Antje Köhler v Finanzamt Düsseldorf-Nord.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:204
Date07 April 2005
Celex Number62004CC0058
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-58/04

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MIGUEL Poiares Maduro

présentées le 7 avril 2005 (1)

Affaire C-58/04

Antje Köhler

contre

Finanzamt Düsseldorf-Nord

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]

«TVA – Lieu des opérations imposables – Livraison de biens effectuée sur un bateau de croisière – Notion d’‘escale en dehors de la Communauté’»





1. Par la présente demande de décision préjudicielle, le Bundesfinanzhof (Allemagne) a déféré à la Cour une question relative à l’interprétation de la notion d’«escale en dehors de la Communauté», au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (2).

I – Dispositions relevant du droit communautaire

2. L’article 2 de la sixième directive prévoit que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») «les livraisons de biens […] effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

3. La notion d’«intérieur du pays», prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la sixième directive «correspond au champ d’application du traité instituant la Communauté économique européenne tel qu’il est défini, pour chaque État membre, à l’article 227 [devenu, après modification, article 299 CE]».

4. L’article 8, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive stipule que «[l]e lieu d’une livraison de biens est réputé se situer […] dans le cas où le bien n’est pas expédié ou transporté: à l’endroit où le bien se trouve au moment de la livraison».

5. L’article 8, paragraphe 1, sous c), introduit par la directive 91/680, dans la version applicable au cours de l’exercice litigieux, résultant de la directive 92/111, stipule que le lieu d’une livraison de biens est réputé se situer:

«dans le cas où la livraison de biens est effectuée à bord d’un bateau, d’un avion ou d’un train, et au cours de la partie d’un transport de passagers effectuée à l’intérieur de la Communauté: au lieu de départ du transport de passagers.

Aux fins de la présente disposition, on entend par:

partie d’un transport de passagers effectuée à l’intérieur de la Communauté, la partie d’un transport effectuée sans escale en dehors de la Communauté, entre le lieu de départ et le lieu d’arrivée du transport de passagers,

lieu de départ d’un transport de passagers, le premier point d’embarquement de passagers prévu à l’intérieur de la Communauté, le cas échéant après escale en dehors de la Communauté,

lieu d’arrivée d’un transport de passagers, le dernier point de débarquement prévu à l’intérieur de la Communauté, pour des passagers ayant embarqué dans la Communauté, le cas échéant avant escale en dehors de la Communauté.

Dans le cas d’un transport aller-retour, le trajet de retour est considéré comme un transport distinct.

[…]»

II – Faits, législation nationale et question préjudicielle

6. Au cours de l’exercice de 1994, Mme Köhler (ci-après la «demanderesse») a tenu une boutique sur un bateau de croisière. Dans le cadre de l’exploitation de cette boutique, sont intervenues des livraisons dont le caractère imposable est litigieux. Les croisières en cause partaient de Kiel, Bremerhaven et Travemünde, en passant par des ports situés en dehors de la Communauté, par exemple, en Norvège, en Estonie, en Russie ou au Maroc, et elles prenaient fin à Kiel, Bremerhaven ou Gênes. Ces voyages ne pouvaient être réservés que pour la totalité de la croisière; on ne proposait pas de trajets partiels comportant la possibilité d’embarquer pour la première fois ou de débarquer de manière définitive en cours de croisière.

7. Le Finanzamt a considéré que les ventes réalisées à bord, dans la boutique de la demanderesse, au cours du voyage, étaient imposables et assujetties à la TVA en Allemagne, conformément à l’article 3e de l’Umsatzsteuergesetz 1993 (loi de 1993 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’«UStG») qui transpose l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive. En vertu de l’article 3e, paragraphe 1, de l’UStG, «[s]i un bien qui n’est pas destiné à être consommé sur-le-champ est livré à bord d’un bateau […] au cours d’un transport de passagers à l’intérieur du territoire de la Communauté, le lieu de la livraison est réputé être le lieu de départ du moyen de transport concerné sur le territoire communautaire».

8. L’article 3e, paragraphe 2, de l’UStG dispose, quant à lui:

«On entend par transport de passagers à l’intérieur du territoire communautaire au sens du paragraphe 1 le transport ou la partie d’un transport effectuée sans escale en dehors du territoire de la Communauté, entre le lieu de départ et le lieu d’arrivée du transport de passagers dans le territoire de la Communauté. Le lieu de départ au sens de la première phrase est le premier point d’embarquement de passagers prévu à l’intérieur du territoire communautaire. Le lieu d’arrivée au sens de la première phrase est le dernier point de débarquement prévu à l’intérieur du territoire communautaire. L’aller et le retour sont considérés comme des transports distincts.»

9. Dans son recours formé contre la décision du Finanzamt, la demanderesse a affirmé que les ventes litigieuses n’étaient pas imposables en Allemagne, compte tenu de l’existence d’escales en dehors de la Communauté; elle en a déduit que, en vertu de l’article 3e de l’UStG, ces ventes n’ont pas été réalisées au cours d’un transport de passagers à l’intérieur de la Communauté.

10. Le Finanzgericht a rejeté le recours. Il a déclaré que le fait que le bateau a, entre les ports d’embarquement et d’arrivée, fait des haltes en dehors du territoire de la Communauté n’impliquait pas que les livraisons de biens devaient être considérées comme ayant été effectuées en dehors du territoire national. Selon lui, seules les haltes en dehors de la Communauté permettant un débarquement définitif de passagers ou l’embarquement de nouveaux passagers doivent être considérées comme des «escales» au sens de l’article 3e, paragraphe 2, de l’UStG.

11. La demanderesse a introduit un recours en «Revision» devant le Bundesfinanzhof qui a décidé de déférer la question suivante à la Cour:

«Les arrêts effectués par un bateau dans des ports d’États tiers, au cours desquels les voyageurs ne peuvent quitter le bateau que pendant une courte période, par exemple pour des visites, sans qu’il existe aucune possibilité de commencer ou de terminer le voyage, constituent-ils des ‘escales en dehors de la Communauté’ au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la directive 77/388/CEE ?»

III – Appréciation

12. La définition de la notion d’«escale» visée à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive est une entreprise plus difficile que l’on ne pourrait le penser après une lecture rapide des dispositions en cause. En effet, le terme «escale» n’a pas de signification univoque pouvant être déduite du texte. Lors de l’interprétation de cette notion, on peut envisager différentes formes d’escale, qui vont de l’escale technique, notamment, en vue du réapprovisionnement du moyen de transport, ou simplement pour que les passagers puissent profiter d’une vue panoramique, jusqu’à l’escale lors de laquelle de nouveaux passagers peuvent embarquer et d’autres débarquer définitivement, en passant par l’escale pendant laquelle les passagers peuvent débarquer pour faire une visite ou des courses sur le territoire de l’État dans lequel l’escale a lieu, les passagers étant supposés revenir à bord par la suite. A priori, on pourrait, comme la demanderesse le suggère d’une certaine manière dans ses observations écrites, penser que, lorsque le législateur n’établit aucune distinction, ce n’est pas à l’interprète de le faire. Il serait cependant trop simpliste d’interpréter, dans le cadre de l’article 8 de la sixième directive, le terme «escale» dans le sens le plus large, sans essayer de comprendre la raison pour laquelle l’existence ou non d’une escale dans un État tiers a une incidence sur l’application du régime spécifique consacré à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive.

A – L’emploi de la règle de conflit prévue à l’article 8 comme règle de répartition des compétences fiscales entre États

13. La réponse à la question posée par le Bundesfinanzhof exige une analyse préliminaire de l’article 8 de la sixième directive dans lequel apparaît la notion d’escale en dehors de la Communauté. Cet article comporte diverses règles de conflit visant à délimiter rationnellement entre les États membres les sphères d’application respectives de leurs législations nationales en matière de TVA, s’agissant des livraisons de biens (3). Chacune de ces règles détermine l’État membre qui est exclusivement compétent pour soumettre une livraison de biens à la TVA, lorsque, conformément aux éléments de rattachement pertinents prévus à l’article 8, cette livraison a lieu sur son territoire. À cet égard, il convient de mettre en parallèle cet article 8 et l’article 9 de la sixième directive, qui prévoit les règles de conflit relatives aux prestations de services. Ces deux articles constituent, d’ailleurs, à eux seuls le contenu du titre VI de la sixième directive, intitulé «Lieu des opérations imposables» (4), et ils sont, l’un et l’autre, indistinctement visés par le septième considérant que je viens de mentionner.

14. Il est vrai que la Cour n’a pas encore eu l’occasion d’indiquer expressément que l’article 8 de la sixième directive vise à éviter des conflits de compétence fiscale entre États, mais ce point de vue a été confirmé de manière non équivoque s’agissant dudit article 9. Ainsi, dans son arrêt rendu le 4 juillet 1985 dans l’affaire Berkholz, la Cour a fait valoir que les dispositions prévues à cet article 9 «vise[nt] à établir une...

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