Céline SARL v Céline SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:39
Date18 January 2007
Celex Number62006CC0017
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-17/06

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 18 janvier 2007 (1)

Affaire C-17/06

Céline SARL

contre

Céline SA


«Marque – Signe identique à une marque verbale – Adoption et usage d’un signe comme dénomination sociale et nom commercial»





1. Selon l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive sur les marques (2), le titulaire d’une marque enregistrée peut interdire, en l’absence de son consentement, l’usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle‑ci est enregistrée.

2. La cour d’appel de Nancy (France) souhaite savoir si un commerçant ayant enregistré un nom à titre de marque verbale pour certains produits peut opposer ce droit à un autre commerçant qui, sans le consentement du titulaire, a adopté le même nom à titre de dénomination sociale et d’enseigne dans le cadre d’une activité de commercialisation de produits du même type.

3. Selon la réponse apportée à cette question, deux autres questions ou l’une d’entre elles sont susceptibles de se présenter, bien que la juridiction de renvoi ne les pose pas explicitement.

4. Si ce cas de figure n’entre pas dans le champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, la première question est de savoir si une réglementation nationale habilitant le titulaire d’une marque à interdire un tel usage est susceptible de relever de l’article 5, paragraphe 5, de la directive, qui permet aux États membres de prévoir une protection contre l’usage qui est fait d’un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, lorsque cet usage sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou qu’elle leur porte préjudice. À défaut, une telle réglementation nationale peut-elle être fondée sur une autre disposition de la directive?

5. La seconde question est de savoir si la position arrêtée est modifiée par la circonstance selon laquelle, d’après l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive, le titulaire d’une marque ne peut pas empêcher un tiers de faire usage de son nom et de son adresse, si cet usage est conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

La réglementation communautaire

6. L’article 5 de la directive s’intitule «Droits conférés par la marque». Il dispose:

«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a) d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

2. Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

4. Lorsque, antérieurement à la date à laquelle les dispositions nécessaires pour se conformer à la présente directive entrent en vigueur, le droit de cet État ne permet pas d’interdire l’usage d’un signe dans les conditions visées au paragraphe 1 sous b) ou au paragraphe 2, le droit conféré par la marque n’est pas opposable à la poursuite de l’usage de ce signe.

5. Les paragraphes 1 à 4 n’affectent pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l’usage qui est fait d’un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, lorsque l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

7. L’article 6 s’intitule «Limitation des effets de la marque». Aux termes de l’article 6, paragraphe 1:

«Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires,

a) de son nom et de son adresse;

b) d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux‑ci;

c) de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»

La réglementation nationale

8. L’article L. 713-2, sous a), du code de la propriété intellectuelle français interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, «la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que: ‘formule, façon, système, imitation, genre, méthode’, ainsi que l’usage d’une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement».

9. Aux termes de l’article L. 713-3 du même code:

«Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public:

a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque ainsi que l’usage d’une marque reproduite pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement;

b) l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.»

10. Selon l’article L. 713-6, sous a), l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme «dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique». Toutefois, «si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite».

11. Selon l’article L. 716-1, une violation des interdictions visées notamment aux articles L. 713-2 et L. 713-3 constitue une atteinte aux droits attachés à la marque du propriétaire, atteinte qui engage la responsabilité civile de son auteur.

Les faits, la procédure et la question déférée

12. La procédure au principal oppose deux sociétés françaises: la SA Céline et la SARL Céline. D’après la décision de renvoi, les circonstances de l’espèce sont les suivantes.

13. La SA Céline a été constituée en société et immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris en 1928 (3), avec pour objet principal la création et la commercialisation d’articles vestimentaires et d’accessoires. En 1948, elle a enregistré la marque verbale française «Céline» notamment pour les vêtements et les chaussures. Cette marque a, depuis lors, été constamment renouvelée.

14. La SARL Céline a été constituée en société et immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nancy en 1992 pour vendre, sous le nom «Céline», des articles vestimentaires et des accessoires dans des locaux situés à Nancy. L’activité était exercée dans les mêmes locaux, sous le même nom depuis 1950, année où elle a été inscrite pour la première fois au registre local du commerce (4).

15. En 2003, la SA Céline a appris l’existence de la SARL Céline et la similitude entre les types d’activités exercées (5). Elle a assigné cette dernière pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale par usurpation de sa dénomination sociale et de son nom commercial. La SA Céline fonde son action sur le seul usage du nom «Céline» pour désigner la SARL Céline en tant qu’entité et le fonds de commerce qu’elle exploite. Elle ne soutient pas que le nom a été apposé sur des produits.

16. La SA Céline a obtenu gain de cause devant la juridiction de première instance qui a ordonné à la SARL Céline de modifier sa dénomination sociale et son enseigne, et de verser à la SA Céline des dommages-intérêts pour les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale.

17. La SARL Céline a interjeté appel devant la juridiction de renvoi qui fait observer que, dans son arrêt Robelco (6), la Cour a précisé que, dès lors qu’un signe n’était pas utilisé aux fins de distinguer des produits ou des services, il appartenait aux États membres de déterminer l’étendue et le contenu de la protection accordée aux titulaires de marques qui prétendent subir un préjudice résultant de l’utilisation de ce signe en tant que nom commercial ou dénomination sociale. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si la protection que les États membres peuvent offrir en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la directive ne vise que l’usage d’un signe identique à la marque ou s’il inclut également l’usage d’un signe similaire. Quelques doutes...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT