turquie (ci‑après la «décision n° 1/80») (2). La juridiction nationale s’interroge sur la situation juridique d’un ressortissant turc qui a acquis le droit de résider dans un État membre en sa qualité de conjoint d’une travailleuse turque. Le mariage a ensuite été dissous et le mari a été condamné pour viol et coups et blessures contre son ex-épouse. Peut-il encore revendiquer le bénéfice de droits au titre de l’article 7 de la décision n° 1/80 en dépit de la dissolution du mariage à l’origine de son droit de séjour dans l’État d’accueil? Si tel est le cas, la circonstance qu’il ait pu, en quelque sorte, «abuser» du mariage en violant sa femme et en lui infligeant des coups et blessures le déchoit-il des droits qu’il aurait pu avoir au titre dudit article 7?

Le contexte juridique

L’accord d’association CEE-Turquie

2. L’accord d’association CEE-Turquie (3) (ci-après l’«accord d’association») a été conclu en 1963.

3. L’article 59 du protocole additionnel à l’accord d’association (4) est libellé de la manière suivante:

«Dans les domaines couverts par le présent protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité instituant la Communauté.»

4. Le chapitre II de la décision n° 1/80 est intitulé «Dispositions sociales». La section 1 de ce chapitre est intitulée «Questions relatives à l’emploi et à la libre circulation des travailleurs». Elle regroupe les articles 6 à 16 de cette décision.

5. L’article 6, paragraphes 1 et 2, de la décision nº 1/80 est libellé comme suit:

«1. Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

– a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

– a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

– bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.

2. Les congés annuels et les absences pour cause de maternité, d’accident de travail ou de maladie de courte durée sont assimilés aux périodes d’emploi régulier. Les périodes de chômage involontaire, dûment constatées par les autorités compétentes, et les absences pour cause de maladie de longue durée, sans être assimilées à des périodes d’emploi régulier, ne portent pas atteinte aux droits acquis en vertu de la période d’emploi antérieure.»

6. L’article 7 de la décision n° 1/80 dispose:

«Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

– ont le droit de répondre – sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté – à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

– y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d’accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu’un des parents ait légalement exercé un emploi dans l’État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d’emploi.»

7. L’article 14, paragraphe 1, de la décision nº 1/80 énonce:

«Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.»

La procédure au principal et les questions préjudicielles

8. M. Bozkurt, le requérant au principal, est un ressortissant turc. Il est né en 1959.

9. Il est entré en Allemagne en 1992 et a demandé à bénéficier du droit d’asile. Au mois de septembre 1993, il s’est marié avec une ressortissante turque qui appartenait au marché régulier de l’emploi de cet État membre. Après son mariage, il a retiré sa demande d’asile et a obtenu au mois d’octobre 1993 une autorisation de séjour à durée limitée. Cette autorisation de séjour a été convertie au mois d’octobre 1998 en autorisation de séjour permanente. À cette date, il répondait aux conditions prévues à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.

10. Depuis le mois de juin 2000, il a vécu séparé de son épouse. Le couple a divorcé au mois de novembre 2003.

11. Au cours de son séjour en Allemagne, M. Bozkurt a occupé plusieurs emplois. La juridiction de renvoi déclare toutefois ne pas pouvoir préciser lesquels, car M. Bozkurt, en dépit des exhortations qui lui ont été adressées en ce sens, a refusé de communiquer ces informations. Il semble qu’il ait été en arrêt de maladie pendant 18 mois à partir du début de l’année 2000. Depuis, il est au chômage et perçoit des prestations de subsistance de la part de l’État.

12. M. Bozkurt a été condamné plusieurs fois au pénal. Il a été condamné, au mois de mai 1996, à quatre mois de prison pour coups et blessures aggravés. Au mois de novembre 2000, il a été condamné à huit mois d’emprisonnement pour coups et blessures, tentative de coups et blessures aggravés et atteinte aux biens. Au mois de mai 2004, il a été condamné pour viol de son ex-épouse, accompagné de coups et blessures prémédités. Il semble que le viol ait eu lieu en 2002, alors que le couple était encore marié, bien que séparé. En deuxième instance, la peine a été fixée à deux ans d’emprisonnement. L’accomplissement de la peine a été assorti du sursis et, au mois de janvier 2005, M. Bozkurt est sorti de détention préventive.

13. Par décision du 26 juillet 2005, le Land Baden-Württemberg, qui est le défendeur au principal, a prononcé l’expulsion de M. Bozkurt d’Allemagne. M. Bozkurt a saisi le Verwaltungsgericht (tribunal administratif, Allemagne) d’un recours contre cette décision, qui a été annulée par jugement du 5 juillet 2006. Ce jugement a à son tour fait l’objet d’un appel, interjeté par le Land Baden‑Württemberg auprès du Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur, Allemagne). Par arrêt du 14 mars 2007, celui-ci a rejeté l’appel. Le Verwaltungsgerichtshof a considéré, en substance, que, étant donné que M. Bozkurt pouvait revendiquer un droit de séjour sur la base de l’article 7 de la décision n° 1/80, un arrêté prononçant son expulsion devait être conforme aux procédures applicables aux citoyens de l’Union (5). Ces procédures n’ayant pas été respectées, la décision d’expulsion était illégale. Les circonstances que M. Bozkurt ait été au chômage depuis l’année 2000, qu’il soit peut-être exclu définitivement du marché du travail pour cause de maladie et qu’il ait été incarcéré pendant quelque neuf mois ne lui ont pas non plus, d’après le Verwaltungsgerichtshof, fait perdre le statut que lui confère l’article 7 de la décision n° 1/80. Celui-ci a considéré que, au contraire, la jurisprudence de la Cour devait être interprétée en ce sens que le droit de séjour perdurait indépendamment de la persistance des conditions ayant permis son acquisition. Par conséquent, M. Bozkurt pouvait encore prétendre au bénéfice des droits conférés par cet article.

14. Le Land Baden-Württemberg a saisi le Bundesverwaltungsgericht (Cour fédérale administrative, Allemagne) d’un recours en «Revision» contre la décision du juge d’appel. Ce recours a soulevé des questions quant à l’applicabilité des droits découlant, entre autres, de l’article 7 de la décision n° 1/80 à une personne telle que M. Bozkurt.

15. Le Bundesverwaltungsgericht, estimant que la résolution du litige porté devant lui exigeait une interprétation de cette disposition, a décidé de surseoir à statuer et a invité la Cour à se prononcer à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1) Le droit de travail et de séjour acquis, en qualité de membre de la famille, par le conjoint d’un travailleur turc faisant partie du marché régulier de l’emploi d’un État membre, en vertu de l’article 7, premier alinéa, deuxième tiret, de la décision n° 1/80 du conseil d’association CEE-Turquie, subsiste-t-il même après la dissolution du mariage?

En cas de réponse affirmative à la première question:

2) Faut-il voir un abus de droit dans le fait, pour un ressortissant turc, de revendiquer un droit de séjour fondé sur l’article 7, premier alinéa, deuxième tiret, de la décision n° 1/80 du conseil d’association CEE‑Turquie alors que ledit ressortissant turc, après avoir acquis ce statut au travers de son ex-épouse, a violé et blessé celle-ci et a été condamné pour ces faits à une peine de prison de deux ans?»

16. Des observations écrites ont été présentées par M. Bozkurt, par les gouvernements allemand, danois et italien, par le Land Baden‑Württemberg ainsi que par la Commission européenne. Aucune audience n’a été demandée ni tenue.

Analyse

Observation liminaire

17. Bien que les questions préjudicielles portent sur l’article 7 de la décision n°...

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