Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER
présentées le 11 décembre 2003(1)
Affaire C-30/02
Recheio - Cash & Carry SA
contre
Fazenda Pública – Registo Nacional de Pessoas Colectivas
[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa (Portugal)]
«Impositions intérieures contraires au droit communautaire – Répétition de l'indu – Délais nationaux pour l'exercice de l'action – Délai de quatre-vingt-dix jours – Principe d'effectivité»
I – Introduction
1.
Le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa (Portugal) souhaite savoir si l’ordre juridique communautaire permet
de fixer un délai de quatre-vingt-dix jours pour contester la liquidation de taxes devant la juridiction administrative contentieuse
et, par conséquent, pour exercer l’action en remboursement des impositions payées en contradiction avec le droit communautaire.
2.
Cette question incidente s’ajoute à la longue liste de renvois préjudiciels sur la conformité avec le droit communautaire
de plusieurs dispositions nationales, en l’occurrence celles régissant le délai et les modalités de l’exercice de recours
visant à obtenir le remboursement des impositions recouvrées par le Trésor public en infraction avec l’ordre juridique communautaire.
3.
En réponse à ces demandes, la Cour a rendu de nombreux arrêts, créant un corps de doctrine bien établi, dont il appartient
aux États membres, en l’absence d’une disposition communautaire, d’aménager les procédures pour assurer la protection des
droits conférés par l’Union européenne. Cette compétence demeure toutefois soumise à une double limite:
- –
- les États membres ne sont pas autorisés à imposer, en ce qui concerne l’exercice des actions fondées sur le droit communautaire,
un délai différent et moins favorable que celui qui est prévu pour les autres actions fondées sur la violation du droit interne
(2)
. C’est le principe dit «de l’équivalence».
- –
- Il ne peuvent pas non plus réglementer les modalités de procédure de manière telle qu’elles rendent en pratique excessivement
difficile ou impossible l’exercice de telles actions. Cette règle est appelée le principe d’effectivité du droit communautaire
(3)
.
4.
La jurisprudence antérieure a énoncé les règles permettant de fournir à la juridiction portugaise la réponse qu’elle sollicite.
II – Les faits, le litige principal et la question préjudicielle
5.
Le 5 novembre 1997, Recheio - Cash & Carry SA (ci-après «Recheio») a fait établir devant notaire l’acte public d’augmentation
de son capital social de 100 millions à 1 milliard de PTE, inscrit au Registo Nacional de Pessoas Colectivas (registre national
des sociétés).
6.
Le 4 mars 1998, cette administration de l’enregistrement lui a adressé un avis de liquidation de taxes pour un montant de
2 251 500 PTE, calculé conformément à la Tabela de emolumentos do Registo Nacional de Pessoas Colectivas (tarif des émoluments
du registre national des sociétés).
7.
Le 11 juillet 2001, Recheio a intenté devant le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa une action en vue de se
voir reconnaître le droit au remboursement du montant de la dette fiscale indûment recouvrée, action qui a été requalifiée
d’office en recours administratif contentieux dirigé contre l’acte de liquidation, s’agissant de la voie de procédure adéquate
pour atteindre l’objectif poursuivi.
8.
Considérant que, à la date indiquée, le délai imparti pour exercer le recours en question était déjà écoulé, la juridiction
portugaise saisie a sursis à statuer et a soumis à la Cour les questions suivantes:
- «1)
- Le droit communautaire fait-il obstacle à ce qu’un État membre fixe, aux fins des actions en restitution de taxes perçues
en violation du droit communautaire, un délai de prescription de 90 jours à compter de la fin du délai de paiement volontaire,
en ce que l’exercice du droit à restitution est ainsi rendu excessivement difficile?
- 2)
- Dans l’affirmative, quel délai minimal doit être considéré comme compatible avec cette interdiction de toute difficulté excessive?
- 3)
- Ou quels sont les critères à retenir pour la fixation de ce délai?»
III – La procédure devant la Cour
9.
Recheio, la République portugaise et la Commission ont présenté des observations écrites dans le délai imparti par l’article
20 du statut CE de la Cour de justice.
10.
À l’audience, qui a eu lieu le 13 novembre 2003, les représentants des parties à la procédure écrite ont été entendus en leurs
observations orales.
IV – Le cadre juridique portugais
11.
En droit portugais, les actes administratifs, dont les liquidations de taxes constituent une modalité, peuvent être nuls ou
annulables. La nullité est prononcée à l’égard des actes dépourvus de l’un des éléments essentiels et de ceux pour lesquels
la loi prévoit expressément cette forme d’invalidité. Les autres sont annulables
(4)
.
12.
Les uns et les autres sont abrogés par la voie des recours administratifs intentés par les titulaires des droits et intérêts
subjectifs légalement protégés auxquels il a été porté atteinte
(5)
. Il existe deux voies de recours: le recours gracieux
(6)
et le recours hiérarchique, l’introduction de ce dernier ayant un caractère facultatif si l’acte est susceptible d’un recours
administratif contentieux, et impératif dans le cas contraire
(7)
. Le délai imparti pour former le recours est de quinze jours dans le cas d’un recours gracieux, de trente jours pour un recours
hiérarchique facultatif, ou celui qui est prévu pour former le recours contentieux administratif s’il s’agit d’un recours
hiérarchique impératif
(8)
.
13.
Dans le domaine fiscal, sauf disposition expresse contraire, le recours hiérarchique a un caractère potestatif, dans le même
délai de trente jours
(9)
. Il est également prévu un recours gracieux, qui doit être formé dans le délai de quatre-vingt-dix jours, pouvant toutefois
être porté à un an lorsqu’il se fonde sur la violation des formes substantielles de la procédure ou sur l’inexistence, totale
ou partielle, du fait imposable
(10)
. La décision prise sur le recours gracieux est susceptible d’un recours hiérarchique, et ce dernier d’un recours administratif
contentieux
(11)
.
14.
Le recours fiscal contentieux vise à assurer la protection pleine, effective et en temps utile, des droits et intérêts légalement
protégés relevant de ce domaine du droit
(12)
. Il permet de réagir aux liquidations de taxes
(13)
en soulevant un moyen tendant à obtenir une déclaration de nullité ou l’annulation de l’acte attaqué
(14)
. Il constitue également la voie appropriée pour intenter des actions en constatation visant à la reconnaissance d’un droit
ou d’un intérêt légitime en matière fiscale
(15)
, lorsqu’il n’existe pas d’autre voie plus appropriée pour garantir sa protection juridictionnelle
(16)
.
15.
Le recours en annulation doit être intenté dans un délai de quatre-vingt-dix jours, à compter de l’arrivée à expiration du
délai imparti pour le paiement volontaire de la dette fiscale, sauf si un recours gracieux a auparavant été formé, auquel
cas il est ramené à quinze jours. La demande fondée sur la nullité de la liquidation peut être formée à tout moment
(17)
.
16.
L’action en constatation doit être introduite dans les quatre ans suivant la date à laquelle le droit est né ou à laquelle
l’atteinte au droit dont la protection est invoquée a été connue
(18)
.
V – L’analyse de la question préjudicielle
A –
Délimitation de l’objet du litige
17.
Il n’est pas contesté que la taxe acquittée par Recheio au Registo Nacional de Pessoas Colectivas a le statut d’imposition
contraire au droit communautaire, et que la société en question a le droit d’intenter les actions pertinentes sur le plan
national
(19)
.
18.
Le Tribunal Tributário de Primeira Instância de Lisboa s’interroge sur le point de savoir si le droit communautaire permet
d’assujettir à un délai de quatre-vingt-dix jours l’introduction du recours juridictionnel en restitution des montants indûment
versés au titre d’impositions qui, comme celle qui a été facturée à Recheio, sont incompatibles avec le droit de l’Union européenne.
19.
Pour la juridiction portugaise saisie, il est acquis que le délai en cause est conforme au principe d’équivalence. C’est ce
qu’elle retient dans l’ordonnance de renvoi, en indiquant que «le recours en annulation s’applique à tous les actes de liquidation
de recettes fiscales, qu’ils soient fondés sur la législation communautaire ou sur la législation nationale»
(20)
, de sorte que les questions qu’elle soulève se réfèrent exclusivement au principe d’effectivité, qu’elle évoque dans la partie
finale de sa première question, où elle vise à déterminer si la fixation d’un délai de quatre-vingt-dix jours «rend extrêmement
difficile l’exercice du droit à restitution».
20.
De ce fait, les louables efforts déployés par Recheio dans ses observations écrites pour démontrer que le délai accordé par
le droit procédural portugais est contraire au principe d’équivalence sont inutiles puisque, dès lors que la juridiction nationale
admet, après avoir interprété le droit interne, que ce délai est applicable à tous les types d’actions, la Cour n’a rien à
dire à ce sujet
(21)
.
21.
L’analyse de la compatibilité du délai en cause avec le droit communautaire doit uniquement se fonder sur le principe d’effectivité
et, sur ce point également, il convient d’écarter toute considération sur l’existence d’une voie de recours subsidiaire –
l’action en reconnaissance d’un droit – disponible pendant un délai de...