Opinion of Advocate General Wathelet delivered on 14 January 2016.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:11
Date14 January 2016
Celex Number62014CC0438
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
62014CC0438

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 14 janvier 2016 ( 1 )

Affaire C‑438/14

Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff

contre

Standesamt der Stadt Karlsruhe,

Zentraler Juristischer Dienst der Stadt Karlsruhe

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Karlsruhe (tribunal cantonal de Karlsruhe, Allemagne)]

«Citoyenneté de l’Union — Refus des autorités d’un État membre d’inscrire au registre des naissances des titres de noblesse et une particule nobiliaire faisant partie d’un nom patronymique qu’une personne majeure a obtenu dans un autre État membre — Situation dans laquelle le requérant, qui a la nationalité des deux États membres concernés, a obtenu le nom à la suite de sa propre demande»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 TFUE et 21 TFUE dans le contexte d’un litige opposant M. Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff, ressortissant allemand et britannique, aux autorités allemandes qui ont refusé de modifier ses prénoms et nom de famille dans son acte de naissance et d’ajouter au registre des naissances des titres nobiliaires faisant partie d’un nom qu’il a obtenu au Royaume-Uni, à savoir «Peter Mark Emanuel Graf von Wolffersdorff Freiherr von Bogendorff» ( 2 ).

2.

La présente affaire s’inscrit dans la longue liste d’affaires concernant la citoyenneté européenne en liaison avec le nom patronymique qui ont donné lieu aux arrêts Konstantinidis (C‑168/91, EU:C:1993:115), Garcia Avello (C‑148/02, EU:C:2003:539), Grunkin et Paul (C‑353/06, EU:C:2008:559), Sayn-Wittgenstein (C‑208/09, EU:C:2010:806) ainsi que Runevič-Vardyn et Wardyn (C‑391/09, EU:C:2011:291).

3.

Malgré des similarités avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sayn-Wittgenstein (C‑208/09, EU:C:2010:806), la présente affaire se distingue de cette dernière en ce sens que le requérant au principal est ressortissant de deux États membres et que le droit allemand permet que les titres nobiliaires soient utilisés comme composante d’un nom patronymique, alors même qu’ils ont été abolis et ne peuvent plus être décernés.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

L’article 18, premier alinéa, TFUE est libellé comme suit:

«Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

5.

L’article 20 TFUE prévoit:

«1. Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2. Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres:

a)

le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres;

[...]

Ces droits s’exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci.»

6.

L’article 21, paragraphe 1, TFUE se lit comme suit:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application.»

B – Le droit allemand

7.

L’article 123, paragraphe 1, de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland), du 23 mai 1949 (BGBl. p. 1, ci-après la «loi fondamentale»), dispose que «[l]e droit en vigueur antérieurement à la première réunion du Bundestag demeure en vigueur dans la mesure où il n’est pas contraire à la loi fondamentale».

8.

L’article 109 de la Constitution de l’Empire allemand (Verfassung des Deutschen Reichs), adoptée le 11 août 1919 à Weimar, et entrée en vigueur le 14 août 1919 (Reichsgesetzblatt 1919, p. 1383, ci-après la «Constitution de Weimar»), dispose:

«Tous les Allemands sont égaux devant la loi.

Hommes et femmes ont, en principe, les mêmes droits et les mêmes devoirs civiques.

Les privilèges de droit public et les inégalités liées à la naissance ou à la condition doivent être abolis. Les distinctions nobiliaires n’existent qu’en tant que partie du nom. Il ne pourra plus en être décerné.

Des titres ne peuvent être décernés que s’ils désignent une fonction ou une profession; les titres universitaires ne sont pas visés.

Il ne peut être conféré par l’État ni ordres ni décorations.

Aucun Allemand ne peut accepter un titre ou un ordre d’un gouvernement étranger.»

9.

La loi d’introduction au code civil (Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch) du 21 septembre 1994 (BGBl. I, p. 2494, corrigendum 1997 I, p. 1061, ci-après l’«EGBGB»), dans sa version applicable au moment des faits du litige au principal, dispose:

«Article 5 – Statut personnel

(1) S’il est fait renvoi au droit de l’État dont une personne est ressortissante et que celle-ci a la nationalité de plusieurs États, le droit de l’État avec lequel elle a le lien le plus étroit, en particulier en raison de sa résidence habituelle ou du cours de sa vie, s’applique. Si ladite personne est aussi de nationalité allemande, cette situation juridique prime.

[…]

Article 6 – Ordre public

Lorsque l’application d’une disposition juridique d’un autre État conduit à un résultat qui est manifestement incompatible avec des principes essentiels du droit allemand, il y a lieu de ne pas appliquer ladite disposition. En particulier, il y a lieu de ne pas appliquer une telle disposition lorsque son application est incompatible avec les droits fondamentaux.

[…]

Article 10 – Nom

(1) Le nom d’une personne relève du droit de l’État dont elle est ressortissante.

[…]

Article 48 – Choix d’un nom acquis dans un autre État membre de l’Union

Si le droit allemand s’applique au nom d’une personne, celle-ci peut choisir, par déclaration au bureau d’état civil, le nom acquis au cours d’un séjour habituel dans un autre État membre de l’Union et qui y est inscrit au registre d’état civil, pour autant que cela ne soit pas manifestement incompatible avec des principes essentiels du droit allemand. Le choix du nom rétroagit à la date de l’inscription au registre d’état civil de l’autre État membre, sauf si la personne déclare expressément que le choix du nom ne doit avoir d’effet que pour l’avenir. La déclaration doit être authentifiée ou faire l’objet d’un acte authentique. […]»

III – Le litige au principal et la question préjudicielle

10.

Le requérant au principal est né le 9 janvier 1963 à Karlsruhe (Allemagne) sous le nom de Nabiel Bagadi. La naissance est transcrite dans le registre des naissances du bureau de l’état civil de Karlsruhe.

11.

M. Nabiel Bagadi a obtenu ultérieurement et par adoption le nom de famille allemand Bogendorff qu’il a fait modifier par la suite, de même que son prénom, de sorte que ses prénom et nom allemands actuels sont «Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff».

12.

En 2001, M. Bogendorff von Wolffersdorff a déménagé au Royaume-Uni où, à partir de l’année 2002, il a exercé la profession de conseiller en matière d’insolvabilité à Londres.

13.

En 2004, M. Bogendorff von Wolfersdorff a acquis la nationalité britannique par voie de naturalisation.

14.

Par déclaration («Deed Poll») du 26 juillet 2004 enregistrée le 22 septembre 2004 auprès de la Supreme Court of England and Wales (Cour suprême d’Angleterre et du pays de Galles, Royaume-Uni), M. Bogendorff von Wolffersdorff a changé son nom en «Peter Mark Emanuel Graf von Wolffersdorff Freiherr von Bogendorff», déclaration qui a été publiée à The London Gazette du 8 novembre 2004 ( 3 ).

15.

En 2005 et en raison de la grossesse de son épouse, M. Bogendorff von Wolffersdorff a quitté Londres pour Chemnitz en Allemagne, où sa fille est née le 28 février 2006.

16.

La naissance de sa fille, qui a la double nationalité allemande et britannique, a été déclarée auprès du Consulat général du Royaume-Uni à Düsseldorf le 23 mars 2006. Les prénoms et nom de la fille apposés sur l’acte de naissance et le passeport britanniques sont «Larissa Xenia Gräfin von Wolffersdorff Freiin von Bogendorff».

17.

Toutefois, le bureau d’état civil de Chemnitz a refusé d’inscrire la fille de M. Bogendorff von Wolffersdorff sous son nom britannique en se fondant sur l’article 10 de l’EGBGB.

18.

Par ordonnance du 6 juillet 2011, l’Oberlandesgericht Dresden (tribunal régional supérieur de Dresde, Allemagne) a imposé aux autorités de la ville de Chemnitz d’enregistrer la fille de M. Bogendorff von Wolffersdorff sous son nom britannique en jugeant:

«Le fait que, avec l’entrée en vigueur de la Constitution de Weimar, les titres de noblesse ne constituent plus des titres au sens strict, mais doivent être portés à titre d’éléments du nom de famille (et sont donc devenus à ce titre de véritables noms de famille, voir Henrich/Wagenitz, Deutsches Namensrecht, 2007, 015, point 9, ‘Noms nobles’) ne joue aucun rôle pour le port du nom de l’intéressée, à laquelle seul un nom de famille doit d’emblée être décerné. Nom de famille signifie que la partie du nom qui, avant l’entrée en vigueur de la Constitution de Weimar, aurait été un titre de noblesse doit être mise derrière le prénom, pas devant celui-ci. Aucun titre de noblesse n’est décerné à l’intéressée, ce qui était le privilège du prince dans la Constitution monarchique, en lien avec l’anoblissement. Contrairement à ce que considère le Landgericht, la Constitution de Weimar ne contient pas d’interdiction des...

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