Roquette Frères SA v Hauptzollamt Geldern.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1993:862
Docket NumberC-228/92
Celex Number61992CC0228
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date27 October 1993
EUR-Lex - 61992C0228 - FR 61992C0228

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 27 octobre 1993. - Roquette Frères SA contre Hauptzollamt Geldern. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Düsseldorf - Allemagne. - Montants compensatoires monétaires sur produits dérivés du maïs - Déclaration d'invalidité - Effets dans le temps. - Affaire C-228/92.

Recueil de jurisprudence 1994 page I-01445


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Vous voici à nouveau saisis, après vos trois arrêts du 15 octobre 1980 - Providence agricole de la Champagne, Maïseries de Beauce, Roquette Frères (1) -, votre arrêt Société des produits de maïs du 27 février 1985 (2) et votre arrêt Fragd du 22 mai 1985 (3), de la délicate question des effets dans le temps de l' invalidité d' un règlement communautaire constatée dans le cadre d' une procédure préjudicielle.

2. Vous aviez, en 1980, faisant application par analogie dans le cadre d' une telle procédure, de l' article 174, deuxième alinéa, du traité CEE, décidé que la déclaration d' invalidité du règlement déféré à votre censure ne produisait effet qu' à compter de la date de votre arrêt: les montants compensatoires monétaires (ci-après "MCM") indûment payés ou perçus antérieurement à cette date ne pouvaient dès lors donner lieu à répétition.

3. C' est cet effet "ex nunc erga omnes" qu' une nouvelle fois la Commission (4), venant au renfort de la requérante au principal, vous invite à reconsidérer. C' est pourquoi, elle vous a demandé de statuer en formation plénière pour les questions posées par le Finanzgericht Duesseldorf (5).

4. C' est encore la société Roquette qui a introduit devant cette juridiction, contre l' administration des douanes, une action en répétition de l' indu pour un trop-perçu de MCM relatifs à des produits dérivés du maïs (amidon, dextrine et amidon soluble).

5. La défenderesse au principal résistant à cette prétention au motif qu' il avait été fait en l' espèce une juste application du règlement (CEE) n 2719/75 de la Commission, du 24 octobre 1975, fixant les MCM ainsi que certains taux nécessaires à leur application (6), le juge a quo, eu égard aux griefs articulés par Roquette à l' encontre de ce texte, vous demande:

- d' une part, si le règlement précité est invalide pour autant qu' il fixe les MCM applicables aux produits dérivés (1) à un niveau tel que la somme des montants s' élève à un chiffre total nettement supérieur à celui applicable à la quantité correspondante du produit de base et (2), s' agissant de l' amidon de maïs, sans que leur assiette ait été diminuée du montant des restitutions versées à la production,

- d' autre part, en cas d' invalidité, si Roquette serait en droit de s' en prévaloir en l' espèce, dès lors qu' elle "a fait tout ce qu' (elle) pouvait et devait juridiquement faire pour empêcher l' avis de taxation litigieux de devenir définitif".

6. La première question n' appellera pas de longs développements.

7. La Commission admet, en effet, que le règlement n 2719/75 encourt les critiques relevées par le juge dans sa première question et ayant motivé les déclarations d' invalidité prononcées par vos trois arrêts du 15 octobre 1980 (7). Elle reconnaît expressément que la somme réclamée et payée à titre de MCM pour les produits dérivés s' élève à un chiffre nettement supérieur à celui des montants applicables à la quantité correspondante du produit de base (8) et que l' assiette du calcul des montants relatifs à l' amidon de maïs n' a pas été diminuée du montant des restitutions à la production (9).

8. Il y a donc lieu pour ces raisons d' invalider le règlement sous examen.

9. La Commission considère, en outre, que l' invalidation doit s' étendre à certains règlements ultérieurs en tant que, concernant les mêmes produits, ils sont entachés des mêmes irrégularités (10).

10. Il s' agit, ainsi que la Commission l' a précisé en réponse à la question que vous lui avez posée, des textes suivants: les règlements modificatifs n 2829/75 du 31 octobre 1975, n 271/76 du 6 février 1976, n 512/76 du 5 mars 1976 (11), le règlement n 572/76 du 15 mars 1976 (12) qui a remplacé le règlement litigieux (13), et le règlement n 618/76 du 18 mars 1976 (14) qui a modifié ce dernier. Tous ces textes sont antérieurs à ceux invalidés par vos décisions du 15 octobre 1980.

11. Cette extension doit intervenir pour les mêmes raisons que celles par vous exprimées en ces termes dans votre arrêt Roquette précité:

"Cette invalidité entraîne celle des dispositions des règlements ultérieurs de la Commission ayant pour objet de modifier les montants compensatoires monétaires applicables aux produits visés au numéro précédent" (15).

12. Abordons la deuxième question.

13. Il nous paraît, ici, indispensable d' examiner au préalable les principes qui régissent les effets ratione temporis des arrêts prononçant, dans le cadre préjudiciel, l' invalidité d' un règlement.

14. Il résulte de votre décision du 13 mai 1981, International Chemical Corporation/Amministrazione delle finanze dello Stato (16), qu' un tel arrêt s' impose à toute juridiction appelée à appliquer l' acte invalide et produit un effet erga omnes:

"... bien qu' il ne soit adressé directement qu' au juge qui a saisi la Cour, [cet arrêt] constitue une raison suffisante pour tout autre juge de considérer cet acte comme non valide pour les besoins d' une décision qu' il doit rendre" (17).

15. Le règlement invalidé, à la différence du règlement annulé sur le fondement de l' article 173 du traité, qui est déclaré nul et non avenu, "ne disparaît pas de l' ordonnancement juridique" (18) tant qu' il n' a pas été expressément abrogé par un nouveau texte. En vertu de l' article 176 du traité, il appartient à l' institution dont émane l' acte en cause de tirer les conséquences de l' arrêt d' invalidation en prenant les mesures nécessaires pour mettre fin à l' illégalité constatée (19).

16. Que ce soit par l' effet de l' article 173 ou par celui de l' article 176, l' acte en cause devient inapplicable (20). Il y a donc une grande parenté entre un arrêt d' annulation et un arrêt préjudiciel d' invalidité.

17. Il devenait, dès lors, inévitable de se poser la question suivante: la règle du caractère rétroactif de l' annulation énoncée à l' article 174, premier alinéa, et l' exception du deuxième alinéa du même article doivent-elles également s' appliquer aux arrêts préjudiciels d' invalidation? (21)

18. En principe, ceux-ci ont, comme les arrêts d' annulation, un caractère rétroactif: "le règlement déclaré non valide est illégal ab initio" (22). Monsieur l' Avocat général Capotorti en a donné la principale raison dans ses conclusions sous l' arrêt du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission (23): "... une déclaration d' invalidité ou d' illégalité accompagnée d' un effet ex nunc n' offrirait aucune base pour des demandes en indemnisation de dommages antérieurs, de sorte qu' il serait inutile pour les sujets ayant intérêt à introduire de telles demandes de se référer à la décision préjudicielle qui a constaté l' existence de l' illégalité" (24).

19. Toutefois, en raison de l' effet erga omnes de l' invalidation, la rétroactivité peut avoir de graves conséquences dans la mesure où elle aboutit à remettre en cause des relations juridiques établies et exécutées de bonne foi.

20. La possibilité de prescrire un effet ex nunc à l' occasion d' un recours préjudiciel s' impose dès lors pour au moins deux raisons. Il serait paradoxal, en premier lieu, qu' à la différence d' une annulation, enserrée par l' article 173, troisième alinéa, dans de strictes conditions de recevabilité ratione personae et temporis, la procédure d' invalidation puisse être déclenchée à l' initiative de tout particulier sans autre limite de temps que celle résultant des délais de prescription de droit interne, c' est-à-dire parfois plusieurs années après l' entrée en vigueur de la règle concernée (25). En second lieu, les réglementations communautaires peuvent appréhender des secteurs particulièrement sensibles et leur invalidation peut entraîner des conséquences considérables, notamment financières, qu' il importe de pouvoir maîtriser. Cette préoccupation apparaît clairement dans votre arrêt Pinna du 15 janvier 1986 (26).

21. On relèvera, au passage, que la Cour européenne des droits de l' homme s' est appuyée sur l' arrêt Defrenne II (27) pour limiter dans le temps les effets de son arrêt Marckx, du 13 juin 1979 (28), consacrant le principe d' égalité de traitement des enfants légitimes et naturels dans le domaine patrimonial: "... le principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire, dispense l' État belge de remettre en cause des actes ou situations juridiques antérieurs au prononcé du présent arrêt" (29).

22. L' effet ex nunc n' est cependant pas sans poser de sérieuses difficultés. D' une part le droit communautaire s' en trouve fractionné dans le temps: bien qu' invalidé par la Cour, un règlement produira des effets juridiques à l' égard de certains opérateurs. D' autre part elle s' apparente à une forclusion: un particulier ne pourra pas se prévaloir de l' invalidation pour la période antérieure à la date de l' arrêt la prononçant.

23. Dans vos arrêts précités du 15 octobre 1980, vous avez déclaré que

"... l' application par analogie de l' article 174, deuxième alinéa, du traité, selon lequel la Cour peut indiquer quels effets d' un règlement déclaré nul doivent être considérés comme définitifs, s' impose pour les mêmes motifs de sécurité juridique que ceux qui sont à la base de cette disposition" (30).

24. Mais dans l' arrêt Société des produits de maïs, sans plus vous référer à la notion d' analogie, vous avez fondé la limitation dans le temps des effets d' une déclaration d' invalidité sur "la nécessaire cohérence entre le renvoi préjudiciel et le recours en...

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