Abdelkader Dellas and Others v Premier ministre and Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:448
Date12 July 2005
Celex Number62004CC0014
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-14/04

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 12 juillet 2005 (1)

Affaire C-14/04

Abdelkader Dellas

Confédération générale du travail

Fédération nationale des syndicats des services de santé et des services sociaux CFDT

Fédération nationale de l'action sociale Force ouvrière

contre

Secrétariat général du gouvernement

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 93/104/CE – Temps de travail – Régime d’équivalence»





I – Introduction

1. Le Conseil d’État français a été saisi d’un certain nombre de recours dirigés contre un décret instituant, pour le calcul de la durée du temps de travail effectif des employés de certains centres sociaux et médico-sociaux, une équivalence des moments qu’ils passent sur leur lieu de travail.

2. Le problème est celui de savoir si ce système, qui est fondé sur le code du travail national, est compatible avec la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (2).

3. La question se complique du fait que, lorsqu’elle a transposé la directive dans son droit national, la République française a adopté des mesures plus favorables aux travailleurs salariés qui peuvent être affectées par la réponse que la Cour est appelée à donner.

II – Le cadre juridique

A – La réglementation communautaire

1. Antécédents

4. Depuis des décennies, les pays européens connaissent, portée par un contexte international favorable (3), une tendance à réduire la durée du temps de travail. Cette inclination a une influence sur le marché du travail et, en conséquence, sur les libertés fondamentales qui s’y rattachent.

5. Il a néanmoins fallu attendre les années 70 pour qu’interviennent les premières initiatives au niveau de la Communauté européenne agissant par le truchement du Conseil: la recommandation 75/457/CEE, du 22 juillet 1975 (4), invitant les États membres à adopter la semaine de quarante heures de travail et un congé annuel de quatre semaines, et la résolution du 18 décembre 1979, concernant l’aménagement du temps de travail (5), qui engageait les États membres à restreindre le recours systématique aux heures supplémentaires, à réduire la durée annuelle du travail et à appliquer des mesures de flexibilité. Une proposition de seconde recommandation en la matière a été faite le 23 septembre 1983 (6), mais cette recommandation est restée lettre morte en raison de la nature controversée des thèmes abordés dans une époque de crise de la politique sociale (7).

6. Ce sont l’Acte unique européen (8), parce qu’il a introduit l’article 118 A dans le titre III du traité de Rome (9), et la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, approuvée par le Conseil européen de Strasbourg le 9 décembre 1989 (10), parce qu’elle a reconnu que l’aménagement du temps de travail joue un rôle important dans le rapprochement des conditions de vie des travailleurs, qui ont mis en branle le processus qui a débouché sur la directive 93/104 (11).

2. Le droit originaire

7. L’article 118 A du traité CE (12) (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) obligeait les États membres à «promouvoir l’amélioration, notamment du milieu de travail, pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs» et à se fixer pour objectif l’«harmonisation, dans le progrès, des conditions existant dans ce domaine» (paragraphe 1).

8. Pour contribuer à la réalisation de cet objectif, le paragraphe 2 de cet article donnait au Conseil la compétence d’arrêter, à la majorité qualifiée, des prescriptions minimales par voie de directive en tenant compte des conditions et des réglementations techniques nationales pourvu que ces directives ne fassent pas obstacle «au maintien et à l’établissement, par chaque État membre, de mesures de protection renforcée des conditions de travail».

9. L’article 136 CE actuel vise à l’«amélioration des conditions de vie et de travail» et l’article 137 CE engage la Communauté à soutenir et à compléter l’action des États membres dans l’«amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs» (paragraphe 1, premier tiret) et dans les «conditions de travail» (paragraphe 1, deuxième tiret).

10. L’article 137 CE confirme la compétence du Conseil d’arrêter, dans les domaines qu’il vise, des prescriptions minimales applicables progressivement (paragraphe 2, premier alinéa), sans préjudice du maintien ou de l’adoption au niveau national de «mesures plus strictes compatibles avec le présent traité» (paragraphe 5).

3. La directive 93/104

11. Le 12 juin 1989, le Conseil a promulgué la directive 89/391/CEE concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (13), qui, selon l’arrêt BECTU (14), est la directive‑cadre qui arrête les principes généraux dans cette matière, principes développés ultérieurement par une série de directives spécifiques au nombre desquelles figure la directive 93/104 (15), sur le substrat normatif et la réglementation de laquelle il convient de s’étendre.

a) Base juridique

12. La directive est basée sur l’article 118 A du traité, qui, parce qu’il reprend une version de compromis, a suscité d’importantes controverses sur l’interprétation qu’il convient de donner aux limites de l’action communautaire (16).

13. La directive a été approuvée à la majorité qualifiée malgré l’opposition du Royaume-Uni, qui en a demandé l’annulation à la Cour ou, à titre subsidiaire, l’annulation de son article 4, des premier et deuxième alinéas de l’article 5, du paragraphe 2 de l’article 6 ainsi que de l’annulation de l’article 7. Son premier moyen était déduit de l’erreur dans le choix de la base juridique retenue. Il a également invoqué la violation du principe de proportionnalité, le détournement de pouvoir et quelques vices de forme substantiels. Selon lui, la directive aurait dû être adoptée sur la base de l’article 100 du traité CE (devenu article 94 CE) ou de son article 235 (devenu article 308 CE), lesquels requièrent une unanimité au sein du Conseil.

14. Par l’arrêt qu’elle a rendu le 12 novembre 1996 dans l’affaire Royaume-Uni/Conseil (17), la Cour a rejeté le recours tout en annulant l’article 5, deuxième alinéa, de la directive 93/104 (18), et en admettant que l’aménagement du temps de travail fasse l’objet d’une directive dans les termes prévus par l’article 118 A du traité puisque les notions de «milieu de travail», de «sécurité» et de «santé» qu’il contient doivent être entendues dans leur sens large comme visant «tous les facteurs, physiques ou autres, capables d’affecter la santé et la sécurité du travailleur dans son environnement de travail» (point 15) (19).

15. L’arrêt contient l’idée que «l’aménagement du temps de travail n’est pas nécessairement conçu comme un instrument de la politique de l’emploi» (point 28), mais il est envisagé dans la perspective où il peut avoir une incidence favorable sur le milieu de travail (point 29).

b) Contenu

16. La directive met en place une réglementation apparemment simple et générique, mais qui s’avère en réalité fort complexe (20).

17. Aux termes de l’article 1er, elle fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé (paragraphe 1) et s’applique «aux périodes minimales de repos journalier, de repos hebdomadaire et de congé annuel ainsi qu’au temps de pause et à la durée maximale hebdomadaire de travail» [paragraphe 2, sous a)] et «à certains aspects du travail de nuit, du travail posté et du rythme de travail» [paragraphe 2, sous b)].

18. L’article 2 précise qu’aux fins de la directive, «on entend par:

1) ‘temps de travail’: toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales;

2) ‘période de repos’: toute période qui n’est pas du temps de travail;

3) ‘période nocturne’: toute période d’au moins sept heures, telle que définie par la législation nationale, comprenant en tout cas l’intervalle compris entre vingt-quatre heures et cinq heures;

[…]»

19. La directive énonce ensuite un certain nombre de règles relatives à l’extension de ces périodes en tenant compte de l’intervalle qui est pris comme référence:

– Le repos journalier est réglé à l’article 3:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de vingt-quatre heures, d’une période minimale de repos de onze heures consécutives» (21).

– La semaine est envisagée en deux sphères:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de sept jours, d’une période minimale de repos sans interruption de vingt-quatre heures, auxquelles s’ajoutent les onze heures de repos journalier prévu à l’article 3.

La période minimale de repos visée au premier alinéa comprend, en principe, le dimanche.

Si des conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail le justifient, une période minimale de repos de vingt-quatre heures pourra être retenue» (article 5).

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs:

1) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux;

2) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n’excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires» (article 6).

– Le congé annuel est prévu à l’article 7:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour...

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