Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 3 April 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:285
Date03 April 2019
Celex Number62017CC0722
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
62017CC0722

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 3 avril 2019 ( 1 )

Affaire C‑722/17

Norbert Reitbauer,

Dolinschek GmbH,

B.T.S. Trendfloor Raumausstattungs-GmbH,

Elektrounternehmen K. Maschke GmbH,

Klaus Egger,

Architekt DI Klaus Egger Ziviltechniker GmbH

contre

Enrico Casamassima

[demande de décision préjudicielle formée par le Bezirksgericht Villach (tribunal de district de Villach, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Compétences spéciales – Article 24, points 1 et 5 – Distribution du produit de l’adjudication judiciaire – Action en contestation de l’état de répartition – Article 7, point 1, sous a) – Notion de “matière contractuelle” – Action paulienne »

1.

La présente demande de décision préjudicielle formulée par le Bezirksgericht Villach (tribunal de district de Villach, Autriche) porte sur l’interprétation des articles 7 et 24 du règlement (UE) no 1215/2012 ( 2 ) dans le cadre d’une « action en contestation de l’état de répartition » autrichienne qui, comme nous le verrons, correspond au fond à une action paulienne (notamment aux fins de l’article 7 de ce même règlement).

2.

Vers les années 150 à 125 avant Jésus-Christ, un prêteur du nom de Paulus a apparemment autorisé pour la première fois une action permettant au créancier de contester tout acte effectué frauduleusement par le débiteur au détriment dudit créancier, action par la suite connue sous le nom d’action paulienne ( 3 ). L’article 1167, première partie, du code Napoléon français prévoit la première règle codifiée relative à l’action paulienne et énonce que les créanciers « peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits» ( 4 ).

3.

La présente demande de décision préjudicielle a été introduite dans le cadre de l’« action en contestation de l’état de répartition » prévue à l’article 232 de l’Exekutionsordnung (code autrichien des procédures d’exécution, ci‑après l’« EO ») à l’occasion d’un litige relatif à la distribution du produit de l’adjudication judiciaire d’une maison. Le litige oppose les entreprises Norbert Reitbauer, Dolinschek GmbH, B.T.S. Trendfloor Raumausstattungs-GmbH, Elektrounternehmen K. Maschke GmbH, Klaus Egger et Architekt DI Klaus Egger Ziviltechniker GmbH (ci-après les « requérantes ») à M. Enrico Casamassima (avocat, ci-après le « défendeur »). Les requérantes soutiennent que leur créance sur le produit de la vente prime sur celle du défendeur et que la juridiction autrichienne est compétente en vertu du règlement Bruxelles I bis.

4.

Bien que les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi portent sur l’article 24, points 1 et 5, du règlement Bruxelles I bis, j’en arrive à la conclusion que c’est l’article 7 de ce règlement qui peut fournir une meilleure base juridique à la compétence de la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le règlement Bruxelles I bis

5.

Le chapitre II du règlement Bruxelles I bis, intitulé « Compétence », contient notamment la section 1 « Dispositions générales » et la section 2 « Compétences spéciales ». L’article 4, paragraphe 1, qui figure à la section 1, prévoit que, « [s]ous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».

6.

Aux termes de l’article 7, point 1, sous a), qui figure à la section 2 du même règlement, « [u]ne personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre […] en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ».

7.

L’article 24, points 1 et 5, dispose :

« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :

1)

en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.

[…]

5)

en matière d’exécution des décisions, les juridictions de l’État membre du lieu de l’exécution. »

B. Le droit autrichien

8.

Concernant la nature de l’action en contestation de l’état de répartition prévue à l’article 232 de l’EO, il doit être débattu oralement de la distribution du produit de la vente forcée d’un bien ; à cet effet, les créanciers sont invités à déclarer leurs créances sur le produit à distribuer et à les établir par des preuves documentaires. L’exactitude et l’ordre de priorité des créances sont vérifiés lors de l’audience. Les créanciers et le débiteur peuvent contester la prise en compte de certaines créances. La contestation peut porter sur l’exactitude et, le cas échéant, sur la date d’échéance de la créance globale ou de l’un de ses éléments, sur son montant, sur la garantie offerte par le bien et la collocation figurant au registre, ainsi que, en particulier, sur la validité de la sûreté acquise.

9.

Pour ce qui nous intéresse ici, l’Anfechtungsordnung (loi autrichienne relative à l’action paulienne) prévoit que l’action paulienne est ouverte lorsqu’une exécution sur le patrimoine du débiteur n’a pas permis de désintéresser intégralement le créancier ou ne le permettrait pas et si elle est susceptible de se traduire par un tel désintéressement. L’action paulienne peut être exercée en cas d’intention de fraude ou de dilapidation du patrimoine, ainsi que d’actes de disposition à titre gracieux. Si l’acte juridique a été accompli par le débiteur dans une intention, connue de l’autre partie, d’agir en fraude des droits de ses créanciers, le délai d’introduction de l’action est de dix ans, tandis qu’il est de deux ans dans les autres cas. Le fait que l’acte litigieux a été accompli en vertu d’un titre exécutoire ou de l’exécution [d’un jugement] ne fait pas obstacle à l’action paulienne.

II. Le litige au principal et les questions préjudicielles

10.

Dans la présente affaire, la Cour est saisie de la question de savoir si une action que l’EO qualifie d’« action en contestation de l’état de répartition » relève du champ d’application de l’article 24, point 5, du règlement Bruxelles I bis, lorsque cette action concerne un désaccord que suscite entre créanciers concurrents la distribution du produit de la vente d’une maison par adjudication judiciaire.

11.

Plus précisément, la question de la juridiction de renvoi s’inscrit dans le cadre d’une « action en contestation de l’état de répartition » visant à faire valoir l’inopposabilité d’une créance d’un créancier A (M. Casamassima, défendeur), qui résulte d’un emprunt assorti d’une sûreté réelle et qui est en concurrence avec une autre créance d’un créancier B (Reitbauer et autres, requérantes), au motif qu’elle favorise (indûment) le créancier A. Cette objection est analogue à celle sur laquelle repose ce que le droit autrichien appelle action paulienne (Anfechtungsklage).

12.

Si la première question devait recevoir une réponse négative, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la même action en contestation de l’état de répartition relève de l’article 24, point 1, du règlement Bruxelles I bis.

13.

Compte tenu des éléments exposés dans la décision de renvoi, les faits peuvent être résumés de la manière suivante.

14.

Le défendeur et Mme Isabel C. (ci-après la « débitrice ») sont domiciliés à Rome (Italie) et ils ont été concubins au moins jusqu’au printemps 2014. En 2010, ils ont acheté une maison à Villach (Autriche) ; seule la débitrice a été inscrite à titre de propriétaire de ce bien dans le registre foncier. La décision de renvoi indique, sans plus de précisions, que des contrats portant sur des travaux de rénovation importants ont été conclus entre la débitrice et les requérantes, avec la « participation » du défendeur.

15.

Le coût des travaux de rénovation ayant largement dépassé le budget initial, les paiements en faveur des requérantes ont cessé. De ce fait, les requérantes ont intenté une action contre la débitrice en 2013 en Autriche ; un premier jugement leur a donné gain de cause au début de l’année 2014 et d’autres ont suivi. La débitrice a interjeté appel de ces jugements.

16.

Le 7 mai 2014, la débitrice a admis, devant un tribunal de Rome, avoir envers le défendeur une dette de 349772,95 euros ( 5 ) qui était relative à un emprunt ; elle s’est engagée, dans le cadre d’une transaction judiciaire, à payer ce montant à celui-ci dans un délai de cinq ans. En outre, la débitrice s’est engagée à faire inscrire une hypothèque sur la maison située à Villach (Autriche) pour garantir la créance du défendeur.

17.

Le 13 juin 2014, un (nouvel) acte de reconnaissance de dette a été établi à Vienne devant un notaire autrichien en vertu du droit autrichien afin de garantir l’emprunt précité (sûreté no 1). Par cet acte, la sûreté réelle sur la maison située à Villach a été constituée le 18 juin 2014.

18.

Les jugements rendus en faveur des requérantes ne sont devenus exécutoires qu’à compter de cette date. Les sûretés des requérantes sur la maison de la débitrice qui découlent de l’exécution [de ces jugements] (sûreté no 2) sont donc d’un rang inférieur à la sûreté conventionnelle no 1 du défendeur.

19.

La transaction judiciaire du 7 mai 2014 a été certifiée en tant que titre exécutoire européen par le tribunal de Rome le 3 septembre 2015 ( 6 ).

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