Criminal proceedings against Jan-Erik Anders Ahokainen and Mati Leppik.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:462
Docket NumberC-434/04
Celex Number62004CC0434
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date13 July 2006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 13 juillet 2006 (1)

Affaire C-434/04

Jan-Erik Anders Ahokainen

Mati Leppik

contre

Virallinen syyttäjä

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Finlande)]





1. «Le bon vin est une bonne et douce créature si on en use bien» (2). Il est étonnant, cependant, que les hommes puissent introduire un ennemi dans leur bouche pour leur dérober la cervelle (3), lorsque l’ennemi en question, contrairement à du bon vin, est aussi féroce que de l’alcool éthylique quasiment pur. Pourtant, il ressort des informations présentées par le gouvernement finlandais au cours de la présente procédure que la demande d’esprit-de-vin à teneur en alcool extrêmement élevée de la part des consommateurs n’est aucunement théorique. Le droit finlandais interdit la vente au détail de substances contenant plus de 80 % d’alcool éthylique non dénaturé («esprit-de-vin»). Leur usage commercial à des fins industrielles ou en tant que matière première est subordonné à un régime d’autorisation. Le Korkein oikeus (Finlande) a saisi la Cour d’une demande préjudicielle visant à savoir si l’exigence d’une licence pour l’importation, depuis un autre État membre, de substances contenant plus de 80 % d’alcool éthylique non dénaturé, était compatible avec les articles 28 CE et 30 CE. La question est survenue dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre MM. Jan-Erik Anders Ahokainen et Mati Leppik, lesquels sont poursuivis pour introduction frauduleuse en Finlande, depuis l’Allemagne, d’alcool éthylique non dénaturé.

I – Cadre juridique national

2. La loi n° 1143/1994 sur l’alcool (alkoholilaki, ci-après la «loi sur l’alcool») a pour objectif, d’après son article 1er, de contrôler la consommation d’alcool afin de prévenir les effets néfastes des substances alcoolisées sur la santé et sur la société.

3. La loi sur l’alcool établit une distinction entre les «boissons alcoolisées» et l’«esprit-de-vin». Selon l’article 3, paragraphe 2, tel que modifié par la loi n° 1/2001, la notion de «boisson alcoolisée» désigne une boisson destinée à la consommation ayant une teneur en alcool éthylique pouvant aller jusqu’à 80 % par volume; la notion d’«esprit-de-vin» désigne l’alcool éthylique ou une solution aqueuse d’alcool éthylique qui contient un volume d’alcool éthylique supérieur à 80 % et qui n’est pas dénaturée.

4. L’article 8 régit l’importation commerciale de boissons alcoolisées et d’esprit-de-vin. Selon l’article 8, paragraphe 1, les boissons alcoolisées peuvent être importées sans licence d’importation pour une consommation personnelle et à des fins commerciales ou d’autres fins économiques. En revanche, l’importation d’esprit-de-vin nécessite une licence. Selon l’article 8, paragraphe 2, un opérateur peut importer de l’esprit-de-vin s’il a obtenu une licence d’importation du tuotevalvontakeskus (organe de contrôle des produits). L’article 8, paragraphe 3, dispose que l’organe de contrôle des produits peut accorder une licence d’importation à «celui qui est considéré comme ayant les qualifications et la fiabilité nécessaires à l’activité [d’importation]».

5. En outre, l’article 8, paragraphe 2, dispose qu’un individu peut importer de l’esprit-de-vin pour son usage personnel, s’il a obtenu de l’organe de contrôle des produits une licence spéciale d’utilisation de l’esprit-de-vin conformément à l’article 17, après avoir notifié à cet organe son activité d’importateur. L’article 17 limite essentiellement les catégories de personnes pouvant recevoir une telle licence à ceux qui ont besoin d’esprit-de-vin à des fins professionnelles ou en tant que matière première. L’article 17, paragraphe 3, dispose que le demandeur, qui doit être qualifié et fiable, doit indiquer une utilisation justifiable afin d’obtenir la licence.

6. D’après l’article 82 de la loi n° 459/1969 – que la loi sur l’alcool a remplacée excepté en matière de sanctions –, quiconque importe ou tente d’importer, exporte ou tente d’exporter illégalement une boisson alcoolisée ou de l’esprit-de-vin est pénalement responsable de l’introduction frauduleuse de substance alcoolisée.

II – Faits et demande de décision préjudicielle

7. Le 1er août 2002, les autorités douanières finlandaises ont découvert 9 492 litres d’un liquide clair, en bouteilles d’un litre, dans un camion en provenance d’Allemagne. D’après la lettre de voiture, le camion avait pour cargaison 32 palettes d’huile de sésame. Un examen effectué par le laboratoire des douanes a révélé que le liquide clair était de l’esprit-de-vin pur (96,4 à 96,5 % d’alcool éthylique non dénaturé).

8. Le Raaseporin käräjäoikeus (tribunal de première instance de Raasepori) a déclaré MM. Ahokainen et Leppik coupables d’avoir illégalement importé les 9 492 litres d’esprit-de-vin. Par jugement du 21 novembre 2001, le tribunal a condamné M. Ahokainen ainsi que M. Leppik à une peine d’emprisonnement pour contrebande organisée de substance alcoolisée. Il a ordonné la confiscation de l’esprit-de-vin au profit de l’État. Par arrêt du 30 mai 2003, le Helsingin hovioikeus (cour d’appel d’Helsinki) a confirmé le jugement du Raaseporin käräjäoikeus.

9. MM. Ahokainen et Leppik se sont pourvus devant le Korkein oikeus (Cour suprême), lequel a adressé les questions suivantes à la Cour par décision du 6 octobre 2004:

«1) L’article 28 CE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre selon laquelle seul celui qui en a obtenu l’autorisation peut importer de l’alcool éthylique non dénaturé de plus de 80 % (de l’esprit-de-vin)?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, le régime d’autorisation doit-il être considéré comme étant autorisé par l’article 30 CE

10. Le Virallinen Syyttäjä (ministère public) et les gouvernements finlandais, portugais et suédois ainsi que la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations écrites à la Cour. Le 17 mai 2006, la Cour a entendu les plaidoiries du gouvernement finlandais et de la Commission.

III – Appréciation

A – La première question

11. Tout d’abord, la juridiction de renvoi demande si l’article 28 CE s’oppose à une législation qui exige une licence pour l’importation, depuis un autre État membre, de substances contenant plus de 80 % d’alcool éthylique non dénaturé (d’«esprit-de-vin»).

12. Le gouvernement portugais, seule partie ayant présenté des observations étayées sur ce point, fait valoir qu’il convient de répondre à cette question par la négative. Il considère que l’article 28 CE ne s’oppose pas à un système d’autorisation préalable d’importation d’esprit-de-vin tel que celui qui est prévu en droit finlandais. Selon le gouvernement portugais, l’exigence litigieuse équivaut à une simple déclaration de la part d’un opérateur, déclaration qui permet aux autorités de contrôler les produits soumis au droit d’accise et de s’assurer du paiement desdits droits. Le gouvernement portugais fait valoir que cela est conforme à la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992 (4). Il en conclut que le système d’autorisation préalable d’importation ne constitue ni une restriction quantitative à l’importation ni une mesure d’effet équivalent.

13. À mon avis, cependant, la jurisprudence de la Cour plaide en faveur de la conclusion inverse. Depuis l’arrêt Dassonville (5), la Cour a jugé que l’interdiction édictée à l’article 28 CE vise toute mesure susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (6). En outre, la Cour a affirmé à maintes reprises que l’article 28 CE s’oppose à toute législation nationale qui exige, même à titre purement formel, une licence pour l’introduction dans son territoire de marchandises depuis un autre État membre (7).

14. En outre, contrairement à ce que le gouvernement portugais fait valoir, la procédure d’autorisation préalable pour l’importation d’esprit-de-vin en Finlande ne relève pas du champ d’application de la directive 92/12. En fait, cette procédure s’applique en plus du régime prévu par la directive.

15. Par conséquent, il convient de répondre à la première question de la juridiction de renvoi en indiquant que l’article 28 CE s’oppose à une législation nationale qui exige une licence pour l’importation, depuis un autre État membre, de substances contenant un volume d’alcool éthylique non dénaturé supérieur à 80 %.

B – La deuxième question

16. La juridiction de renvoi demande si le système d’autorisation préalable pour l’importation d’esprit-de-vin pourrait toutefois être justifié sur le fondement de l’article 30 CE.

17. Les gouvernements finlandais et suédois font tous deux valoir que l’exigence d’une licence d’importation est justifiée par des considérations de santé publique et d’ordre public.

18. Le gouvernement suédois fait valoir qu’il existe en Finlande, tout comme en Suède, une tradition de consommation de boissons fortement alcoolisées. Afin d’empêcher la consommation de substances contenant plus de 80 % d’alcool, il est nécessaire de réglementer le commerce de l’esprit-de-vin. Il incombe à la juridiction nationale d’apprécier, à la lumière des pratiques sociales et des...

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