C.D. v S.T..

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:600
Docket NumberC-167/12
Celex Number62012CC0167
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date26 September 2013
62012CC0167

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 26 septembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑167/12

C. D.

contre

S. T.

[demande de décision préjudicielle formée par l’Employment Tribunal, Newcastle upon Tyne (Royaume-Uni)]

«Politique sociale — Directive 92/85/CEE — Champ d’application — Gestation pour autrui — Congé de maternité — Directive 2006/54/CE — Égalité de traitement entre les hommes et les femmes — Interdiction de discrimination fondée sur la grossesse»

I – Introduction

1.

Une femme a-t-elle droit à un congé de maternité même si elle n’a pas mis elle-même l’enfant au monde, mais a eu recours à une mère dite «porteuse» ( 2 )? C’est là la question au centre de la demande de décision préjudicielle présentée par l’Employment Tribunal Newcastle upon Tyne (Royaume-Uni).

2.

Envisagée sous l’angle de la médecine de la reproduction, la gestation pour autrui commence avec une insémination artificielle de la mère porteuse ou une implantation d’un embryon chez celle-ci. L’enfant est alors porté par la mère porteuse qui le met au monde. Génétiquement, l’enfant peut être le descendant des parents dits «commanditaires» qui exerceront l’autorité parentale après la naissance ou bien du père et de la mère porteuse, voire du père et d’une autre femme.

3.

Il existe de fortes divergences entre les réglementations nationales des États membres de l’Union européenne au sujet de la gestation pour autrui ( 3 ). Dans de nombreux États membres la gestation pour autrui est interdite, mais elle est autorisée à certaines conditions au Royaume-Uni. Il n’existe cependant dans cet État aucune réglementation spécifique quant au congé de maternité pour les mères commanditaires ( 4 ).

4.

La présente affaire soulève la question de savoir si la mère commanditaire peut revendiquer un congé de maternité sur le fondement du droit de l’Union et en particulier de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) ( 5 ).

5.

La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur un cas de fécondation in vitro ( 6 ) et concernant l’interprétation de la directive 92/85. Elle a désormais la possibilité de développer sa jurisprudence sur ladite directive.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La directive 92/85

6.

Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 92/85 a pour objectif l’«amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail».

7.

L’article 2 de la directive 92/85 dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)

‘travailleuse enceinte’: toute travailleuse enceinte qui informe l’employeur de son état, conformément aux législations et/ou pratiques nationales;

b)

‘travailleuse accouchée’: toute travailleuse accouchée au sens des législations et/ou pratiques nationales, qui informe l’employeur de son état, conformément à ces législations et/ou pratiques;

c)

‘travailleuse allaitante’: toute travailleuse allaitante au sens des législations et/ou pratiques nationales, qui informe l’employeur de son état, conformément à ces législations et/ou pratiques.»

8.

L’article 8 de la directive 92/85 régit le congé de maternité et dispose:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleuses au sens de l’article 2 bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

2. Le congé de maternité visé au paragraphe 1 doit inclure un congé de maternité obligatoire d’au moins deux semaines, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.»

9.

L’article 11 de la directive 92/85 prévoit:

«[…]

2)

dans le cas visé à l’article 8, doivent être assurés:

[…]

b)

le maintien d’une rémunération et/ou le bénéfice d’une prestation adéquate des travailleuses au sens de l’article 2;

[…]»

2. La directive 2006/54/CE

10.

L’article 2 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail ( 7 ) dispose:

«1. Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)

‘discrimination directe’: la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable;

b)

‘discrimination indirecte’: la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires;

[…]

2. Aux fins de la présente directive, la discrimination inclut:

[…]

c)

tout traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse ou au congé de maternité au sens de la directive 92/85/CEE

11.

Il est indiqué à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/54:

«Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[…]

c)

les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement ainsi que la rémunération, comme le prévoit l’article 141 du traité [devenu l’article 157 TFUE];

[…]»

12.

L’article 15 de la directive 2006/54 régit le «retour de congé de maternité» et dispose:

«Une femme en congé de maternité a le droit, au terme de ce congé, de retrouver son emploi ou un emploi équivalent à des conditions qui ne lui soient pas moins favorables et de bénéficier de toute amélioration des conditions de travail à laquelle elle aurait eu droit durant son absence.»

B – Le droit du Royaume-Uni

13.

La loi de 2008 sur la fertilisation et l’embryologie humaine (Human fertilisation and embryology Act 2008, ci-après le «HFEA») réglemente quelles personnes sont considérées comme parents lorsque l’enfant est mis au monde par une mère porteuse. En principe, la mère porteuse qui a mis l’enfant au monde est juridiquement la mère de l’enfant et ce indépendamment du fait qu’elle soit ou non génétiquement sa mère. En vertu de l’article 54 du HFEA, un tribunal peut, sur demande des parents commanditaires, adopter une ordonnance d’octroi de l’autorité parentale («parental order»), en vertu de laquelle l’enfant doit juridiquement être traité comme l’enfant des demandeurs. Les conditions à cet effet sont, entre autres, que les gamètes d’au moins l’un des demandeurs aient été utilisés lors de la conception de l’embryon, que les demandeurs soient mariés l’un à l’autre ou vivent ensemble dans une relation comparable, qu’ils fassent la demande au plus tard six mois après la naissance de l’enfant et que la mère porteuse donne son accord à la demande.

14.

En vertu du règlement de 1999 relatif aux congés de maternité et aux congés parentaux (Maternity and Parental Leave etc. Regulations 1999), le congé de maternité («maternity leave») est réservé aux femmes en liaison avec leur grossesse. Le règlement de 2002 relatif aux congés de paternité et d’adoption (Paternity and Adoption Leave Regulations 2002) prévoit pour les adoptions, à certaines conditions, notamment un congé pour adoption («adoption leave»). Les personnes qui par le biais d’une ordonnance se voient confier l’autorité parentale pour un enfant né d’une mère porteuse peuvent à certaines conditions bénéficier d’un congé non rémunéré.

15.

En vertu de la loi de 2010 sur l’égalité (Equality Act 2010), si la grossesse ou le congé de maternité entraîne un traitement moins favorable, il convient d’admettre une discrimination de la femme concernée.

III – Les faits au principal et les questions préjudicielles

16.

La requérante au principal, Mme D., est employée dans l’un des hôpitaux de la défenderesse au principal. Cette dernière est une «National Health Service Foundation», à savoir un établissement public.

17.

Mme D. voulait réaliser son désir d’enfant avec l’aide d’une mère porteuse. L’enfant a été conçu avec le sperme de son concubin, mais avec un ovule ne provenant pas de Mme D.

18.

La mère porteuse a mis l’enfant au monde le 26 août 2011. Mme D. a commencé dans l’heure qui a suivi l’accouchement à prendre soin de l’enfant en tant que mère et en particulier à l’allaiter. Elle a dans l’ensemble allaité l’enfant pendant une période de trois mois. Le 19 décembre 2011, sur demande des intéressés, une ordonnance d’octroi de l’autorité parentale au sens du HFEA a été rendue, transférant à Mme D. et à son concubin l’autorité parentale permanente et totale sur l’enfant.

19.

Dès avant la naissance de l’enfant, Mme D. avait demandé sans succès auprès de la défenderesse au principal – en l’absence de régime spécifique de l’entreprise ou légal pour le cas de la mère porteuse – un congé payé pour «maternité de substitution» ( 8 ) au titre de la réglementation sur le...

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