Comité d'entreprise de Nortel Networks SA and Others v Cosme Rogeau liquidator of Nortel Networks SA and Cosme Rogeau liquidator of Nortel Networks SA v Alan Robert Bloom and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:44
Docket NumberC-649/13
Celex Number62013CC0649
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date29 January 2015
62013CC0649

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 29 janvier 2015 ( 1 )

Affaire C‑649/13

Comité d’entreprise de Nortel Networks SA e.a.

contre

Me Rogeau, liquidateur de Nortel Networks SA,

et

Me Rogeau, liquidateur de Nortel Networks SA,

contre

Alan Robert Bloom,

Alan Michael Hudson,

Stephen John Harris,

Christopher John Wilkinson Hill

[demande de décision préjudicielle

formée par le tribunal de commerce de Versailles (France)]

«Coopération judiciaire en matière civile — Procédures d’insolvabilité — Règlement (CE) no 1346/2000 — Procédure secondaire d’insolvabilité — Compétence pour déterminer le périmètre des effets d’une procédure secondaire d’insolvabilité — Compétence exclusive ou alternative — Détermination de la loi applicable — Produit de la cession des biens du débiteur conservé dans un compte séquestre dans un pays tiers»

1.

La demande de décision préjudicielle qui fait l’objet de la présente affaire porte sur les articles 2, sous g), 3 et 27 du règlement (CE) no 1346/2000 ( 2 ) (ci-après le «règlement») et pose une question délicate concernant la répartition de compétence juridictionnelle entre les juridictions de l’État d’ouverture de la procédure principale d’insolvabilité au titre de l’article 3, paragraphe 1, du règlement et les juridictions de l’État d’ouverture d’une procédure secondaire au titre du paragraphe 2 de ce même article ainsi que sur la répartition des actifs du débiteur insolvable entre ces deux procédures.

2.

Le litige au principal s’insère dans le volet européen de la faillite du groupe canadien Nortel, actif au niveau mondial dans le secteur des télécommunications jusqu’en 2008, qui a donné lieu à l’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité au Royaume-Uni, à l’égard de l’ensemble des filiales européennes du groupe, et d’une procédure secondaire en France, devant la juridiction de renvoi, à l’égard de la filiale française.

I – Le cadre juridique

3.

Le règlement établit un cadre européen pour les procédures d’insolvabilité transfrontalières. Conformément à son article 2, sous g):

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

[…]

g)

‘État membre dans lequel se trouve un bien’:

pour les biens corporels, l’État membre sur le territoire duquel le bien est situé,

pour les biens et les droits que le propriétaire ou le titulaire doit faire inscrire dans un registre public, l’État membre sous l’autorité duquel ce registre est tenu,

pour les créances, l’État membre sur le territoire duquel se trouve le centre des intérêts principaux du tiers débiteur, tel qu’il est déterminé à l’article C, paragraphe 1».

4.

L’article 3 du règlement, intitulé «Compétence internationale», dispose, aux paragraphes 1 et 2, ce qui suit:

«1. Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.»

5.

Sous le chapitre III, intitulé «Procédures secondaires d’insolvabilité», l’article 27 du règlement prévoit:

«La procédure visée à l’article 3, paragraphe 1, qui est ouverte par une juridiction d’un État membre et reconnue dans un autre État membre (procédure principale) permet d’ouvrir, dans cet autre État membre, dont une juridiction serait compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 2, une procédure secondaire d’insolvabilité sans que l’insolvabilité du débiteur soit examinée dans cet autre État. Cette procédure doit être une des procédures mentionnées à l’annexe B. Ses effets sont limités aux biens du débiteur situés sur le territoire de cet autre État membre.»

II – Les faits à l’origine du litige au principal, la procédure au principal et la question préjudicielle

6.

Les faits à l’origine du litige au principal, tels qu’ils ressortent de la décision de renvoi et du dossier, peuvent être résumés comme suit.

7.

Le groupe Nortel, dont la société mère, Nortel Networks Corporation, est canadienne, était l’un des premiers fournisseurs au monde de solutions destinées aux réseaux de télécommunication. Nortel Networks Limited (ci-après «NNL»), société canadienne filiale directe de Nortel Networks Corporation, détenait la plupart des filiales du groupe Nortel dans le monde, dont Nortel Networks SA (ci‑après «NNSA»), société de droit français.

8.

Le groupe Nortel avait une importante activité de recherche et développement (R & D), qu’elle exerçait par l’intermédiaire de filiales spécialisées (ci-après les «centres R & D»). NNSA était l’une de ces filiales. La quasi-totalité de la propriété intellectuelle issue de l’activité de R & D du groupe était enregistrée (principalement en Amérique du Nord) au nom de NNL en qualité de «legal owner». Cette dernière octroyait aux centres R & D des licences exclusives gratuites pour l’exploitation de la propriété intellectuelle du groupe. Les centres R & D conservaient également la propriété économique («beneficial ownership») sur cette propriété intellectuelle, à hauteur de leur contribution respective à l’activité de R & D. Une convention intragroupe, dénommée «Master R & D Agreement» (ci-après le «MRDA»), organisait les rapports juridiques entre NNL et les centres R & D ( 3 ). Cette convention prévoyait, notamment, que, en fonction des bénéfices ou des pertes réalisés au niveau du groupe pour un exercice considéré, chaque centre R & D se retrouverait créancier ou débiteur vis-à-vis de NNL d’une somme appelée «RPS» («Revenue Profit Sharing»).

9.

Le groupe Nortel étant confronté, en 2008, à de graves difficultés financières, ses dirigeants ont décidé, afin d’optimiser les cessions d’actifs à l’échelle du groupe, de déclencher l’ouverture simultanée de procédures d’insolvabilité au Canada, aux États-Unis et dans l’Union européenne.

10.

Par décision du 14 janvier 2009, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni) a ouvert une procédure principale d’insolvabilité de droit anglais contre l’ensemble des sociétés du groupe Nortel situées dans l’Union, dont NNSA, en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement et désigné MM. Bloom, Hudson, Harris et Wilkinson Hill en qualité d’administrateurs judiciaires conjoints (ci‑après, ensemble, les «co‑syndics»).

11.

Sur requête conjointe déposée par NNSA et les co‑syndics, la juridiction de renvoi a, par jugement du 28 mai 2009, ouvert une procédure secondaire de liquidation judiciaire, au sens de l’article 27 du règlement, contre NNSA, autorisé la poursuite d’activité pour une durée déterminée et désigné Me Rogeau en qualité de liquidateur judiciaire.

12.

Un conflit social s’est déclaré au sein de NNSA le 7 juillet 2009 et il y était mis fin le 21 juillet 2009 par la signature d’un protocole d’accord de fin de conflit (ci-après le «protocole de fin de conflit»), entre NNSA représentée par les organes de la procédure secondaire, les organisations syndicales, le comité d’entreprise (ci-après le «CE») de NNSA et les représentants des salariés grévistes. Cet accord prévoyait le paiement d’une indemnité d’aide au départ dont une partie était payable immédiatement et une autre, dénommée «indemnité d’aide au départ différée» (ci-après l’«IAD différée»), qui devait être payée, une fois l’exploitation arrêtée, sur les fonds disponibles provenant de toute vente de branche d’activité, de biens, de toute répartition au titre de cession d’actifs ou plus généralement d’actifs ou de créances recouvrés, après paiement complet de la totalité des dettes d’exploitation nées à l’occasion de la poursuite d’activité des procédures principale et secondaire et des «administration expenses». Il était prévu que le montant de cette IAD différée dépende du quantum des fonds disponibles. Le 18 août 2009, un accord additionnel au protocole de fin de conflit, reprenant les termes de celui-ci a été signé par les co‑syndics (ci-après l’«accord additionnel»).

13.

Le 1er juillet 2009, un protocole de coordination des procédures principale et secondaire a été signé par les organes des deux procédures (ci‑après le «protocole de coordination»). L’article 8, paragraphe 3, de ce protocole précise que «conformément au règlement […] les administration expenses sont payées en totalité et à leur échéance normale par priorité sur les actifs de la société quel que soit le lieu de situation de ces actifs (y compris ceux situés en France), nonobstant l’ouverture de la procédure secondaire». À la suite de la signature du protocole de fin de conflit, les syndics des procédures principale et secondaire ont signé un avenant au protocole de coordination en date du 18 août 2009, qui, au titre de son article 7, prévaut sur ce protocole.

14.

Par jugement du 24 septembre 2009, la juridiction de renvoi a homologué le protocole de coordination et le protocole de fin de conflit ainsi que l’accord additionnel.

15.

Afin d’assurer une meilleure valorisation des actifs du groupe Nortel, les syndics des différentes procédures d’insolvabilité ouvertes dans le monde se sont entendus pour...

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