Groupement National des Négociants en Pommes de Terre de Belgique v ITM Belgium SA and Vocarex SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1995:81
Date23 March 1995
Celex Number61994CC0063
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-63/94
EUR-Lex - 61994C0063 - FR 61994C0063

Conclusions de l'avocat général Cosmas présentées le 23 mars 1995. - Groupement national des négociants en pommes de terre de Belgique contre ITM Belgium SA et Vocarex SA. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Mons - Belgique. - Libre circulation des marchandises - Interdiction de la vente avec une marge bénéficiaire extrêmement réduite. - Affaire C-63/94.

Recueil de jurisprudence 1995 page I-02467


Conclusions de l'avocat général

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1 La question préjudicielle qui est actuellement soumise à la Cour par la présidente du tribunal de commerce de Mons (Belgique) concerne l'interprétation de l'article 30 du traité CEE et a été soulevée dans le cadre d'un litige survenu à la suite d'une action en cessation formée par le Groupement national des négociants en pommes de terre de Belgique (en abrégé «Belgapom»), conformément à l'article 95 de la loi belge du 14 juillet 1991. Cette action de Belgapom tendait, entre autres, à faire constater que certains actes des sociétés SA ITM Belgium et SA Vocarex constituaient une violation de l'article 40 de la loi susvisée, qui interdit la vente à perte ainsi que la vente, assimilée à une vente à perte, qui ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite.

I -- Les dispositions nationales

2 La loi belge du 14 juillet 1991 «sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur» (1) prévoit à l'article 40, premier alinéa, qu'il est interdit à tout commerçant d'offrir en vente, ou de vendre, un produit à perte. Les alinéas suivants dudit article sont libellés comme suit: «Est considérée comme une vente à perte, toute vente à un prix qui n'est pas au moins égal au prix auquel le produit a été facturé lors de l'approvisionnement ou auquel il serait facturé en cas de réapprovisionnement. Est assimilée à une vente à perte toute vente qui, compte tenu de ces prix ainsi que des frais généraux, ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite. Pour apprécier le caractère normal ou exceptionnellement réduit de la marge bénéficiaire, il sera tenu compte notamment du volume des ventes et de la rotation des stocks.»

3 L'article 41, paragraphe 1, de la même loi introduit un certain nombre d'exceptions aux interdictions de l'article 40 (soldes, vente de produits susceptibles d'une détérioration rapide, etc.), tandis que l'article 95, premier alinéa, dispose que le président du tribunal de commerce constate l'existence et ordonne la cessation d'un acte constituant une infraction aux dispositions de la loi à la suite d'une action qui peut être formée également, aux termes de l'article 98, paragraphe 1, sous 3), par un groupement professionnel ayant la personnalité civile.

II -- Les faits -- La question préjudicielle

4 Vers la fin de septembre 1993, le service d'achat de la SA ITM Belgium, société dont le siège social est établi à Mons, en Belgique, et qui appartient au groupe Intermarché (ci-après «ITM»), a été informé que la SA Géron, dont le siège social est établi à Limbourg, en Belgique, offrait en vente un lot de pommes de terre «Bintjes» de 200 tonnes au prix de 27 BFR les 25 kg (soit un prix unitaire de 1,08 BFR le kg). L'offre était valable pour la période allant du 30 septembre au 8 octobre 1993 et concernait des pommes de terre calibrées, conditionnées en filets de 25 kg, livrées franco dans les divers magasins. La SA Vocarex, un établissement commercial indépendant, dont le siège social est établi à La Louvière, en Belgique, et qui est liée par une convention de franchise au groupe ITM (ci-après «Vocarex»), a commandé, profitant de l'offre, une partie de la quantité de pommes de terre précitée et les a vendues dans son magasin, après une annonce publicitaire appropriée, au prix de 29 BFR les 25 kg, réalisant ainsi une marge bénéficiaire brute de 1,31 % par rapport au prix d'achat.

5 Selon les faits exposés dans le jugement de renvoi, une personne se présentant comme mandatée par le «Groupement national des négociants en pommes de terre de Belgique» (ci-après «Belgapom») a téléphoné à ITM et tenté d'empêcher la vente des pommes de terre au prix précité, précisant que l'ensemble de la distribution belge avait accepté de vendre les mêmes pommes de terre au prix de 89 BFR les 25 kg.

6 Le 19 octobre 1993, Belgapom a formé devant le tribunal de commerce de Mons l'action en cessation prévue à l'article 95 de la loi du 14 juillet 1991 et conclu à ce qu'il plaise au tribunal: 1) constater que ledit comportement d'ITM et de Vocarex constitue une violation de l'article 40 de la loi précitée interdisant la vente à perte ainsi que la vente, assimilée à une vente à perte, qui ne procure qu'une marge bénéficiaire extrêmement réduite et 2) ordonner la cessation de ce comportement.

7 Vocarex a allégué, entre autres, comme moyen de défense que l'article 40 de la loi du 14 juillet 1991 était incompatible avec l'article 30 du traité CEE et demandé qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour à ce sujet.

8 A la suite de cela, la présidente du tribunal de commerce de Mons a décidé, par jugement du 21 janvier 1994, de surseoir à statuer et de saisir la Cour d'une question préjudicielle. Ce jugement énonce, notamment, les motifs suivants:

a) Si les premier et deuxième alinéas de l'article 40 de la loi du 14 juillet 1991 sont clairs, les alinéas suivants engendrent «une réelle insécurité juridique» auprès des commerçants, intensifiée par la jurisprudence en la matière qui a considéré comme licites des marges allant de 0,5 % à 10 % pour une même catégorie de produits, selon la méthode de calcul choisie, les paramètres pris en compte, etc.

b) La réelle incertitude devant laquelle se trouvent les opérateurs économiques quant à la licéité ou non de leur méthode de vente et quant au résultat d'une action qui serait éventuellement lancée contre eux pourrait déjà à elle seule être un élément d'entrave à la libre circulation des marchandises.

c) Même si l'on veut bien admettre qu'une réglementation, comparable à celle en cause, intervienne dans le but de promouvoir une concurrence loyale entre commerçants et de protéger le consommateur contre certains procédés de vente, en l'espèce, toutefois, seule la recherche de la protection des intérêts corporatistes des grossistes motive l'action; en effet, les intérêts des consommateurs ne sont pas mis en péril par une offre promotionnelle, exceptionnelle, annoncée comme telle et extrêmement limitée dans le temps.

d) La généralité des termes employés et l'imprécision des paramètres à prendre en considération pour décider de la licéité ou non d'une action font que l'interdiction telle qu'elle est édictée aux troisième et quatrième alinéas de l'article 40 touche aussi des pratiques étrangères au but poursuivi.

e) On ne peut exclure le fait que, dans ces conditions, les dispositions des alinéas précités de l'article 40 constituent une entrave au commerce intracommunautaire.

9 Par ces motifs, la présidente du tribunal de commerce de Mons a posé à la Cour la question préjudicielle suivante: «Dans quelle mesure l'article 40 de la loi du 14 juillet 1991, et plus spécialement ses alinéas 3 et 4, dans la généralité de leurs termes, sont-ils compatibles avec l'article 30 du traité CEE, lorsque ces alinéas assimilent à une vente à perte une vente réalisée au-dessus du prix facturé à l'approvisionnement mais avec une marge extrêmement réduite?»

10 Selon une jurisprudence constante (2), la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une mesure nationale avec le droit communautaire. Elle a toutefois compétence pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie.

11 Il conviendra dès lors d'admettre que, selon une interprétation correcte de la question préjudicielle posée, la présidente du tribunal de commerce de Mons vise à faire préciser si l'article 30 du traité CEE s'oppose, dans son sens précis, à une disposition nationale, formulée en termes généraux, qui interdit, en l'assimilant à une vente à perte, une vente réalisée au-dessus du prix facturé à l'approvisionnement mais avec une marge bénéficiaire extrêmement réduite.

III -- Observation préliminaire

12 Selon un principe jurisprudentiel dont la Cour n'a jamais dévié dans les affaires relatives à la libre circulation des travailleurs, au droit d'établissement et à la libre prestation de services, les articles concernés du traité (respectivement, les articles 48, 52 et 59) ne s'appliquent pas aux situations ou aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (3).

13 On ne rencontre pas de déclaration de principe similaire dans la jurisprudence relative à l'interdiction, énoncée à l'article 30 du traité, qui est faite aux États membres d'imposer des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation. On pourrait néanmoins déduire de l'ensemble de la jurisprudence en la matière que, selon la Cour, il n'est pas concevable d'exclure l'application de l'article 30 en excipant du caractère purement interne d'une situation ou activité données, sauf si le litige pendant devant la juridiction nationale est régi par une disposition nationale qui concerne exclusivement les produits nationaux. Une telle conception pourrait s'appuyer sur les considérations suivantes.

Selon la formulation de l'arrêt Dassonville (4), qui reste le point de référence immuable de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 30 du traité (5), constitue une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation toute mesure susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire. En conséquence, une question d'interprétation de la disposition...

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