Opinion of Advocate General Sharpston delivered on 19 December 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:1028
Date19 December 2018
Celex Number62017CC0431
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-431/17
62017CC0431

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 19 décembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑431/17

Monachos Eirinaios, kata kosmon Antonios Giakoumakis tou Emmanouil

contre

Dikigorikos Syllogos Athinon

[demande de décision préjudicielle formée par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce)]

« Renvoi préjudiciel ‑ Directive 98/5/CE ‑ Article 3 ‑ Article 6 ‑ Inscription d’un moine en tant qu’avocat dans un État membre autre que celui dans lequel il a obtenu sa qualification professionnelle ‑ Règles nationales s’opposant à l’inscription »

1.

Un homme peut-il servir deux maîtres ? Lorsque l’un de ces maîtres est Dieu, le chrétien peut trouver dans les évangiles une première directive : « Nul ne peut servir deux maîtres : car, ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre : vous ne pouvez servir Dieu et Mammon» ( 2 ). (L’échange juridique limpide entre Jésus de Nazareth et un jeune juriste, qui a été conservé dans la parabole du Bon Samaritain, démontre cependant clairement qu’il est parfaitement possible de servir Dieu tout en étant un homme de loi ( 3 )). Il n’en demeure pas moins que lorsqu’un moine est désireux de s’inscrire en tant qu’avocat au barreau d’un État membre autre que celui dans lequel il a acquis son titre professionnel et servir à la fois la justice et Dieu, il convient également d’examiner la directive 98/5/CE ( 4 ).

2.

Par la présente demande de décision préjudicielle, le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce, ci-après la « juridiction de renvoi ») demande si le refus, par les autorités compétentes, d’inscrire Monachos Eirinaios ( 5 ), un moine qui vit dans un monastère en Grèce, en tant qu’avocat pratiquant sous son titre d’origine, au motif que les moines ne peuvent tout simplement pas, en droit national, être inscrits aux tableaux des barreaux, est compatible avec la directive 98/5. Cela soulève la question de savoir comment concilier les dispositions de la directive 98/5 concernant l’inscription des avocats exerçant sous leur titre d’origine, qui introduisent des obligations contraignantes, avec celles concernant les règles professionnelles et déontologiques applicables à de tels avocats, qui laissent aux États membres un large pouvoir d’appréciation. L’interprétation de la Cour devra garantir que la directive sera interprétée de manière cohérente et uniforme.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 98/5

3.

Le considérant 1 de la directive 98/5 souligne l’importance de la faculté, pour les ressortissants des États membres, d’exercer une profession, à titre indépendant ou salarié, dans un État membre autre que celui où ils ont acquis leurs qualifications professionnelles. Les considérants 2 et 3 expliquent que la directive offre un moyen autre que celui prévu dans la directive 89/48/CEE pour obtenir l’accès à la profession d’avocat dans un État membre d’accueil ( 6 ).

4.

Aux termes du considérant 5, une action « se justifie au niveau communautaire non seulement parce que, par rapport au système général de reconnaissance, elle offre aux avocats une voie plus aisée leur permettant d’intégrer la profession dans un État membre d’accueil, mais aussi parce qu’elle répond, en donnant la possibilité à des avocats d’exercer à titre permanent dans un État membre d’accueil sous leur titre professionnel d’origine, aux besoins des usagers du droit, lesquels, en raison des flux d’affaires croissant résultant notamment du marché intérieur, recherchent des conseils lors de transactions transfrontalières dans lesquelles sont souvent imbriqués le droit international, le droit communautaire et les droits nationaux ».

5.

Le considérant 6 explique qu’une action se justifie également « en raison du fait que seuls quelques États membres permettent déjà, sur leur territoire, l’exercice d’activités d’avocat, autrement que sous forme de prestations de services, par des avocats venant d’autres États membres et exerçant sous leur titre professionnel d’origine ; [...] toutefois, dans les États membres où cette possibilité existe, elle revêt des modalités très différentes, en ce qui concerne, par exemple, le champ d’activité et l’obligation d’inscription auprès des autorités compétentes ; [...] une telle diversité de situations se traduit par des inégalités et des distorsions de concurrence entre les avocats des États membres et constitue un obstacle à la libre circulation ; [...] seule une directive fixant les conditions d’exercice de la profession, autrement que sous forme de prestations de services, par des avocats exerçant sous leur titre professionnel d’origine est à même de résoudre ces problèmes et d’offrir dans tous les États membres les mêmes possibilités aux avocats et aux usagers du droit ».

6.

Le considérant 7 indique que la directive s’abstient de réglementer des situations purement internes et ne touche aux règles professionnelles nationales que dans la mesure nécessaire pour permettre d’atteindre effectivement son but. Elle ne porte notamment pas atteinte aux réglementations nationales régissant l’accès à la profession d’avocat et son exercice sous le titre professionnel de l’État membre d’accueil.

7.

Le considérant 8 explique qu’« il convient de soumettre les avocats visés par la présente directive à l’obligation de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’accueil afin que celle-ci puisse s’assurer qu’ils respectent les règles professionnelles et déontologiques de l’État membre d’accueil ; [...] l’effet de cette inscription quant aux circonscriptions judiciaires, aux degrés et aux types de juridictions devant lesquelles des avocats peuvent agir, est déterminé par la législation applicable aux avocats de l’État membre d’accueil ».

8.

Le considérant 9 indique que « les avocats qui ne se sont pas intégrés dans la profession de l’État membre d’accueil sont tenus d’exercer dans cet État sous le titre professionnel d’origine et ce, afin de garantir la bonne information des consommateurs et de permettre la distinction entre eux et les avocats de l’État membre d’accueil qui exercent sous le titre professionnel de celui-ci ».

9.

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive définit l’objet de celle‑ci comme étant de faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui dans lequel a été acquise la qualification professionnelle. L’article 1er, paragraphe 2, définit un « avocat » comme toute personne, ressortissant d’un État membre, habilitée à exercer ses activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés ci-après : [...] « en Grèce : Δικηγόρος [Dikigoros] [...] à Chypre : Δικηγόρος [Dikigoros] ».

10.

L’article 2 établit le droit de tout avocat d’exercer à titre permanent, dans tout autre État membre, sous son titre professionnel d’origine, les activités professionnelles qui sont détaillées à l’article 5.

11.

Aux termes de l’article 3 :

« 1. L’avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle est tenu de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de cet État membre.

2. L’autorité compétente de l’État membre d’accueil procède à l’inscription de l’avocat au vu de l’attestation de son inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine. Elle peut exiger que cette attestation, délivrée par l’autorité compétente de l’État membre d’origine n’ait pas, lors de sa production, plus de trois mois de date. Elle informe l’autorité compétente de l’État membre d’origine de cette inscription.

[...] ».

12.

L’article 4 prévoit que l’avocat exerçant dans l’État membre d’accueil sous son titre professionnel d’origine « est tenu de le faire sous ce titre, qui doit être indiqué dans la ou l’une des langues officielles de l’État membre d’origine, mais de manière intelligible et susceptible d’éviter toute confusion avec le titre professionnel de l’État membre d’accueil ».

13.

L’article 5, paragraphe 1, définit le domaine d’activité d’un avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine comme couvrant « les mêmes activités professionnelles que l’avocat exerçant sous le titre professionnel approprié de l’État membre d’accueil ». Il peut notamment « donner des consultations juridiques dans le droit de son État membre d’origine, en droit communautaire, en droit international et dans le droit de l’État membre d’accueil. Il respecte, en tout cas, les règles de procédure applicables devant les juridictions nationales ».

14.

L’article 6, paragraphe 1, prévoit que « [i]ndépendamment des règles professionnelles et déontologiques auxquelles il est soumis dans son État membre d’origine, l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine est soumis aux mêmes règles professionnelles et déontologiques que les avocats exerçant sous le titre professionnel approprié de l’État membre d’accueil pour toutes les activités qu’il exerce sur le territoire de celui-ci ». Aux termes de l’article 6, paragraphe 3, l’État membre d’accueil « peut imposer à l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine, soit de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle, soit de s’affilier à un fonds de garantie professionnelle, selon les règles qu’il fixe pour les activités professionnelles exercées sur son territoire ».

15.

L’article 7 de la directive concerne les procédures disciplinaires qui s’appliquent en cas de manquement de l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine aux obligations en vigueur dans l’État membre d’accueil. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, « les règles de procédure, les sanctions et les recours prévus dans...

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