Opinion of Advocate General Saugmandsgaard Øe delivered on 21 April 2016.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:291
Date21 April 2016
Celex Number62015CC0015
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-15/15
62015CC0015

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 21 avril 2016 ( 1 )

Affaire C‑15/15

New Valmar BVBA

contre

Global Pharmacies Partner Health Srl

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank van koophandel te Gent (tribunal de commerce de Gand, Belgique)]

«Renvoi préjudiciel — Libre circulation des marchandises — Article 35 TFUE — Interdiction des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’exportation — Société établie dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique — Réglementation imposant de rédiger les factures en langue néerlandaise sous peine de nullité absolue — Contrat à caractère transfrontalier — Restriction — Justification — Proportionnalité»

I – Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle introduite par le rechtbank van koophandel te Gent (tribunal de commerce de Gand, Belgique) porte, selon le libellé de la question posée, sur l’interprétation de l’article 45 TFUE, relatif à la libre circulation des travailleurs.

2.

Toutefois, il ressort de la décision de renvoi que l’affaire au principal et, partant, l’objet de cette demande relèvent, en réalité, de la libre circulation des marchandises, et plus particulièrement de l’interdiction des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’exportation entre les États membres qui est édictée à l’article 35 TFUE.

3.

En effet, cette demande est soumise dans le cadre d’un litige opposant une société établie dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique à une société établie en Italie, au sujet du non‑paiement de plusieurs factures par cette dernière, laquelle est liée à la société belge par un contrat de concession. Les factures en cause ont été rédigées en langue italienne, alors que, selon la juridiction de renvoi, en vertu de la réglementation belge qui leur serait applicable, ces factures auraient dû être rédigées exclusivement en langue néerlandaise, sous peine de nullité à relever d’office par le juge.

4.

À la lumière de l’arrêt Las ( 2 ), où la Cour a jugé que les dispositions équivalentes de cette même réglementation relatives aux contrats de travail n’étaient pas compatibles avec le droit de l’Union, le tribunal de renvoi s’interroge sur le point de savoir si celle‑ci est susceptible de produire un effet dissuasif également à l’égard des échanges commerciaux transfrontaliers opérés par les sociétés belges établies en Région flamande et constitue, par conséquent, une restriction prohibée à l’exercice des libertés de circulation. Dans l’hypothèse où tel serait le cas, il se demande, ensuite, si ces mesures restrictives éventuelles pourraient être justifiées par un ou plusieurs objectifs d’intérêt général et, dans l’affirmative, si elles sont ou non proportionnées par rapport aux objectifs visés.

II – Le cadre juridique national

5.

La Constitution belge ( 3 ) énonce, à son article 4, que « [l]a Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles‑Capitale et la région de langue allemande ».

6.

En vertu de l’article 129, paragraphe 1, point 3, de la Constitution, « [l]es Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret, à l’exclusion du législateur fédéral, l’emploi des langues pour : [...] les relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements ». Lesdites Communautés sont des entités fédérées de l’État belge.

7.

Les wetten op het gebruik van de talen in bestuurszaken (lois sur l’emploi des langues en matière administrative) ( 4 ) prévoient à leur article 52, paragraphe 1, que « [p]our les actes et documents imposés par la loi et les règlements [...], les entreprises industrielles, commerciales ou financières font usage de la langue de la région où est ou sont établis leur siège ou leurs différents sièges d’exploitation ».

8.

Un vlaamse taaldecreet (décret sur l’emploi des langues) a été adopté en 1973 par le Parlement van de Vlaamse Gemeenschap (Parlement de la Communauté flamande) ( 5 ) sur le fondement de l’article 129, paragraphe 1, point 3, de la Constitution.

9.

Aux termes de l’article 1er dudit décret dans sa version en vigueur au moment des faits du litige au principal, cet instrument « est applicable aux personnes physiques et morales ayant un siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise » et il « règle l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi qu’en matière d’actes et de documents d’entreprise prescrits par la loi ».

10.

L’article 2 de ce décret précise que « [l]a langue à utiliser pour les relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi que pour les actes et documents des entreprises imposés par la loi, est le néerlandais ». Son article 5, premier alinéa, ajoute que « [s]ont établis par l’employeur en langue néerlandaise tous les actes et documents des employeurs, imposés par la loi […] ».

11.

L’article 10, premier alinéa, de ce même décret prévoit, au titre des sanctions, que « [l]es documents ou les actes qui sont contraires aux dispositions du présent décret sont nuls. La nullité en est constatée d’office par le juge ». Les deuxième et troisième alinéas de cet article énoncent que « [l]e jugement ordonne le remplacement d’office des documents en cause » et que « [l]a levée de la nullité n’a d’effet qu’à partir du jour de la substitution : pour les documents écrits à partir du jour du dépôt des documents substitutifs au greffe du tribunal du travail ».

12.

À la suite de l’arrêt Las ( 6 ), certaines dispositions dudit décret ont été modifiées, mais avec effet à compter du 2 mai 2014 ( 7 ), donc postérieurement aux faits du litige au principal, et uniquement en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs, lesquelles ne font pas l’objet de ce litige.

III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

13.

Le 12 novembre 2010, New Valmar BVBA, dont le siège social est situé dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique, et Global Pharmacies Partner Health Srl (ci‑après « GPPH »), société établie en Italie, ont conclu un contrat qui désignait cette dernière comme concessionnaire exclusif de New Valmar sur le territoire italien et qui devait expirer le 31 décembre 2014.

14.

Aux termes de l’article 18 de ce contrat de concession, celui‑ci était régi par le droit italien et les tribunaux de Gand (Belgique) étaient compétents pour connaître des éventuelles contestations entre les parties.

15.

Par lettre recommandée du 29 décembre 2011, New Valmar a mis fin à ce contrat de façon anticipée, avec effet à compter du 1er juin 2012.

16.

Par citation du 30 mars 2012, New Valmar a saisi le rechtbank van koophandel te Gent (tribunal de commerce de Gand) en vue d’obtenir la condamnation de GPPH à lui verser un montant d’environ 234192 euros au titre du règlement de plusieurs factures impayées.

17.

GPPH a formé une demande reconventionnelle tendant à la condamnation de New Valmar au paiement d’une indemnité de 1467448 euros pour rupture fautive de leur contrat de concession.

18.

Pour s’opposer à la demande principale, GPPH a excipé de la nullité des factures en cause, au motif que, bien qu’étant des « actes et documents imposés par la loi et les règlements » au sens des lois coordonnées et du décret flamand sur l’emploi des langues, ces factures enfreignaient les règles d’ordre public contenues dans cette réglementation.

19.

Il ressort également de la décision de renvoi que, hormis les données relatives à l’identité de New Valmar, à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et à la banque, toutes les mentions standards et les conditions générales figurant sur ces factures ont été rédigées dans une langue autre que le néerlandais, à savoir l’italien, alors que New Valmar est établie dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique.

20.

Le 14 janvier 2014, donc en cours de procédure, New Valmar a remis à GPPH une traduction en néerlandais des factures en cause. La juridiction de renvoi précise qu’une telle traduction n’a pas la valeur du « remplacement » prévu par la réglementation linguistique flamande et que les factures litigieuses sont et restent frappées de nullité absolue en vertu du droit belge.

21.

New Valmar ne conteste pas que les factures en cause ne respectent pas ladite réglementation. Toutefois, elle fait valoir, notamment, que celle‑ci est contraire au droit de l’Union, et en particulier à l’article 26, paragraphe 2, et aux articles 34 et 35 TFUE relatifs à la libre circulation des marchandises.

22.

Dans ce contexte, par décision du 18 décembre 2014, parvenue à la Cour le 16 janvier 2015, le rechtbank van koophandel te Gent (tribunal de commerce de Gand) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Faut‑il interpréter l’article 45 TFUE en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’une entité fédérée d’un État membre, telle en l’espèce la Vlaamse Gemeenschap in de federale Staat België (Communauté flamande de l’État fédéral belge), qui impose à toute entreprise ayant son siège d’exploitation dans le territoire de cette entité, en vertu des dispositions combinées de l’article 52 des lois [coordonnées] et de l’article 10 du [décret flamand sur l’emploi des langues]...

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