Novo Nordisk Pharma GmbH v S.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:1825
Date11 June 2014
Celex Number62013CC0310
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC‑310/13
62013CC0310

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 11 juin 2014 ( 1 )

Affaire C‑310/13

Novo Nordisk Pharma GmbH

contre

S

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Protection des consommateurs — Responsabilité du fait des produits défectueux — Champ d’application de la directive 85/374/CEE — Exclusion des régimes spéciaux de responsabilité existant au moment de la notification de la directive — Admissibilité d’un régime national de responsabilité permettant inter alia l’obtention de renseignements sur les effets secondaires des produits pharmaceutiques»

Introduction

1.

La présente affaire est l’occasion pour la Cour de compléter l’interprétation de l’article 13 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ( 2 ). Pour la première fois, cette interprétation portera sur un régime de responsabilité dont il n’est pas contesté qu’il s’agit d’«un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la directive», au sens de la disposition précitée. Le Bundesgerichtshof, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en République fédérale d’Allemagne, pose une question sur la réparation d’un dommage causé par le caractère défectueux d’un médicament.

2.

Pour répondre utilement au juge de renvoi, aux fins de la résolution du litige dont il est saisi, il sera toutefois nécessaire de pousser l’analyse au-delà de l’interprétation de l’article 13 de la directive 85/374 et de s’intéresser à la nature de l’harmonisation résultant des dispositions de cette directive ainsi qu’à son champ d’application.

Cadre juridique

Droit de l’Union

3.

Conformément aux premier et deuxième considérants de la directive 85/374:

«considérant qu’un rapprochement des législations des États membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par le caractère défectueux de ses produits est nécessaire du fait que leur disparité est susceptible de fausser la concurrence, d’affecter la libre circulation des marchandises au sein du marché commun et d’entraîner des différences dans le niveau de protection du consommateur contre les dommages causés à sa santé et à ses biens par un produit défectueux;

considérant que seule la responsabilité sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème, propre à notre époque de technicité croissante, d’une attribution juste des risques inhérents à la production technique moderne».

4.

Le treizième considérant de cette directive énonce in fine ce qui suit:

«[…] dans la mesure où une protection efficace des consommateurs dans le secteur des produits pharmaceutiques est déjà également assurée dans un État membre par un régime spécial de responsabilité, des actions basées sur ce régime doivent rester également possibles».

5.

Le dix-huitième considérant de ladite directive précise ce qui suit:

«considérant que l’harmonisation résultant de la présente directive ne peut, au stade actuel, être totale, mais ouvre la voie vers une harmonisation plus poussée […]».

6.

Les articles 1er, 4 et 13 de la directive 85/374 disposent ce qui suit:

«Article premier

Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit.

[…]

Article 4

La victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

[…]

Article 13

La présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive».

Droit allemand

7.

La directive 85/374 a été transposée en droit allemand par les dispositions de la loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux (Produkhaftungsgesetz) du 15 décembre 1989 ( 3 ) (ci-après la «ProdHaftG»). Cependant, l’article 15, paragraphe 1, de la ProdHaftG exclut du champ d’application de ladite loi la responsabilité au titre des produits pharmaceutiques, en disposant ce qui suit:

«Si, suite à l’administration d’un produit pharmaceutique à usage humain, une personne décède ou subit un dommage corporel ou une atteinte à la santé, les dispositions de la [ProdHaftG] ne s’appliquent pas, dès lors que le produit en cause a été délivré au consommateur sous l’empire de la loi sur les produits pharmaceutiques [Arzneimittelgesetz] et est soumis à agrément ou bien a été exempté d’agrément par voie réglementaire».

8.

La responsabilité au titre des médicaments à usage humain défectueux est en effet régie par un autre texte, à savoir la loi sur les produits pharmaceutiques (Arzneimittelgesetz) du 24 août 1976 ( 4 ) (ci-après l’«AMG»). Conformément à l’article 84 de l’AMG, dans la version pertinente pour la procédure au principal:

«1. Si, suite à l’administration d’un produit pharmaceutique à usage humain, une personne décède ou subit un dommage corporel ou une atteinte à la santé non négligeables, l’entrepreneur pharmaceutique qui a mis le produit sur le marché en vertu de la présente loi est tenu de réparer le préjudice subi par la personne lésée, dès lors que le produit en cause a été délivré au consommateur sous l’empire de la présente loi et est soumis à agrément ou bien a été exempté d’agrément par voie réglementaire. L’obligation de réparation s’applique uniquement si

1)

le produit pharmaceutique entraîne, en cas d’utilisation conforme, des effets néfastes qui excèdent le niveau jugé acceptable au regard des connaissances scientifiques médicales ou

2)

le dommage est survenu en raison d’un étiquetage, d’un résumé des caractéristiques ou d’une notice qui ne correspondent pas aux connaissances scientifiques médicales.

2. Si, compte tenu des circonstances de l’espèce, le produit pharmaceutique administré est de nature à causer le dommage, il convient de présumer que le dommage a été causé par le produit. Dans chaque cas, l’aptitude du produit à causer le dommage se détermine en fonction de la composition et du dosage du produit administré, de la nature et de la durée d’utilisation conforme du produit, de la connexité temporelle entre le produit et le dommage, du caractère du dommage et de l’état de santé de la personne lésée au moment de l’administration du produit et de toutes les autres circonstances qui, dans le cas concret, plaident en faveur ou à l’encontre de la réalisation du dommage. Cette présomption ne s’applique pas lorsqu’il ressort des circonstances de l’espèce qu’un autre élément est de nature à provoquer le dommage. L’utilisation d’autres produits pharmaceutiques qui, compte tenu des circonstances de l’espèce, sont de nature à causer le dommage ne constitue pas un tel élément, à moins que, par l’effet de l’utilisation de ces produits, aucun droit ne puisse être invoqué au titre de cette disposition pour des raisons autres que le défaut de lien de causalité avec le préjudice subi.

3. L’entrepreneur pharmaceutique n’est pas tenu à réparation au sens du point 1 de la deuxième phrase du paragraphe 1 ci-dessus lorsqu’il ressort des circonstances que les effets néfastes du produit pharmaceutique ne trouvent pas leur origine dans le développement et la fabrication du produit.»

9.

L’article 84a de l’AMG dispose ce qui suit:

«1. Si des éléments laissent à penser qu’un produit pharmaceutique a causé le dommage, la personne lésée peut réclamer des renseignements à l’entrepreneur pharmaceutique, à moins que de tels renseignements ne soient pas nécessaires pour déterminer si des dommages-intérêts peuvent être réclamés au titre de l’article 84. La demande de renseignements porte sur les effets, effets indésirables et interactions dont l’entrepreneur pharmaceutique a connaissance, sur les cas suspects d’effets indésirables et d’interactions portés à la connaissance de l’entrepreneur ainsi que sur tout autre élément qui peut revêtir de l’importance pour apprécier l’acceptabilité des effets néfastes. Les articles 259 à 261 du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch) s’appliquent par analogie. La personne lésée ne peut pas faire valoir son droit à renseignement lorsque les informations doivent être maintenues confidentielles en vertu de dispositions légales ou lorsque leur confidentialité répond à un intérêt prépondérant de l’entrepreneur pharmaceutique ou d’un tiers.

2. Dans les conditions prévues au paragraphe 1 ci-dessus, la personne lésée peut également réclamer des renseignements aux autorités chargées de l’agrément et de la surveillance des produits pharmaceutiques. Les autorités ne sont pas tenues de délivrer les renseignements lorsque les informations doivent être maintenues confidentielles en vertu de dispositions légales ou lorsque leur confidentialité répond à un intérêt prépondérant de l’entrepreneur pharmaceutique ou d’un tiers».

10.

La présomption de lien de causalité instaurée à l’article 84, paragraphe 2, de l’AMG ainsi que le droit à renseignement visé à l’article 84a de l’AMG ont été introduits en application de la loi portant modification de la législation en matière de réparation des dommages (zweites Schadensersatzrechtsänderungsgesetz) du 19 juillet 2002 ( 5 ), entrée en vigueur le 1er août 2002.

Faits, procédure et question préjudicielle

11.

S, demeurant en Allemagne, a subi un dommage corporel après avoir utilisé, entre les années 2004 et 2006, un médicament commercialisé sous la dénomination «Levemir» par Novo Nordisk Pharma GmbH (ci-après la «société Novo Nordisk»).

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