Opinion of Advocate General Wathelet delivered on 31 May 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:363
Date31 May 2018
Celex Number62017CC0068
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-68/17
62017CC0068

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 31 mai 2018 ( 1 )

Affaire C‑68/17

IR

contre

JQ

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Activités professionnelles d’églises – Exigences professionnelles – Devoir de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’église – Différence de traitement en fonction de la confession – Licenciement d’un travailleur catholique, exerçant un pouvoir de direction, en raison d’un deuxième mariage après son divorce »

I. Introduction

1.

Dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) interroge la Cour sur la légalité du licenciement du chef du service de médecine interne d’un hôpital catholique, soumis au contrôle de l’archevêque catholique de Cologne, au seul motif qu’il a divorcé et qu’il s’est remarié civilement, alors que ce licenciement n’aurait pas eu lieu, s’il n’avait pas été catholique.

2.

Il s’agirait d’un licenciement manifestement illégal, en tant que discrimination directe fondée sur la religion, si les églises et les organisations, dont l’éthique est fondée sur la religion, ne bénéficiaient pas d’un régime juridique privilégié tant en vertu du droit constitutionnel allemand qu’en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 2 ).

3.

La question qui se pose dans la présente affaire est de savoir si le respect de la conception du mariage selon la doctrine et le droit canonique de l’Église catholique constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78, qui peut entraîner une différence de traitement, en termes de licenciement, entre les employés catholiques et les employés d’une autre confession ou sans confession.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4.

L’article 17, paragraphe 1, TFUE dispose :

« L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. »

5.

Les considérants 4, 23, 24 et 29 de la directive 2000/78 prévoient :

« (4)

Le droit de toute personne à l’égalité devant la loi et la protection contre la discrimination constitue un droit universel […].

[…]

(23)

Dans des circonstances très limitées, une différence de traitement peut être justifiée lorsqu’une caractéristique liée à la religion […] constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. […]

(24)

L’Union européenne a reconnu explicitement dans sa déclaration no 11 relative au statut des Églises et des organisations non confessionnelles, annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam, qu’elle respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres et qu’elle respecte également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles. Dans cette perspective, les États membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées susceptibles d’être requises pour y exercer une activité professionnelle.

[…]

(29)

Les personnes qui ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle doivent disposer de moyens de protection juridique adéquats. Pour assurer un niveau de protection plus efficace, les associations ou les personnes morales doivent aussi être habilitées à engager une procédure, selon des modalités fixées par les États membres, pour le compte ou à l’appui d’une victime, sans préjudice des règles de procédure nationales relatives à la représentation et à la défense devant les juridictions. »

6.

L’article 1er de la directive 2000/78, intitulé « Objet » dispose :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l[e] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

7.

L’article 2 de la directive 2000/78, intitulé « Concept de discrimination », prévoit à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

[…] »

8.

L’article 4 de la directive 2000/78, intitulé « Exigences professionnelles », dispose :

« 1. Nonobstant l’article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.

2. Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur à la date d’adoption de la présente directive ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive[,] des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. Cette différence de traitement doit s’exercer dans le respect des dispositions et principes constitutionnels des États membres, ainsi que des principes généraux du droit [de l’Union], et ne saurait justifier une discrimination fondée sur un autre motif.

Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitutionnelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation. »

B. Le droit allemand

1. Le droit constitutionnel

9.

L’article 140 du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne), du 23 mai 1949 (BGBl. 1949 I, p. 1, ci-après la « loi fondamentale ») prévoit que « [l]es dispositions des articles 136, 137, 138, 139 et 141 de la constitution allemande du 11 août 1919 font partie intégrante de la présente loi fondamentale ».

10.

L’article 137 de la Verfassung des Deutschen Reichs (Constitution de l’Empire allemand), adoptée le 11 août 1919 à Weimar (Reichsgesetzblatt 1919, p. 1383, ci-après la « Constitution de Weimar ») et entrée en vigueur le 14 août 1919, est libellé comme suit :

« Il n’existe pas d’église d’État.

La liberté de former des sociétés religieuses est garantie. Elles peuvent se fédérer sans aucune restriction à l’intérieur du territoire du Reich.

Chaque société religieuse règle et administre ses affaires de façon autonome, dans les limites de la loi applicable à tous.

[…]

Les sociétés religieuses qui sont des collectivités de droit public ont le droit de lever des impôts, sur la base des rôles civils d’impôts, dans les conditions fixées par le droit du Land.

Sont assimilées aux sociétés religieuses les associations qui ont pour but de servir en commun une croyance philosophique.

[…] »

2. La loi relative à la protection en matière de licenciement

11.

L’article 1er du Kündigungsschutzgesetz (loi relative à la protection en matière de licenciement), du 25 août 1969 (BGBl. 1969 I, p. 1317, ci-après le « KSchG ») prévoit que le licenciement d’un travailleur salarié est inopérant lorsqu’il est « socialement injustifié », c’est-à-dire « lorsqu’il n’est pas dû à des motifs liés à la personne ou au comportement du travailleur salarié ou à des contraintes pressantes qui pèsent sur l’entreprise et qui s’opposent au maintien de l’emploi du travailleur salarié dans cette entreprise ».

3. La loi générale sur l’égalité de traitement

12.

La directive 2000/78 a été transposée en droit allemand par l’Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz (loi générale sur l’égalité de traitement), du 14 août 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1897, ci-après l’ « AGG »).

13.

L’article 1er de l’AGG, intitulé « Objectif de la loi », dispose :

« La présente loi a pour...

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